Le concept de « renouveau » a connu vers les années 1980 une recrudescence dans l’historiographie politique et parlementaire1, laissant entendre l’apparition d’un « tournant » après une phase d’éclipse ou de déclin. Sous l’impulsion critique de René Rémond évoquant un « retour en force2 » des différentes branches de l’histoire politique (histoire sociale, biographie, prosopographie, sociologie, anthropologie), l’approche qualitative a conduit à intégrer la dimension individuelle dans la construction de l’événement historique3. Figure emblématique de l’histoire de la mentalité révolutionnaire4, Michel Vovelle voyait à travers la « redécouverte des aventures individuelles » un retour du sujet interrogeant la dialectique histoire sérielle/étude de cas5. La nouvelle dynamique historiographique qui s’engage avec le moment commémoratif du Bicentenaire de la Révolution française6 concorde avec un certain regain du genre biographique exhumant les trajectoires d’anonymes restés dans l’ombre, phénomène analysé par Philippe Levillain puis François Dosse7. Dans le prolongement de la publication du Dictionnaire des Conventionnels8 issu du projet de recherche ANR-ACTAPOL (2010-2014)9, les récentes réflexions autour des acteurs et de l’action parlementaires sous la Ire République10 ont permis de renouveler et d’élargir ce champ thématique comme entré en résonance avec les scansions contemporaines de la vie politique, notamment autour des questions de représentation en démocratie, d’authenticité du discours parlementaire et d’antiparlementarisme11. Après avoir mobilisé plusieurs études historiques12, y compris sur le parcours de ses présidents successifs13, l’institution parlementaire, héritière de l’œuvre des assemblées qui l’ont précédée et d’une image « sanctuarisée » au temps des origines14, continue d’être perçue comme le « cœur15 » ou « le temple16 » du régime républicain en France. En effet, au lendemain de la dissolution soudaine de l’Assemblée nationale en juin 2024 et de la forte attente démocratique d’une nouvelle législature (le taux de participation dépassant les 65% au second tour), le lien historiquement consubstantiel entre Parlement et République est à nouveau mis en avant, sur fond de crise institutionnelle à l’horizon après les résultats des élections législatives.
Le croisement récent des historiographies sur le parlementarisme et le républicanisme français17 a conduit à réinterroger les racines doctrinales du mouvement républicain18 avant la toute première proclamation officielle de la République le 22 septembre 1792, le principe d’unité et d’indivisibilité19, « la Terreur » comme « point nodal fondateur et conflictuel de la République20 », les sources et modèles d’inspiration des projets politiques des députés conventionnels pour fonder la République et ses institutions (Brissot, Saint-Just, Condorcet, Sieyès, Pons de Verdun). Sans prétention d’exhaustivité, la présente étude entend présenter les directions empruntées par l’historiographie récente autour du lien entre la Convention nationale, troisième assemblée législative de la Révolution (1792-1795), et une République à l’état expérimental. Qui étaient ces représentants de la nation élus en septembre 1792 chargés de proposer une nouvelle Constitution au peuple français ? Quelles raisons les ont amenés à faire basculer, dès la séance inaugurale, la France dans une République ? Comment fonder la République et la faire survivre dans un contexte de guerre ? Parmi les multiples expressions de ce lien historique, deux ont connu des avancées significatives sur le plan historiographique : les acteurs et les structures de la première transition républicaine. À l’heure de la « sociographie » parlementaire, il conviendra d’examiner les apports du renouveau biographique et des études sur l’engagement en politique, notamment en histoire électorale, pour les aspects qui intéressent la construction républicaine (I). Dans un second temps, le regard se dirigera sur les résultats des études récentes consacrées aux « rouages » législatifs mis en place par la Convention nationale pour fonder la République proclamée (II).
I. La Ire République à travers l’étude des représentants du peuple à la Convention nationale
En développement depuis les années 2000 sous l’influence des sciences sociales, la sociographie consiste dans l’analyse des propriétés sociales, du parcours du personnel politique et du processus de recrutement des « candidats », futurs élus21. À ce titre, elle se nourrit autant des logiques du genre biographique (A) que des apports des études électorales en renouveau (B). Récemment tournée vers les assemblées législatives de la Révolution française et leurs acteurs politiques, l’approche sociographique s’est avérée pertinente pour mieux connaître les législateurs de la Ire République, tout en présentant certaines limites.
A. Les apports du renouveau biographique
Le renouveau historiographique autour du premier moment républicain français ne s’est pas opéré de manière soudaine. Approcher la naissance de la Ire République à travers ceux qui l’ont imaginée, façonnée, votée et mise en application n’est pas résulté d’une démarche concertée ou structurée, mais d’un cheminement par à-coups marqués par le rapprochement progressif de plusieurs branches de l’histoire politique, comme la biographie et la prosopographie, l’histoire électorale, sociale ou de la presse politique. Une lecture critique des dictionnaires de biographies parlementaires usuels22 a conduit à pointer, pour ces œuvres aux ambitions originellement totalisantes des députés et de leur « carrière », un manque de fiabilité s’accentuant au fil des apports historiographiques23. Tout en conservant le principe d’un répertoire systématique des législatures successives, les dictionnaires publiés à partir des années 1980 ont eu pour préoccupation de réinvestir les trajectoires d’acteurs politiques, y compris de ceux parfois qualifiés de « seconds rôles24 », « sans-grades25 » ou « déclassés26 ». Débusquer les « invisibles », « discrets » ou « muets » ne répondait plus seulement à un dessein classificatoire, mais encore à une réflexion sur l’éligibilité biographique et les silences en politique. Motif disqualifiant ou discriminant, l’absence ou le déficit de postérité a ouvert de nouvelles perspectives épistémologiques autour de l’anonymat ou de l’ostracisme en politique. L’intégration de la biographie dans le champ universitaire a conduit à réévaluer un genre « composite27 » longtemps stigmatisé comme « impur » en raison de son caractère anecdotique et éditorial28 comme à revoir le bien-fondé des critères de dignité d’un personnage à la biographie29. Bien des députés conventionnels ont été délaissés par les historiens en dépit d’une certaine visibilité publique durant la Révolution. Les itinéraires singuliers de Collot d’Herbois, Merlin de Douai, Jean-Louis Carra, Prieur de la Marne ou Pons de Verdun ont progressivement fait surface dans l’historiographie récente de la Révolution française, mettant en lumière leur ascension sociale et politique comme leur contribution à l’édification républicaine30, par leur réflexion théorique sur le plan politique ou constitutionnel sur la République à inventer et organiser31. À l’inverse des méconnus, des figures emblématiques frappées d’une damnatio memoriae, telles que Robespierre32, Marat ou Danton33 ont fait l’objet d’un réexamen historique survenant précisément au moment de débats nouveaux sur le mythe de la « Terreur34 ». À ce titre, leur image publique envisagée à travers l’analyse des écrits des mémorialistes, des notices biographiques et des ego-documents (mémoires des conventionnels, correspondances) a bénéficié d’une dynamique historiographique35. Associées à une meilleure connaissance et une réévaluation des sources manuscrites souvent dispersées entre les fonds nationaux36 et provinciaux, ces différentes productions à vocation biographique, prosopographique ou anthologique ont contribué à une approche plus fine sur le plan sociologique des 749 représentants du peuple ayant siégé à la Convention nationale, mettant en exergue leurs origines sociales, professionnelles, leurs situations patrimoniales, leurs sensibilités politiques, leurs idées sur le républicanisme, leurs prises de parole et de positions lors de votes clés (procès de Louis XVI, par exemple) comme en dehors de la salle législative dans les sections parisiennes en ébullition, dans les salons (Roland, Keralio) ou les clubs politiques (Cordeliers, Jacobins). Si l’ensemble, telle une galerie de portraits, peut servir à dégager certaines propriétés sociales du corpus des conventionnels, la démarche biographique comporte aussi le risque de l’illusion37 par une impression d’homogénéité organique. En effet, la structure de la culture politique révolutionnaire ignorait, au nom de la souveraineté populaire, l’idée même de « professionnalisation » de la politique, de « candidatures » officielles, de campagne électorale, de partis politiques38, de logique de « carrière », autant d’indicateurs habituels de la sociographie moderne. Tout au moins les développements historiographiques relatifs à la culture électorale et à la rhétorique républicaine ont-ils aidé à mieux saisir les législateurs de la Ire République, leurs comportements et leurs pratiques dans les commencements de la démocratie représentative.
B. L’entrée en Convention et en République en renouveau
Après un « âge d’or39 » au moment du Centenaire de la Révolution française, l’histoire électorale a connu une « redécouverte » au tournant des années 1960-1970 avec la naissance d’une sociologie électorale de la Révolution40. Un deuxième rebond s’est produit autour de la question de l’engagement, du recrutement et de la représentation en politique dans les années 1990 avec les travaux de Patrice Gueniffey, Malcolm Crook ou Melvin Edelstein, opérant un renouvellement de l’histoire sociale et politique41 et contribuant à esquisser une sociologie de la sociabilité en politique42 et d’acculturation de la démocratie, des opinions et des votes. S’agissant de la « campagne électorale » des mois d’août et septembre 1792, l’historiographie a montré qu’en dépit d’une augmentation de la masse électorale avec l’instauration du suffrage universel masculin et la suppression du cens, le taux de participation dans les assemblées primaires et électorales avoisina les 16%, ce qui peut s’expliquer en partie par la proximité calendaire de l’appel aux urnes, le danger militaire aux frontières et les massacres dans les prisons de la capitale (2-6 septembre 179243).
Les études sur la Convention nationale élue en septembre 1792 ont permis non seulement de relativiser l’influence des clubs dans le processus électoral44, mais encore de mieux préciser sa composition sociale : sa jeunesse, avec une moyenne d’âge de quarante-quatre ans, et son inexpérience législative, les deux tiers étant constitués de primodéputés45. Si les professions juridiques étaient représentées majoritairement, transportant ainsi dans l’Assemblée une rhétorique du prétoire et un savoir technique du droit, il a aussi été souligné la proportion notable d’hommes de lettres (les frères Chénier, Fabre d’Églantine, Pons de Verdun) et de journalistes (Brissot, Carra, Desmoulins, Dulaure, Fréron, Marat, Tallien46), favorisant la propagation d’un courant républicain, une forme de démocratie directe et une surveillance du pouvoir politique par l’opinion publique. Cette double qualité intéressera la définition du statut de député dès janvier 1793 au comité de législation47. Deux mois plus tard, parce qu’« un représentant de la nation doit tous ses moments à la République48 », la Convention décida le 9 mars 1793 d’ériger une incompatibilité entre les fonctions de législateur et celles de « rédacteur de journal49 ». Les analyses récentes des séances inaugurales marquées par l’abolition de la royauté (21 septembre 1792) puis le lendemain par l’entrée dans l’an I de l’ère républicaine ont mis en évidence, à partir du registre C II des Archives nationales50, l’influence d’une surreprésentation numérique et oratoire des anciens députés de la précédente législature alors présents à Paris sur la question d’un changement de forme du gouvernement après la suspension provisoire du roi (10 août 179251). La proclamation d’une République, « une et indivisible » (25 septembre 1792), visait à répondre provisoirement à la crise constitutionnelle ouverte depuis la fuite de la famille royale par Varennes et le vide de l’exécutif, assurer la continuité de l’administration de l’État, préserver et développer les acquis démocratiques et sociaux de la Révolution tout en essayant de la canaliser dans l’attente d’un nouveau projet de constitution à proposer au peuple français. La « République imprécise52 », proclamée sans débat d’envergure ni solennité particulière53, est donc un horizon mêlé d’incertitudes et de contradictions à résoudre sur sa nature et son contenu à adapter à un territoire géographique étendu54. L’effervescence « parlementaire » autour d’un idéal républicain démocratique à atteindre s’accompagne d’une construction politique et culturelle du républicanisme qui transforme la rhétorique et la pratique délibérante du législateur. La vertu publique qui inonde le discours législatif à partir de juin 1793 devient une norme du comportement aux multiples expressions fortement inspirées des idées de Montesquieu : amour de la patrie et des lois, dévouement inconditionnel du législateur à la chose publique55. À travers cette « caractérologie » du député républicain vertueux se dessinent comme en négatif les traits de l’antirépublicanisme prenant la forme de la corruption et du complot. La technique de l’appel nominal, récemment analysée, constitue une composante de l’action législative sous la Ire République et devient un moyen de contrôle et d’influence sur la prise de parole et les opinions56 interprété comme l’amorce d’une modernisation de la vie politique, de l’apparition d’une « ébauche57 » de « proto-partis » politiques et des débuts du pluralisme dans le débat « parlementaire58 ».
À l’instar des deux précédentes assemblées législatives de la Révolution, la Convention résiste à une sociographie des groupes dans la mesure où elle n’abrita aucun « parti » politique structuré autour d’un programme idéologique et d’une discipline collective de votes59, nonobstant la formation de fait de noyaux de représentants du peuple autour de figures oratoires. S’employant à affiner au sein de cette assemblée géante, hétérogène et mouvante la répartition des forces politiques, l’historiographie anglo-saxonne60 et française61 de la Révolution a apporté de nouvelles analyses sur « une guerre des mots » de laquelle émergent et se densifient les désignants « montagnards » et « girondins62 ». Réplique aux accusations ou dénonciations « d’anarchie » ou de « dictature » formulées par un groupe de conventionnels unis autour de Brissot et Roland à l’encontre de Marat, Robespierre ou de leurs soutiens, le terme « Montagne » devient ensuite un procédé de légitimation autour de références unificatrices comme la vertu publique ou le bonheur commun63. Nébuleuse d’indécis dont les votes accordés au gré des évolutions politiques arbitraient les duels partisans, « la Plaine » a également suscité un regain d’intérêt depuis le réinvestissement historiographique du « moment thermidorien64 ». Bien des thèmes politiques, comme la conduite de la guerre, la création d’une garde départementale ou le sort du roi et son procès, ont montré, d’une part, une absence d’unité de votes au sein même des « groupes » politiques identifiés par les historiens, d’autre part, le passage d’une tendance politique à l’autre, à l’image du « reclassement » des députés Barère, Saladin ou Carra, ce dernier qualifié de « personnage inclassable65 ». Moment clé de la Ire République et marqueur politique des députés conventionnels dans les monographies du début du xxe siècle66, l’acte régicide a suscité de nouveaux développements à partir des années 198067, permettant d’ouvrir des chantiers de recherche peu explorés sur les indésirabilités politiques et les productions d’exil68.
II. La mise en lumière des rouages législatifs dans la construction de la Ire République
Sous la Révolution, l’idée même de « professionnalisation » du parcours « parlementaire » aurait signifié la promotion d’une aristocratie élective. Pour autant, l’efficacité du travail législatif imposait une structuration de sa préparation et la concentration de compétences techniques au service d’une politique nationale définie et impulsée par la Convention nationale, autorité suprême réunissant entre ses mains les pouvoirs constituant, législatif, exécutif et judiciaire. À ce titre, les comités, notamment le comité de législation, son personnel et son rôle dans la construction juridique de la Ire République, ont connu un renouveau historiographique (A). L’institution des conventionnels en « missionnaires de la République », législateurs envoyés dans les départements à partir du printemps 1793, constitue une pratique originale et éclairante des interactions entre le national et le local, également mise en valeur (B). Comités permanents et missionnaires répondaient aux nécessités à la fois d’une rationalisation de la fabrique des lois, d’une efficacité de l’action gouvernementale et d’une adaptation de celle-ci en temps d’exception.
A. Le regain historiographique autour des comités de la Convention
Si le bicentenaire de la Révolution française s’est accompagné d’un regain d’intérêt de la part des historiens du droit pour les comités de la Convention nationale69, c’est à partir de 2010 qu’a été mis en exergue leur rôle charnière entre fonctions législative et exécutive70, avec le programme ANR-RevLoi (2009-2013) et des thèses de doctorat sur le comité de salut public71 et le comité de législation72. En effet, dès le mois de mars 1793, le comité de législation élabore une série de lois répressives visant à sauver la République menacée à l’intérieur et à ses frontières (prêtres réfractaires, émigrés), en attente d’une assise constitutionnelle et des institutions propres à régénérer la nation. Outre les missions traditionnelles d’élaboration des projets législatifs, les comités (trente au total) forment des rouages de plus en plus sophistiqués de l’administration publique au cours de la législature, écoutent le peuple à travers un traitement massif des pétitions individuelles, exercent la surveillance des tribunaux et administrations locales dans l’application d’un droit révolutionné. Émanation de la Convention, le comité de législation s’emploie par la loi à inscrire dans les institutions et à enraciner dans les mœurs les principes du régime républicain tant dans le droit commun que dans l’exception juridique vers le printemps 179373. Instauré pour garantir la fondation de la République, le gouvernement révolutionnaire « jusqu’à la paix » proclamé le 10 octobre 1793 s’accompagne de la suspension provisoire de la Constitution du 24 juin 1793 et achève le processus d’entrée dans un régime d’exception, transition complexe et parfois contradictoire vers une République démocratique et sociale au destin fragile et contrasté74. Dans ce cadre, le comité de législation apparaît comme un organe législatif essentiel et pragmatique tant dans la définition des modalités d’exécution des lois de la République que dans leur modulation, avant d’être affaibli par le comité de salut public placé au cœur de l’action gouvernementale jusqu’au décret du 7 fructidor an II – 24 août 1794 réorganisant les comités après le « moment thermidorien ». L’étude du personnel des comités a aussi conduit à s’interroger sur de possibles stratégies individuelles de députés se mettant à l’abri des débats orageux et des luttes fratricides sévissant au sein de la Convention (éviction de vingt-neuf députés girondins le 2 juin 1793, par exemple), ouvrant ainsi un champ de relecture des dynamiques politiques dans la fondation républicaine75. Grâce aux travaux de Pierre Serna sur le « girouettisme76 », de Michel Biard sur la mort en politique77, ou de Sophie Wahnich sur les émotions78, violences du débat parlementaire et pratiques épuratoires de la Convention sont devenues de nouveaux objets d’histoire79.
B. Les législateurs de la Convention, « missionnaires de la République » dans les départements
Souvent partiales et incomplètes au xixe siècle80, circonscrites à des monographies locales81, les études sur l’institution révolutionnaire des « missionnaires de la République » envoyés dans les départements ont connu un jour nouveau vers la fin des années 1990, notamment avec les travaux de Michel Biard82, qui en a proposé une analyse d’ensemble battant en brèche des « légendes noires » et contre-vérités historiques autour de personnages qualifiés de « proconsuls omnipotents » aux « pouvoirs illimités83 ». Dans le fil d’une réflexion renouvelée sur un prétendu « système de la Terreur », des études de cas ont vu le jour autour de protagonistes controversés tels que Carrier, dont la mission à Nantes fut marquée par des « noyades en masse84 », ou Collot d’Herbois associé à des des « fusillades » à Lyon en octobre 179385, accusés de « terrorisme » par la Convention « thermidorienne », qui ne continua pas moins d’user de l’exception et de l’envoi de représentants en mission. Poursuivant une pratique ponctuelle des précédentes législatures, la Convention en a « institutionnalisé » l’emploi à compter du décret du 23 février 1793 ordonnant la levée de 300 000 hommes pour remédier aux sous-effectifs militaires puis du décret du 9 mars 1793, hors de tout cadre constitutionnel86. Puisés au sein même de la Convention, investis de son autorité, ces législateurs itinérants désignés sous le nom de « représentants du peuple en mission » (décret du 4 avril 1793), chargés d’accélérer le recrutement dans l’effort de guerre, deviennent un rouage de la politique de salut public pour organiser le gouvernement révolutionnaire dans les départements à compter du décret du 9 nivôse an II – 29 décembre 1793. L’historiographie a ainsi mis en lumière le rôle d’intermédiaires politiques et culturels des députés conventionnels entre le pouvoir central et la province, au contact du terrain et du pouls de la France, les enjeux entre mandat national, attaches aux terres d’élection et défense des intérêts locaux, pour permettre certes la victoire de la République sur ses ennemis intérieurs et frontaliers, mais aussi la réalisation du projet politique de l’an II87.
Dernière assemblée législative monocamérale de la Révolution, point unique du gouvernement de la France entre 1792 et 1795, la Convention nationale par laquelle advint la République fut aussi celle qui la fit entrer dans une phase temporaire d’exception politique pour tenter de la stabiliser et de la faire rayonner dans un contexte de crise politique, économique, sociale et militaire88. Si cette République en « état d’apesanteur constitutionnelle89 » s’accompagna d’une radicalisation de la répression, elle n’entraîna en aucune manière la disparition d’un cadre légal90. L’analyse des dernières avancées historiographiques autour du lien entre la Convention nationale et la Ire République confirme non seulement un renouveau des approches méthodologiques et thématiques par l’interdisciplinarité, mais encore permet, en replongeant dans les origines, de donner la mesure de la complexité de sa construction comme de l’actualité de l’héritage républicain des droits de l’homme et du citoyen dans notre droit constitutionnel. Elle démontre aussi que l’histoire de la Convention, pivot central de la Ire République, et de son vivier « parlementaire » est assurément loin d’être terminée…