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Ce numéro présente le regard croisé de plusieurs disciplines sur les espaces mythiques. Ces derniers posent d’abord la question de l’extension et de la délimitation du sens de la notion de mythe, des frontières conceptuelles ou culturelles que lui assignent des champs disciplinaires donnés. Ils s’interrogent également sur le rapport qu’entretient le mythe avec des lieux géographiques particuliers, qu’ils soient réels ou symboliques.

Ces espaces pluriels se révèlent hétérogènes, dans leurs distributions et leurs constructions : Mircea Éliade rappelait justement que « pour l’homme religieux, l’espace n’est pas homogène ; il présente des ruptures, des cassures : il y a des portions d’espace quantitativement différentes des autres » (Le Sacré et le Profane, Paris, Gallimard, 1965, p. 21). L’édification imaginaire de ces espaces soudain chargés d’une portée sacrée, d’un rôle fondateur pour une cité vient singulariser une étendue, et par ricochet, sa désignation atteint le mythe lui‑même. La signification comme les récits même qui tentent de saisir la teneur du mythe se démultiplient sur des supports variés : littérature, peinture, contes, réflexions scientifiques tentent de saisir son étrangeté, de l’approcher tout au moins. Ils sont autant de lieux du déploiement du récit mythologique et entrent en écho avec les zones elles‑mêmes diversifiées témoins de la naissance du mythe.

De même que Claude Lévi-Strauss rappelait souvent que le mythe était constitué de la somme des histoires racontées au fil du temps, les espaces mythiques pourraient se définir au travers de ces stratifications multiples. Ce numéro en étagera quelques‑unes dans les trois sections qui l’articulent.

La première section « Mythodologies », consacrée aux questions théoriques et méthodologiques relatives à l’imaginaire, présente quatre articles. L’article de Jean-Pierre Sironneau propose de réévaluer l’approche sociologique des notions de mythe et de symbole, de montrer la nécessité de croiser imaginaire et sociologie : en tenant compte du poids du mythe dans la dynamique sociale, on constate que tout groupe social semble devoir se constituer un lieu fondateur par l’intermédiaire d’un mythe qui sert à la fois de socle originel de la société et de modèle idéologique de son fonctionnement. Dans cet espace social, l’article de Cristina Azuela convoque la figure du trickster, chargée d’ambiguïté. En transgressant règles et limites, en brouillant les frontières, en faisant se croiser littérature et conte populaire, le trickster élabore un espace mobile auquel il donne sa temporalité et son rythme : on le retrouve dans le mythe fondateur de plusieurs cultures, lié à un symbole de régénération et inscrit dans un cycle de mort et de renaissance. La même ambivalence se retrouve dans l’approche plus ethnologique de Daiva Vaitkevičienė du « grillon taupe » : marqué par la symbolique du nombre, qu’on retrouve souvent dans l’organisation de l’espace du mythe, ce grillon jumeau du scorpion, peut tuer par sa seule pensée, ou guérir un homme si on l’entraîne dans un lieu magique. Au‑delà de l’espace mythique, la force imaginaire conférée à l’insecte le fait ainsi passer d’une figure maléfique à une force bienfaisante selon le regard qu’on porte sur lui. C’est précisément sur cette capacité de l’artiste à saisir cette dimension invisible que s’attarde Christine Vial-Kayser : la sculpture et les œuvres d’Anish Kapoor sont capables de saisir et de retranscrire l’invisible, de réévaluer le réel lui‑même. Le musée où s’exposent ses créations, est le lieu d’une rencontre du spectateur avec une dimension cachée du réel, qui le déstabilise et l’oblige à voir tout à la fois l’illusion et la présence d’archétypes avec lesquels il rentre en résonance. Le musée et la sculpture matérialisent alors toutes les dimensions de l’espace mythique : confrontation de modes de créations multiples (sculpture, muséographie, imagination du visiteur), surgissement de structures, de symboles et d’archétypes relevant de l’univers du mythe, création et transformation d’un espace particulier, le musée, en lieu d’une expérience particulière et déstabilisante, marquée par une rupture avec le réel, au cœur de la cité.

La deuxième section « Topiques », réunit des contributions autour du thème suivant : « La conception du temps et de l’espace chez les Celtes ». Le 15 mai 2010, les Amis des Études celtiques dont le siège est à l’École pratique des Hautes Études à Paris organisaient une journée d’étude sur ce thème. Trois communications présentées lors de cette journée font l’objet d’une publication dans le présent numéro. Chacune à sa manière pose le problème de la relation du mythe à l’espace. Yves Vadé s’interroge sur la subtilité et la complexité de la structuration de l’espace mythique des Celtes, à partir des repères ou observatoires naturels. Ceux‑ci définissent une géodésie sacrée consacrée par des sites cultuels et matérialisée encore aujourd’hui par des rites ambulatoires (troménies) structurés par des mythes. Pour Silvia Cernuti, les fondements du calendrier agricole des Celtes sont astronomiques et l’espace stellaire définit l’ordre des activités terrestres. Ici, c’est l’espace stellaire des planètes et constellations qui dit le temps du mythe auquel cherchent à se conformer les actes humains. L’espace mythique livre des symboles qui, comme le fait remarquer Philippe Jouët, livrent du sens, des rythmes et des jalons qui mettent sur la trace de conceptions anciennes. Mais, selon la formule d’Alwyn et Brinley Rees, qu’il rappelle : « Les symboles, qu’il s’agisse de mythes, de cérémonies ou d’objets, ne révèlent leur pleine signification qu’à l’intérieur d’une tradition particulière. » L’espace mythique des Celtes n’est donc pas celui des Grecs ou des peuples d’Amazonie.

La troisième section « Facettes » réunit les travaux de jeunes chercheurs (doctorants ou docteurs travaillant dans les centres de recherches sur l’imaginaire français ou étrangers). La contribution de Monika Siama prolonge la réflexion du numéro en étudiant la naissance du culte de saint Adalbert en Pologne. Elle montre d’une manière passionnante, comment le tombeau du saint confère progressivement à Saint Adalbert une dimension sacrée et instaure dans sa sacralisation la relation fondamentale et symbolique entre le spirituel et le temporel au cœur même de la mémoire d’un lieu et d’une légende naissante. Noémie Auzas étudie la refonte de la notion d’imaginaire par les écrivains de la créolité, Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Ils imprègnent leur imaginaire réinventé par leur langue et leur culture, d’une idéologie qui nous rappelle les liens que nous avons déjà vus chez Jean-Pierre Sironneau plus haut, entre l’espace social et culturel, le déploiement du mythe et la mise en place d’une pensée propre. Enfin l’article d’Émilie Troille réexamine l’une des notions fondatrices du structuralisme, la Gestalt en montrant qu’elle peut encore servir à rendre compte du phénomène de la cognition, des créations de formes et d’images dans la langue.

Le numéro se termine par des comptes rendus d’ouvrages envoyés à la rédaction.

References

Bibliographical reference

Véronique Adam and Philippe Walter, « Éditorial », IRIS, 32 | 2011, 5-7.

Electronic reference

Véronique Adam and Philippe Walter, « Éditorial », IRIS [Online], 32 | 2011, Online since 05 octobre 2021, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2489

Authors

Véronique Adam

Université Toulouse 2 – Le Mirail

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Philippe Walter

Université de Grenoble

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