Étudier le Parlement semble facile. On met rarement sa vie en jeu du côté du boulevard Saint-Germain, même si le terrain peut être plus risqué dans des assemblées plus lointaines1. Souvent d’ailleurs il n’est pas, ou plus, nécessaire de se déplacer tant les assemblées rendent accessibles, via leur site internet, un énorme volume de données courant sur plusieurs siècles. Fondée sur une norme démocratique ancienne et répandue, l’obligation de transparence associée à une partie des activités parlementaires facilite à l’évidence son étude. Par ailleurs, les acteurs du monde parlementaire sont à la fois plus nombreux qu’avant et que dans les autres organisations politiques. Le petit monde du Palais-Bourbon comprenait environ 1 500 personnes jusqu’aux années 1970. On peut l’évaluer à environ 4 000 personnes aujourd’hui en additionnant les élus, fonctionnaires et collaborateurs2. Il y a donc matière à analyser ces groupes, leurs divisions du travail, leurs humeurs et leurs mythes. En outre, les institutions parlementaires des démocraties avancées font preuve d’une relative bienveillance vis-à-vis de ceux qui souhaitent les étudier. Elles financent la recherche, chichement ou généreusement selon les pays. Elles mettent à disposition diverses statistiques agrégées ainsi que des archives. Elles permettent parfois d’arpenter sans trop de contrôle les couloirs.
D’une façon plus générale, l’étude du Parlement est facilitée par la matérialité de l’objet3. Là où l’étude de concepts plus abstraits (l’État4, la Couronne) ou plus évanescents (la violence, la légitimité) suppose parfois de constituer l’invisible en institutions5, le Parlement s’impose par ses murs, ses agents, ses textes et ses procédures. Sans être une institution totale6 (puisqu’on peut en sortir et qu’il a ses coulisses), c’est totalement une institution. La « preuve par la dorure » évite à l’épistémologue de se perdre en conjectures et permet aux comparativistes de dialoguer utilement. Pourtant, la recherche contemporaine sur les parlements ne se révèle pas, à l’épreuve, aussi solide que l’institution qu’elle étudie.
I. Difficile Parlement
L’analyse du Parlement bute en effet sur de sérieux écueils. Parmi d’autres, une phrase de l’ouvrage-maître de Donald Searing met en garde le passionné de la chose parlementaire quant à la difficulté de réellement connaître cette institution, en l’occurrence la Chambre des communes : « For the more I became immersed in Westminster’s many worlds, the more I realized how little of these worlds I was actually seeing7. » Parce que l’institution est relativement complexe, partiellement secrète et diversement codifiée, il n’est en effet pas aisé de véritablement la connaître. Cette difficulté est sans doute renforcée dans certains pays comme la France, où le « désir d’insularité8 » de l’institution vis-à-vis de l’État contribua à lui donner une place à part dans l’espace public, d’ordre hétérotopique, loin de l’État parlementaire britannique9, du parlementarisme pur à l’italienne ou de la mission rédemptrice du Bundestag. D’une façon plus générale, la complexité du Parlement et donc de son étude naît non seulement de la diversité des fonctions sociales qui lui sont assignées, mais également de l’absence d’articulation entre les clivages qui le structurent : le politique et l’administratif, le législatif et le contrôle, la généralité (du droit) et la spécificité (des problèmes publics), la négociation et la représentation, l’écrit et l’oral, les citoyens et les territoires… La dualité de nombreuses institutions ou concepts associés au monde parlementaire exprime ce pluralisme consubstantiel : Lassay et l’hémicycle, l’Assemblée et le Sénat, les commissions et la séance, le scrutin d’arrondissement et le mythe de la représentation nationale…
Cette complexité fait sans doute les délices des sciences juridiques et sociales qui peuvent trouver là, d’une certaine façon, une justification de leur prétention à connaître le réel via l’application rigoureuse d’une méthode et l’accumulation d’une expertise. Si le Parlement était d’une lecture facile, il ne mériterait peut-être pas des traités et encyclopédies et, désormais, une revue. Cependant, elle pose un problème fondamental en ce qu’elle laisse ouvertes des questions simples. Pour en citer quelques-unes : les parlements d’Europe pèsent-ils, d’une façon générale, sur l’action publique ? Le Parlement français est-il si faible qu’on le dit souvent ? Observe-t-on, à l’échelle des démocraties avancées, un renouveau du parlementarisme10 ? Est-ce le cas en Belgique en dépit du fédéralisme11 ? En France, le bilan de l’ample révision constitutionnelle de 2008 est-il globalement positif ? Les parlements nationaux sont-ils parvenus à trouver leur place dans la gouvernance multiniveau de l’Europe qui voit une partie de la législation leur échapper de facto ? Au-delà de l’influence étroite sur la loi, les parlements constituent-ils un frein au tournant autoritaire de la période contemporaine ou participent-ils d’une dynamique de polarisation ?
La ressemblance entre cette liste et des sujets de « grands oraux » n’est pas fortuite. Elle signifie que les réponses à ces questions ne font pas consensus chez les spécialistes. On peut en effet trouver de bonnes raisons d’argumenter dans un sens ou dans l’autre, à la manière mécanique des plans en deux parties. Si elle peut alimenter heureusement les débats médiatiques, et si l’unanimisme ne constitue certes pas un critère d’excellence de la recherche, l’ampleur de cette indétermination signe au fond un échec sur le plan scientifique. La science a sans doute besoin de mystères à résoudre, de complexité à démêler et de certitudes à démystifier, mais elle a tout autant besoin d’y parvenir, un tant soit peu. En matière parlementaire, il nous semble, pour le dire de façon nette, que le compte n’y est pas. Des travaux aboutis sont certes publiés sur le sujet. Des colloques passionnants se tiennent. En France, les thèses d’histoire, de droit et de science politique sont, à nouveau, plus nombreuses.
Cependant, ce relatif « retour au Parlement12 » s’opère dans le désaccord épistémologique, ce qui non seulement nuit à la cumulativité de la recherche mais, plus fondamentalement, dément sa prétention à offrir une compréhension du monde. Dans le détail, les résultats des travaux des spécialistes sont souvent probants. On sait par exemple que la révision de 2008 a rénové le rôle de la séance dans la procédure législative13. Pourtant, ces pierres de la vérité scientifique ne parviennent pas à monter un mur qui tienne droit et permettrait de mettre à l’abri certaines certitudes d’ensemble. Les parlements des États modernes sont-ils des composantes marginales de leur système politique ? Face à cette question centrale, la recherche est au mieux désunie, au pire démunie. Sauf à succomber aux charmes toxiques du relativisme ou de la post-vérité masqués par la critique superficielle du positivisme caricaturé des legislative studies14, il est difficile de s’en réjouir et nécessaire d’approfondir le diagnostic.
La charge normative de la question parlementaire explique-t-elle ces divergences épistémologiques majeures quant au rôle du Parlement ? Il est vrai que des désaccords de type idéologique sur la nature et la valeur du régime constituent une spécificité française compte tenu de l’ampleur du changement institutionnel opéré en 1958 et des critiques dont fait l’objet le régime qui en est issu, y compris sous la forme dégradée qui est la sienne depuis 1986, voire dégénérée depuis 2022. La domination ordinaire du président conduit souvent à considérer a priori que le Parlement y joue un rôle secondaire, sinon marginal. Ainsi, un éminent collègue a-t-il pu, par exemple, établir d’emblée l’inanité de la révision constitutionnelle de 2008 rebaptisée « Constitution Sarkozy15 » ? Ainsi, une éminente collègue a-t-elle pu écrire que le régime de la Ve République ne respectait pas l’État de droit16 ? À l’inverse, Guy Carcassonne, tout à son entreprise de normalisation de ce régime, fit valoir, au risque de l’exagération, que « contrairement à une idée reçue, le Premier ministre britannique, le chancelier allemand ou le président du gouvernement espagnol sont au moins aussi puissants, chacun dans son pays, que le président de la République en France17 ».
Pour prégnante qu’elle soit, la normativité des institutionnalistes ne constitue pas un problème insurmontable pour peu que les chercheurs travaillent et que le débat soit de bonne foi. Ainsi, l’éminent collègue est partiellement revenu sur ses écrits dans des publications ultérieures18, l’éminente collègue a décrit avec précision l’indispensable commerce symbolique entre les Premiers ministres et la majorité parlementaire, et le regretté Carcassonne s’est plaint, à l’inverse, du « goût de banane » de la Ve République19. En outre, les désaccords politiques sur la Ve République, à gauche notamment20, peuvent d’autant plus être mis à distance par la recherche que les milieux universitaires connaissent, avec quelques retards, le phénomène de désidentification partisane, voire de dépolitisation touchant l’ensemble de la société.
À la réflexion, la difficulté à s’accorder sur des résultats agrégés d’ampleur s’agissant des parlements tient, outre sa complexité, à deux éléments développés dans la suite de cette contribution : l’incomplétude des méthodes et l’étanchéité des approches disciplinaires.
II. Un problème de méthode
En janvier 2015, la discussion du projet de loi Macron s’engage21. Conformément à une stratégie concertée, le député socialiste Luc Belot dépose des amendements rédigés par Uber. Ils sont ensuite rejetés ou retirés mais permettent à Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, d’annoncer un décret allant dans leur sens. Ces informations, révélées par un consortium international de journalistes, sont issues d’une source anonyme, vraisemblablement interne à l’entreprise californienne. Les sciences juridiques et sociales offrent des outils imparfaits non seulement pour faire de telles découvertes mais également pour analyser des stratégies aussi complexes. Il est vrai que les principales méthodes disponibles pour étudier le Parlement posent chacune des problèmes propres22.
A. Compter : les faux-semblants du chiffre
La critique de la statistique parlementaire n’est pas neuve23. Elle englobe à la fois la pertinence de ce type de données et, plus récemment, les effets de la focalisation quantitative sur l’activité des parlementaires eux-mêmes. Il est vrai que l’agrégation quantifiée d’activités parlementaires conduit à mettre sur le même plan des éléments secondaires et importants. Ainsi, il a été établi pour une loi donnée que 38 % des amendements adoptés en commission à l’Assemblée nationale et la moitié de ceux adoptés en séance publique avaient une vocation purement rédactionnelle24. Voilà qui relativise le fait que la taille des textes législatifs en projet double lors de leur passage au Parlement.
S’agissant de l’influence parlementaire, l’approche quantitative ne fait pas la distinction entre l’officiel et l’officieux. Certaines propositions de loi, par exemple, sont téléguidées par l’exécutif pour des motifs procéduraux et/ou politiques. La part importante de propositions de loi adoptées ces dernières années – souvent plus de 50 % – signifie d’autant moins que la moitié de la loi est issue du Parlement que ces textes portent, en général, sur des sujets éloignés des premières préoccupations des Français.
Enfin et peut-être surtout, l’approche quantitative ne permet pas de saisir des pans entiers de l’activité parlementaire qui semblent rétifs à la mise en cellule Excel. Dans une conceptualisation empruntée aux chaînes de délégation, il n’est pas étonnant que l’essentiel de la législation provienne, dans les faits, du gouvernement. En revanche, il est crucial pour la majorité parlementaire que l’activité gouvernementale s’inscrive dans une « zone de décisions » acceptable pour elle. Dans une approche de choix rationnel, on comprend que ce win set fait l’objet d’une évaluation constante de la part de l’exécutif qui, sans être tenu de la respecter, pèse sur les coûts et bénéfices du fait de l’outrepasser. Or cette influence parlementaire est aussi cruciale qu’incommensurable. En outre, les parlementaires agissent très souvent en lobbyistes vis-à-vis du gouvernement, de la haute administration et des collectivités locales. À l’évidence, ces rendez-vous entre deux portes, ces bristols portés par huissiers dans l’hémicycle et autres messages électroniques sur boucles Telegram cryptées se prêtent mal à la quantification.
À ces critiques presque canoniques s’ajoute un procès en insincérité de la statistique parlementaire. Il est vrai que les assemblées, préoccupées par leur image, soignent leurs chiffres. C’est notamment le cas du Sénat, travaillé par un souci de légitimation qui imprègne non seulement sa communication mais aussi ses activités elles-mêmes25. Les données ne sont certes pas manipulées mais les agrégats les plus avantageux pour l’institution sont mis en avant avec constance, par exemple le taux de reprise des amendements sénatoriaux par la chambre basse ou la faible part des derniers mots laissés à l’Assemblée. D’autres données, a priori moins avantageuses et pourtant connaissables sinon connues, comme le taux de présence des parlementaires, sont passées sous silence.
Autre exemple commun aux deux assemblées, les données relatives à l’origine professionnelle des élus sont notoirement biaisées à la fois par les déclarations des parlementaires et la façon dont les fonctionnaires les enregistrent26. Encore une fois, les élus ne s’inventent pas des parcours professionnels fictifs mais ils peuvent mettre en avant une brève expérience pour se présenter avantageusement et notamment masquer les dynamiques de professionnalisation de la vie politique.
À un niveau individuel, nombre de parlementaires agissent également en ayant en tête leurs statistiques individuelles telles que relevées sur les sites Nos Députés et Nos Sénateurs. Une analyse économétrique menée à la suite de la diffusion d’un classement fin 2017 tend à montrer que les députés les moins bien classés se sont montrés plus actifs dans les six mois suivant sa publication, particulièrement dans les secteurs d’activité qui avaient été retenus par le journal27.
Le fait qu’une analyse quantitative permette de faire la démonstration du souci de la visibilité statistique des parlementaires témoigne, en creux, que tout n’est heureusement pas à jeter du côté des chiffres. Cependant, les amendements posent un problème particulier d’agrégation compte tenu de l’hétérogénéité de leurs usages, au point que le sénateur Éric Kerrouche, spécialiste des parlements dans une vie professionnelle antérieure, en vienne à affirmer : « J’ai fini par en conclure qu’il n’y avait pas de façon satisfaisante de compter les amendements28. »
B. Questionner : l’illusion de la confidence
En s’élargissant, le monde parlementaire a multiplié le nombre d’acteurs que l’on peut interviewer. Les entretiens menés aux Palais sont souvent riches non seulement pour ce qui y est dit mais également pour leurs à-côtés. Les quelque deux heures accordées par un élu de territoires ultra-marins en disent long sur un certain désœuvrement et sur sa solitude parisienne. L’emportement d’un conseiller des services du Sénat à la question de l’influence d’une délégation indique en creux que l’on a touché juste. Les petits services rendus (ou promis) par des élus avenants – distribution de documents, mise en relation avec un tiers… – constituent une sorte de reproduction expérimentale du travail d’entretien de l’éligibilité mené en circonscription. La fougue mise à défendre une position donne une idée du discours tenu lors de discrètes rencontres avec les ministres29. Enfin, la décoration et l’état des bureaux individuels des parlementaires au Palais en disent long sur ce que l’élu veut montrer de lui-même (le portrait de De Gaulle, par exemple) et sur ce qui lui échappe (les étagères vides, par exemple). Pour autant, l’entretien mené au Parlement pose de sérieuses difficultés30.
Le principal écueil est évident et classique : les acteurs tendent à élaborer un récit qui les valorise ou soutient leur point de vue. On ne compte plus, par exemple, les pères des délégations aux affaires communautaires créées en 1979 ou du principe de la résolution européenne constitutionnalisé en 199231. S’agissant de la question de l’influence, le point de vue défendu varie selon le type d’acteurs. Pour le dire rapidement, les élus de l’opposition font systématiquement reproche au gouvernement de négliger les droits d’un Parlement dépeint comme impuissant, les fonctionnaires parlementaires tiennent un discours nettement plus valorisant pour l’institution (sauf à établir des relations de proximité avec eux) et la ligne des parlementaires de la majorité est plus fluctuante.
Le problème de la manipulation en entretien mené avec des élites est certes classique et peut être combattu en recoupant et surtout en diversifiant les sources. Il est cependant particulièrement aigu s’agissant des assemblées pour trois raisons. L’observateur peut être d’abord victime d’un biais de sélection : les élus sont généralement très compétents en matière orale et, pour la plupart, sympathiques. Cette dernière remarque ne relève pas, du moins l’espère-t-on, d’une forme de complaisance fascinée du politiste vis-à-vis du politique32 mais de la logique de séduction au cœur du processus électoral. La passion mimétique qui entoure ceux qui gravitent autour des politiques – chercheurs compris –, dont parle Marc Abélès, en offre une illustration33. Si l’on se met à parler, à marcher, à jurer comme les parlementaires quand on les côtoie, difficile également de ne pas les croire. Le biais de sélection dépasse en fait la question du crédit accordé aux acteurs dès lors que le terrain est mené exclusivement dans les locaux centraux du Parlement au sein desquels certains parlementaires sont peu présents.
Deuxièmement, et de façon plus fondamentale, le secret constitue souvent (mais pas toujours) une condition de réussite de l’influence parlementaire. Les jeux de négociation politique opèrent typiquement à deux niveaux interdépendants portant sur ce qui est fait et ce qui est dit. Tel député attaché à telle mesure, par exemple la prohibition des spectacles d’animaux, parviendra parfois à convaincre le ministre s’il renonce à endosser la paternité publique de la réforme. C’est à ce prix qu’on le laissera faire pour une multitude de raisons. À l’inverse, un autre député aura la chance d’apparaître comme l’auteur d’un amendement pourtant soufflé par le cabinet du ministre tenant soit à s’en faire un allié, soit à ne pas s’exposer à un risque politique. En d’autres termes, l’élucidation de l’influence au sein des jeux parlementaires, que vise une partie de la science politique et de la sociologie du droit, constitue un enjeu crucial pour le monde politique lui-même quand elle est menée à chaud. La remarque vaut certes pour tout processus décisionnel politique contemporain au-delà du monde parlementaire. Cependant, la nécessaire publicité de certaines phases de la procédure législative quand elle arrive dans les assemblées d’une part, et le mode complexe34 de régulation intramajoritaire d’autre part lui donnent une acuité particulière au Parlement.
Troisièmement, il y a lieu de s’interroger sur le fait de savoir si, avant même de chercher à tromper l’enquêteur, les parlementaires ne se trompent pas eux-mêmes. Qu’il me soit permis de donner un exemple de lecteur pour m’expliquer. Un excellent ouvrage sur l’influence à Westminster souligne que les parlementaires tendent presque systématiquement à minimiser l’influence de leur institution, à l’inverse des hauts fonctionnaires gouvernementaux35. Il s’agit là d’une observation que je m’étais faite maintes fois dans le cas français. Le fait qu’elle soit formulée par d’autres, à Londres, après avoir été diagnostiquée à Paris lui donne quelque crédit. Certains parlementaires se trompent sans doute de bonne foi sur l’influence, non pas tant de leur personne, mais de leur institution. Cela tient non seulement au fait qu’il soit difficile d’y exercer simultanément comme acteur et comme analyste mais également à la nature à la fois concentrée, partiellement secrète et nécessairement complexe des jeux parlementaires. Les élus influents ne sont souvent qu’une poignée comprenant le président de groupe, le rapporteur, quelques experts et autres élus mobilisés par la question. Les parlementaires de l’opposition en sont très rarement. Ceux de la majorité peuvent ne pas saisir les jeux réels d’influence non seulement relativement à tel dossier, mais également, pour beaucoup d’entre eux, au long d’une législature entière. Un certain dilettantisme vis-à-vis des activités centrales des assemblées, longtemps entretenu par le cumul des mandats, peut y participer, de même que la nécessité d’une relative opacité évoquée ci-dessus. En outre, les parlementaires français trouvent dans une vague référence à « l’esprit de la Ve République », répétée comme un mantra en entretien, matière à rationaliser leurs frustrations ou à masquer leur impuissance36. Enfin, dans un univers aussi thermostatique que les milieux politiques, les propos tenus sont étroitement dépendants du contexte temporel, qu’il s’agisse des phases de sur ou de sous-politisation37, ou des cycles électoraux. Bref, le monde parlementaire n’est pas nécessairement le meilleur expert de lui-même.
Au-delà des problèmes de véracité des propos tenus en entretien, on peut enfin s’interroger sur leur intérêt épistémique. Comme on l’a fait valoir ailleurs38, l’opinion des parlementaires n’est pas toujours raccord avec leur comportement. C’est notamment le cas pour la discipline de vote, globalement rejetée dans les enquêtes menées auprès des élus (à droite, mais pas seulement) et globalement respectée dans les faits. De même, les élus déposent des dizaines de milliers d’amendements chaque année tout en estimant pour la plupart que cela ne sert à rien. De ce fait, l’étude de l’opinion des parlementaires revient vite à se demander pourquoi leurs pratiques ne sont pas légitimes à leurs yeux et comment ce type d’écart entre les faits et la norme est rationalisé. La question n’est pas sans intérêt mais l’on voit bien qu’elle fait glisser les sciences sociales sur une pente artéfactuelle, d’autant plus que le chercheur est souvent celui qui, en situation d’entretien, vient indirectement rappeler la norme aux parlementaires, par exemple celle de la souveraineté nationale, du désintéressement électoral ou de l’indépendance vis-à-vis des lobbies. Le risque est grand que l’analyse d’un métadiscours déconnecté de la pratique se substitue à l’étude de la pratique elle-même. Difficile de ne pas se faire la remarque en refermant la somme de Philip Converse et Roy Pierce consacrée aux attitudes des députés français à la fin des années 196039. L’analyse de leur opinion sur près de mille pages méritait-elle tant d’efforts et de sophistication quand la logique du parlementarisme rationalisé tournait à plein au Palais-Bourbon ?
C. Observer : le mythe de l’omniscience
La complexité et l’opacité des processus d’influence parlementaire semblent justifier la mise en place de protocoles ethnographiques, dont l’observation participante. La thèse fut défendue de façon convaincante par d’anciens collaborateurs parlementaires (re)devenus universitaires40. Être dans la pièce permet de comprendre le processus complexe d’écriture et de négociation des amendements. Fréquenter le Palais aide aussi à saisir les ressorts dominants du comportement des élus dont on sait qu’il est soumis à des contraintes contradictoires. À quel moment un élu de la majorité décide-t-il d’endosser publiquement une critique du gouvernement ? Difficile de réellement saisir le processus à l’œuvre sans observer les réunions de groupe et les discussions de couloir, comme le fit par exemple remarquablement la thèse de Damien Lecomte sur les frondeurs socialistes41.
Pour méritoire qu’elle soit, l’approche ethnographique soulève différents problèmes. Elle suppose parfois de mettre entre parenthèses sa qualité de chercheur, par obligation professionnelle ou contrainte d’emploi du temps. L’ethnologue se trouve ainsi en suspens dans des limbes para-universitaires, dans l’inconfort déontologique d’une identité masquée. Ensuite, la démarche conduit à mettre en avant sa subjectivité propre. En stage au Palais, Delphine Gardey estime par exemple que l’atmosphère des couloirs est machiste42. Sans tomber dans les travers d’un positivisme obtus, ce ressenti ne constitue pas en lui seul un énoncé de sciences sociales. De même, Marc Abélès, dont le titre de l’ouvrage participe d’ailleurs d’une auto-mise en scène, écrit dans ses carnets qu’il s’ennuie depuis la tribune du public au risque de renseigner le lecteur sur lui-même plutôt que sur ce qu’il étudie43.
Ce subjectivisme pose problème dans la mesure où l’ethnographe s’expose à être impressionné, voire manipulé. Différents travaux décrivent ainsi par le menu les rites parlementaires, par exemple ceux d’Emma Crewe sur la Chambre des Lords44. Ils font valoir que le rite constitue le cœur du dispositif parlementaire compte tenu de la densité symbolique et de sa capacité à capitaliser sur le passé pour produire du lien social. Pourtant, cette affirmation tient davantage du présupposé disciplinaire que de la démonstration. Les lecteurs sortent de ces travaux convaincus que certains comportements constituent des rites, au sens de l’anthropologie, mais pas nécessairement que ces rites sont cruciaux. Au-delà, l’ethnographie parlementaire témoigne parfois d’une forme de fascination pour l’institution, similaire à celle de l’historien politique pour les grands moments d’éloquence de la IIIe République. On se souvient par exemple des vives critiques développées vis-à-vis de l’ouvrage de Marc Abélès45.
De façon plus générale, il nous semble que la sacralisation de l’observation totale comme moyen d’accès à la vérité du Parlement est une impasse. Parce qu’elle est d’une part impossible : il restera toujours des portes closes et celles qui s’ouvrent conduisent au déplacement de la négociation dans des zones informelles46. Ainsi, les commissions mixtes paritaires font l’objet d’un compte rendu beaucoup plus détaillé qu’il y a vingt ans et ont pu même accueillir des observateurs mais deviennent de plus en plus des moments de validation de décisions prises auparavant47. En outre, comme le reconnaît Emma Crewe à l’appui de quelques anecdotes48, l’universitaire peut influencer ce qu’il étudie sauf à avancer masqué. D’autre part, l’obsession ethnographique peut rendre plus délicate la nécessaire montée en généralité de l’analyse. Elle expose les sciences sociales et juridiques à un travers descriptif et dévalorise au fond l’étude du Parlement depuis l’extérieur. On constate à cet égard que les fonctionnaires parlementaires, auteurs en temps réel d’une doctrine « technicienne ou organique »49, sont souvent les contributeurs précis, irremplaçables mais nécessairement complaisants de monographies relatives à telle ou telle procédure. Dit autrement, pour comprendre le Parlement, il faut peut-être accepter de ne pas tout en connaître.
D. Comparer : une universalité fallacieuse
La présence quasi universelle des assemblées parlementaires invite à la comparaison, même si le type de Parlement constitue rarement le critère crucial des travaux canoniques de politique comparée50. Cela tient en partie au fait que d’importantes différences subsistent au-delà de la proximité nominale, architecturale et symbolique des assemblées politiques. Lorsque les parlements appartiennent à des systèmes politiques différents du point de vue de leur démocratisation, le risque est facilement déjoué. La comparaison peut alors révéler qu’une procédure similaire peut avoir des effets différents selon le contexte. La publicité des votes des parlementaires, par exemple, peut s’avérer utile à l’opposition en démocratie alors qu’elle constitue un instrument de coercition du pouvoir en dictature51. Lorsque la comparaison porte sur des démocraties dites avancées, les pièges méthodologiques sont plus importants. Ainsi en est-il du taux de succès des propositions de loi, instrument possiblement individuel en France et nécessairement collectif en Allemagne. De même, une comparaison franco-britannique sur le taux de succès des amendements bute-t-elle sur le fait que, une fois acceptés par le Cabinet britannique, les amendements des backbenchers sont formellement repris à leur compte par le ministre. Même une procédure aussi analogue, en apparence, que les questions orales ne se prête pas aisément à la comparaison. Le temps moyen consacré à une question étant de trente secondes d’un côté de la Manche contre deux minutes de l’autre côté, une nécessaire pondération s’impose pour toute approche statistique. Ces éléments ne signifient pas que la comparaison soit inopérante en matière d’études parlementaires mais qu’elle requiert une approche contextualisée pour déjouer les pièges d’un quantitativisme pressé.
E. Lire : les non-dits de l’écrit
Les assemblées produisent un impressionnant volume d’écrits dont la lecture est indispensable à leur pleine compréhension. Le compte rendu des séances se singularise par sa continuité, son ancienneté, son exhaustivité et sa qualité52. Celui des commissions a gagné en précision depuis la révision constitutionnelle de 2008. En dépit de ces atouts, l’utilisation des comptes rendus doit être questionnée. Il s’agit, rappelons-le, d’un processus de passage à l’écrit d’une activité orale et visuelle. Cette transformation se traduit non seulement par une déperdition de sens – l’atmosphère n’est pas pleinement perceptible malgré l’effort pour en rendre compte53 –, mais également par une création de sens. La forme impose sa propre grammaire dont les règles ne sont pas identiques d’un univers à l’autre, songeons par exemple à la répétition de mots similaires, plus usuelle à l’oral qu’à l’écrit. Par ailleurs, le suivi d’une séance houleuse depuis la tribune suffit à convaincre que la mention des interruptions des orateurs au compte rendu est en partie subjective et aléatoire. Dès lors, son étude quantifiée doit être à la fois ramassée dans le temps (pour s’assurer que des conventions similaires de transcription sont à l’œuvre) et massive (pour dégager des tendances en dépit d’une marge d’erreur)54.
Concernant les juristes et historiens, l’étude des textes se heurte au secret d’une partie d’entre eux, à commencer par les précédents. « Plusieurs milliers de pages55 » sommeillent dans les fichiers de l’Assemblée sans pouvoir être consultées dans leur intégralité en dehors du service de la séance. Le fait d’être caché ne doit pas laisser penser que ces recueils jouent un rôle déterminant. Il demeure que leur analyse exhaustive est, en l’état, impossible. La question des précédents touche à un problème plus vaste pour le juriste, à savoir la possibilité de maîtriser en temps réel ce « droit d’initiés » qu’est le droit parlementaire56. La pleine connaissance de la vie parlementaire est difficile depuis l’extérieur des murs des Palais. Elle suppose souvent d’entretenir de bonnes relations informelles avec les fonctionnaires parlementaires, au risque de la manipulation ou de la déférence vis-à-vis de l’institution – déférence renforcée par la distribution de quelques ressources par les assemblées.
III. Un problème de focale disciplinaire
Le troisième défi d’ensemble s’agissant de l’étude des parlements tient à la focalisation disciplinaire. Objets pluriels, les assemblées peuvent être saisies au prisme de différentes disciplines et sous-disciplines dont on a tenté de faire le tour dans un traité comprenant pas moins de 23 chapitres en français57 et 26 en anglais58. Si la spécialisation disciplinaire se révèle indispensable pour une série de bonnes et moins bonnes raisons, elle fait courir le risque d’une perception biaisée de l’institution. On développe ici rapidement trois configurations.
A. Le droit sans la science politique
Le juriste peut donner trop d’importance à la règle vis-à-vis de sa pratique. Le problème est connu mais n’est pas facile à contourner. Prenons, par exemple, la question du contrôle des affaires européennes par le Parlement français. Sur le papier, le Parlement a obtenu d’importantes prérogatives en rupture avec le déséquilibre de la Ve République59. Les assemblées ont pu voter des résolutions européennes dès 1992. Deux ans plus tard, le gouvernement s’est engagé à attendre leur examen avant de se prononcer au Conseil. En 2008, les Délégations aux affaires européennes prenaient le titre de commissions et voyaient leur existence garantie par la Constitution, rien de moins. Pourtant, un examen au long cours de la réalité des affaires européennes m’a conduit à diagnostiquer un trompe-l’œil s’agissant de l’européanisation du Parlement60. En définissant trois critères d’un contrôle authentique, j’en ai conclu que celui des assemblées françaises était, au mieux, superficiel. Autre exemple : la Constitution française offre certes le dernier mot à l’Assemblée en cas de désaccord. Cependant, une approche purement juridique ne permet pas de saisir pourquoi cette possibilité n’est presque jamais utilisée lorsque la majorité est identique dans les deux chambres.
Au-delà de la question de la pratique que de nombreux juristes s’efforcent heureusement d’intégrer, le droit souffre également d’un biais doctrinal, et bien souvent doctrinaire, en matière parlementaire comme dans d’autres domaines. L’écart à la doctrine est généralement perçu par le prisme de l’erreur de la part des acteurs, au risque de s’éloigner de la réalité de l’institution. La plupart des députés tendent par exemple à se présenter comme issus d’un département spécifique. Les politistes nous semblent mieux armés pour comprendre ce qui pousse tel élu à se présenter, par exemple, comme « député du Morbihan » que le juriste, tenté de relever que cette appellation est impropre, compte tenu de la nature nationale de la représentation parlementaire à la française.
B. La sociologie politique sans le droit
Inversement, les politistes souffrent parfois d’une ignorance du droit – ignorance d’autant plus marquée en France, étant donné le tropisme sociologique de la science politique61, y compris en matière parlementaire62. Souvent, le droit est pris en compte sans erreur manifeste mais de manière superficielle. La plupart des ouvrages de politistes relatifs à la Ve République mentionnent par exemple à l’envi la séparation du législatif et du réglementaire comme preuve de l’affaiblissement du Parlement sous ce régime. Est ainsi systématiquement négligé le fait que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a largement amoindri la portée de cette révolution juridique. Une certaine aversion pour le droit est d’autant plus dommageable s’agissant de l’étude des parlements qu’une bonne partie de l’action parlementaire en emprunte le langage. Ainsi, le dépôt d’amendements et de propositions de loi ne s’opère pas seulement en réponse à des problèmes publics mais vis-à-vis d’un état du droit qu’il s’agit d’accommoder63. On observe à cet égard qu’une proportion importante des écrits des sociologues français tend à porter sur les à-côtés des assemblées (les assistants, la permanence, les courriers…), au détriment du cœur du travail en assemblée64.
La sociologie des institutions à la française a, d’une certaine façon, théorisé sa distance vis-à-vis du droit en affichant un refus du déterminisme de la règle juridique65. De son point de vue, le droit n’agit pas par une autorité propre mais par l’intermédiaire de croyances partagées et selon un jeu d’intérêt évolutif. Du reste, il est agi autant qu’il agit. Une telle épistémologie anti-téléologique n’interdit certes pas d’étudier le Parlement, notamment dans les phases d’institutionnalisation des régimes66. Elle peut cependant conduire à négliger le caractère structurant de certaines règles, à commencer par celle qui fonde, au sens constitutionnel, le parlementarisme, à savoir la censure. Dans le cas français, c’est bien le maintien d’un droit de censure relativement facile à actionner qui explique à la fois la variabilité des pouvoirs réels du président et les stratégies des Premiers ministres visant à entretenir leur éligibilité auprès de la majorité parlementaire. Au-delà, les sociologues français des institutions s’accordent à penser que « les institutions politiques objectivent l’ordre social67 », ce qui, s’agissant des parlements, est discutable68 et invite à privilégier d’autres terrains offrant une démonstration plus efficace.
D’une façon plus générale, en négligeant l’étude des procédures et de leurs usages, les sociologues peuvent se priver de la compréhension d’une partie des processus à l’œuvre compte tenu de la densité des règles organisant la vie des assemblées. Ainsi, dans son ample fresque relative à la stratégie d’insularisation de l’Assemblée nationale, Delphine Gardey choisit-elle, presque délibérément, de mettre de côté le rôle du droit, de la théorie juridique comme de la créativité normative des assemblées69. C’est ignorer que, sans le mélange d’autorité et de plasticité qu’offre la règle de droit, les assemblées n’auraient sans doute pas réussi à se constituer en « État hors de l’État70 ». On peut également contester le parallèle établi par Étienne Ollion entre la désélitisation sociale de l’Assemblée et sa prétendue marginalité institutionnelle71. Les fractions dominantes de la société tendent certes à se détourner de la vie parlementaire mais cela procède, nous semble-t-il, davantage d’une aversion pour la file d’attente que d’une dévalorisation de sa finalité. Du reste, elles ont profité à plein du coupe-file qu’offrit le macronisme.
C. L’économie politique sans la science politique
Inspirées par l’économie et en son sein l’école des choix publics, les legislative studies ont développé depuis les années 1980 une approche de l’étude des parlements focalisée sur l’importance des règles de procédure. Contrairement à une critique facile, cette école, largement dominante à l’étranger, a fait la preuve de sa capacité à élaborer une approche complexe de la rationalité parlementaire en ne réduisant pas systématiquement les stratégies des élus à de l’électoralisme. En revanche, son goût pour les règles formelles peut la conduire à développer des modélisations de la vie parlementaire relativement éloignées des rapports de force à l’œuvre.
Ainsi Gary Cox a-t-il formulé une conceptualisation influente de la procédure législative au prisme de la rareté du temps parlementaire72. La durée de passage en séance de la législation en projet constitue en effet un bien rare dont l’accaparement est l’objet de luttes politiques. La menace de blocage de la séance, qu’elle soit motivée par le goût des élus pour la publicité individuelle ou des stratégies collectives d’obstruction, a ainsi pu conduire à accorder des droits procéduraux spécifiques à certains acteurs : le gouvernement, les commissions, les élus seniors… Pour passionnante qu’elle soit, une telle approche semble sous-entendre que la disciplinarisation des majorités parlementaires repose essentiellement sur des arrangements procéduraux. Plus vraisemblablement, celle-ci tient d’abord et surtout à la vie électorale et partisane, à savoir l’expérience de dissolutions passées, la menace de non-investiture, la loyauté partisane, la gestion fine des attentes des parlementaires de base… Ce sont ces différents éléments qui font la cohésion des votes des parlementaires, plus sûrement que l’ordre de présentation des amendements ou la possibilité de proposer un texte à prendre ou à laisser. Cox semble d’ailleurs conscient des limites de sa propre approche en reconnaissant au détour d’une contribution que : « le contrôle de l’agenda pourrait en théorie être assuré par le contrôle de la majorité des votes à l’assemblée, sans l’aide de postes spéciaux occupés par des chefs de parti73 ».
Sur un mode similaire, John Huber a analysé l’article 49.3 comme une procédure permettant d’unidimensionnaliser la décision parlementaire et, ce faisant, de rationaliser son processus d’agrégation74. Pour puissante que soit son approche fondée sur un modèle formel, elle néglige une dimension essentielle du problème, à savoir le coût réputationnel associé à l’activation de la procédure75. D’une façon plus générale, les travaux d’économie politique tendant à comprendre la procédure parlementaire au seul prisme des enjeux d’agrégation des préférences des acteurs en place négligent ceux qui pèsent indirectement, qu’il s’agisse des électeurs ou des organisations internationales.
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En résumé, les parlements ne se laissent pas facilement saisir par une seule méthode ou une seule approche disciplinaire. En la matière, une démarche monolithique et monographique fait courir le risque de ne pas en comprendre certains aspects mais également, plus simplement, de se tromper, à l’instar des spécialistes répétant que la phase parlementaire du processus législatif est généralement, sous la Ve République, sans histoire. La solution consiste à l’évidence à savoir à la fois sortir de son couloir et à faire plusieurs tours de piste, c’est-à-dire à diversifier les démarches méthodologiques et perspectives disciplinaires d’une part, et à multiplier les enquêtes au long cours d’autre part76. Outre qu’il est coûteux en temps et en énergie, ce type de stratégies peut se payer du prix du renoncement à la montée en généralité en faisant courir aux études parlementaires le risque d’un folklorisme érudit, nostalgique et stérile. C’est pourquoi il nous semble impératif de systématiser les métacomparaisons entre une assemblée et d’autres objets, qu’ils soient parlementaires ou non. De même, les données parlementaires, statistiques, qualitatives ou ethnographiques ne prennent-elles pleinement leur sens que confrontées à d’autres, extra-parlementaires. Il faut dresser le profil des maires ou des ministres pour saisir l’éventuelle singularité de celui des députés. Il faut analyser la négociation interministérielle pour percevoir les marges de manœuvre éventuelles de la majorité parlementaire sur l’action publique. Il faut, en définitive, s’éloigner un peu du Parlement pour le comprendre.