Jacques Lacroix, Les Frontières des peuples gaulois. Tome 1 : Grands thèmes limitrophes présents dans les noms de lieux. Tome 2 : Appellations méconnues et atlas des territoires gaulois

Fouesnant, Éditions Yoran, 2021, 560 p. et 350 p. (avec supplément cartographique de 50 p.)

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Jacques Lacroix, Les Frontières des peuples gaulois. Tome 1 : Grands thèmes limitrophes présents dans les noms de lieux. Tome 2 : Appellations méconnues et atlas des territoires gaulois, Fouesnant, Éditions Yoran, 2021, 560 p. et 350 p. (avec supplément cartographique de 50 p.)

Texte

Rien de plus austère a priori que ce dictionnaire toponymique qui recense les appellations méconnues des anciens territoires gaulois et leurs étymons. Le tome 1 privilégie quatre thèmes examinés à partir des racines celtiques *randal/randone, *morga, *canto- et *uxo-, signifiant respectivement « limite », « bord, marge, marche », « frontière », « haut, en haut ». On les retrouve, par exemple, dans Guérande, Morzine, Cantal, Ussel, mais ce sont plus de 1 500 toponymes frontières hérités de la Gaule qui sont examinés ici et regroupés en notices comportant étymologie, attestations datées, localisations et petits dossiers archéologiques. Le tome 2 examine huit autres racines incluant les inévitables *Lugudunon (voir Lyon), *nemeto- (Nanterre) ou *devo- (Dives). Bibliographie, index et cartographie facilitent la consultation de ce dictionnaire. « Austère », disions-nous d’emblée, pourtant cet ouvrage de conception pluridisciplinaire (phonétique historique, géographie, mythologie, archéologie) intéresse au premier chef le médiéviste littéraire et il entraîne le lecteur de découverte en découverte. S’il arrive à l’auteur de relever tel ou tel toponyme de la Chanson de Roland à l’appui d’une attestation, il n’envisage pas (car ce n’était évidemment pas son propos initial) le système toponymique que ces noms peuvent dessiner dans des récits guerriers comme les chansons de geste. Son travail offre pourtant des clés de déchiffrement pour de nombreux toponymes (voire anthroponymes) rencontrés dans lesdites chansons ou dans les romans arthuriens. Le médiéviste Paul Zumthor (La mesure du monde, Seuil, 1993) observait déjà que notre perception de l’espace n’est pas une donnée naturelle mais qu’elle oscille sans cesse entre le sensoriel et le mythique. C’est encore plus vrai dans une chanson de geste dont la cartographie fictive mêle des noms réels à d’autres (apparemment) imaginaires. En fait, la géographie décrite par ces nombreux toponymes se relie aussi à une géographie sacrée, car « sur les confins des différents territoires de la Gaule, avaient été fréquemment implantés des lieux de cultes, conçus pour solenniser les limites mais aussi pour les défendre magiquement » (t. 2, p. 219). Cette ancienne toponymie (conservée dans les noms actuels) ne correspond guère à nos repères quantifiés modernes mais elle reflète des croyances préchrétiennes et préromaines que l’imaginaire médiéval a pu conserver (on songera au traditionnel combat près des gués mentionnés dans le monde arthurien). Il s’y mêle souvent une strate mythique que l’on trouve dans la cité capitale de Charlemagne, Monloon (mont de Laon), à rattacher à la racine *Lugudunon (t. 2, chap. 10), incluant le nom du dieu suprême Lug, guerrier défenseur des territoires qui lui ont été dédiés par ses fidèles. Bien des guerres épiques se déroulent sur des lieux frontaliers, comme l’Archant de la chanson des Aliscans (éd. Régnier, v. 66, 113, 193, etc.). Commenté en « plaine côtière, lieu du champ de bataille le plus éloigné d’Orange où se déroulent les combats de Vivien » (t. 2, p. 356), il s’explique en fait par les nombreux Larchamp de racine *canto- (t. 1, p. 304-305) livrés par la toponymie et signifiant « près de la frontière ». Dans le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes, la dame de Norison (variante Noroison) est victime d’un conflit territorial. L’oison de son nom n’est pas un volatile mais un dérivé de la racine *uxi-onno « eau de la haute frontière » dont la toponymie offre par ailleurs maints témoignages (t. 1, p. 512-513). On pourrait multiplier les exemples mais on a compris que ce dictionnaire toponymique est aussi un outil précieux pour scruter l’imaginaire des lieux fictifs. Il peut révéler des parcours de sens ignorés de commentateurs trop enclins à ramener la géographie épique à une géographie trop réaliste et anachronique.

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Philippe Walter, « Jacques Lacroix, Les Frontières des peuples gaulois. Tome 1 : Grands thèmes limitrophes présents dans les noms de lieux. Tome 2 : Appellations méconnues et atlas des territoires gaulois », IRIS [En ligne], 42 | 2022, mis en ligne le 19 décembre 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3023

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Philippe Walter

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