J’ai des questions à vous poser…

Les responsables d’association de directeurs de bibliothèques se prêtent au jeu des questions-réponses

DOI : 10.35562/arabesques.2907

p. 6-10

Plan

Texte

Propos recueillis par Laurent Piquemal

À propos de l’image et de la place des bibliothèques dans la société

Les bâtiments abritant les nouvelles bibliothèques sont de plus en plus beaux et leur conception de plus en plus pensée, travaillée, soignée.

Cela a-t-il une influence sur la fréquentation de vos établissements ?

ADBGV (Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France)
L’ouverture d’établissements modernes entraîne une forte augmentation de la fréquentation mais encore faut-il consolider les progrès dans les années suivantes en s’adaptant à des usages en profonde évolution ! La construction de bibliothèques à l’architecture originale change également l’image des bibliothèques mais cette évolution doit se traduire également dans les services et les collections proposés.

ADBU (Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires)
Bien sûr, le regain de fréquentation est aussi lié à une offre de service rénové. Après des décennies difficiles, les BU retrouvent enfin un certain lustre. Il est d’ailleurs fréquent que les nouveaux équipements, souvent spectaculaires, fassent partie du parcours lors des visites de délégations étrangères dans les universités.

ADBDP (Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt)
Notre implication vaut surtout pour le « monde rural », les départements ayant des missions particulières de solidarité avec les plus petites communes des départements, ce qui pose d’ailleurs la question du positionnement des collectivités territoriales « Département » avec les plus grosses villes de leur territoire voire avec les communautés d’agglomération (souvent une très grosse par département). Dans les départements on a beaucoup construit. On a surtout beaucoup réhabilité et aménagé, d’où un réseau important aujourd’hui de bibliothèques en milieu rural et par voie de conséquence un nombre croissant de lecteurs dans les petites communes. Il n’est pas rare de dépasser allègrement les 30 % d’inscrits lorsque les conditions de fonctionnement de la bibliothèque sont satisfaisantes.

À propos de l’engagement associatif

Pourquoi, selon vous, les bibliothécaires français sont-ils si peu présents dans les instances internationales ?

ADBDP
La pression de l’intérêt local occupe largement les professionnels des bibliothèques publiques.

ADBGV
Le faible nombre de conservateurs dans les grands établissements en région ne permet de consacrer qu’épisodiquement du temps à la politique internationale, ce qui est franchement dommage. Les crédits de mission à l’étranger pour ce type d’établissement ne sont prévus ni au niveau local ni au niveau national, ou assez rarement. Cette fonction pleinement légitimée dans les musées n’est pas totalement reconnue pour les bibliothèques.

ADBDP
Oui, il est vrai qu’il manque en France une vraie dynamique qui motiverait un intérêt réel pour les problèmes internationaux.

ADBU
Du côté des bibliothèques universitaires, l’action internationale est loin d’être négligeable. Un grand nombre de collègues s’implique activement dans des associations internationales (non seulement l’IFLA mais aussi LIBER, SPARC-Europe, ICOLC…), y compris dans les instances. Des experts jouent en particulier un rôle très actif au niveau de la normalisation et du développement de la formation à la maîtrise de l’information. L’ADBU a récemment été sollicitée pour proposer un expert français pour EBLIDA.
Par ailleurs, la participation à des associations plus sectorielles est également répandue – European Business Schools Librarians’ Group, UNICA Library Seminar…

À propos de l’engagement des associations professionnelles dans les débats de société

Chacune de vos associations a rejoint l’IABD (Interassociation Archives - Bibliothèques - Documentation) dans les débats sur la loi DADVSI.

Pour quelle(s) raison(s) ?

ADBDP
Il s’agit d’un « dossier » sur lequel l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt ne pouvait de toute façon pas agir seule. D’autant plus que nous sommes probablement les moins concernés par la loi (par rapport aux autres bibliothèques). Le travail sur le droit de prêt nous avait appris qu’il valait mieux ne pas y aller « en ordre dispersé »… Dont acte, dont nous ne pouvons que nous féliciter.

ADBU
L’enjeu était de taille, et il est très vite apparu à l’ADBU que la dispersion des actions serait contre-productive. De plus, le projet de loi dépassait le clivage bibliothèques publiques-bibliothèques universitaires.

ADBGV
Le droit d’auteur dans la société de l’information est un dossier stratégique qui conditionne l’exercice de nos missions de service public et l’existence même de nos bibliothèques. L’accès pour tous à la lecture dans le domaine du numérique justifie pleinement de se réunir pour influencer les choix de société. Dans le respect du droit d’auteur, nous souhaitons une société solidaire et humaniste dans nos établissements et sur Internet.

Dessin de Claude Razanajao

Dessin de Claude Razanajao

Le succès de cette initiative commune confirme que les associations professionnelles ont un rôle à jouer. Voyez-vous pour autant une limite à ce rôle ?

ADBU
Non !

ADBGV
Cette action prouve en effet que les associations professionnelles ont un rôle à jouer, ce qui exige un peu moins de modestie et davantage de communication. L’écoute a été beaucoup plus importante du côté des élus que de la presse fortement sous influence. On se rappelle avec tristesse d’un droit de réponse à un éditeur que nous n’avons pas obtenu d’un grand quotidien. La limite à ce rôle demeure la qualité et l’intensité de l’engagement militant de l’ensemble des professionnels.

ADBDP
Les associations et au-delà les bibliothèques ne peuvent qu’y gagner, mais en aucun cas jouer le rôle de conseil supérieur, suivant les propos du directeur du livre en 2004.

L’unité ayant porté ses fruits dans cet engagement pour améliorer la loi DADVSI, la création d’une seule association de directeurs de bibliothèques est-elle souhaitable ?

ADBU
Pourquoi pas ? Cette question n’a jamais été abordée au sein de l’ADBU, mais cela ne paraît pas impossible, à condition qu’on ne perde pas en réactivité et en capacité à mobiliser ce qu’on gagne en visibilité.

ADBDP
Je ne crois pas que cela soit vraiment à l’ordre du jour, voire souhaitable, mais par contre le partage entre ce qui relève de l’interassociation et les différentes associations va donner une plus grande place à des initiatives communes.

ADBGV
Il est effectivement souhaitable de s’unir sur les dossiers les plus politiques. Mais il est infiniment démocratique de conserver la diversité et la spécificité de chaque association.
Une association plus légère peut réagir plus rapidement. Elle s’occupe tout naturellement des questions plus spécialisées et des problèmes de direction.

Pensez-vous que la France devrait se doter d’une loi générale sur les bibliothèques ?

ADBGV
Oui et non. Oui si cela signifie la relance d’une politique ambitieuse ou la définition d’un nouveau projet collectif. Non si cette loi est un texte général pavé de bonnes intentions comme la loi sur les musées.

ADBDP
Je suis moi aussi partagé sur l’intérêt fondamental d’une loi, mais je vois bien que l’absence de loi – malgré des dispositifs légaux importants – pose problème si l’on se compare aux autres pays européens dotés d’une loi. Donc je serai plutôt favorable à une loi qui indique clairement le champs de compétence des uns et des autres (surtout entre les collectivités) et la nécessité de moyens humains – professionnels et qualifiés – et financiers pour les bibliothèques.

ADBU
Une loi sur les bibliothèques serait évidemment un grand pas. La conjoncture actuelle dans les universités et l’autonomie accrue dont elles devraient disposer à l’avenir, qui devrait avoir sur les bibliothèques universitaires des effets comparables, dans une certaine mesure, à ceux de la décentralisation sur les bibliothèques publiques, paraît cependant peu propice à la mise en chantier d’une telle loi, qui pourrait être ressentie comme une atteinte à l’autonomie revendiquée par les universités.

Pourtant, ne sommes-nous pas dans une période propice à l’ouverture de ce débat ?

ADBGV
En effet, la période préélectorale doit conduire les associations à présenter des propositions : d’abord dans le cadre de Livre 2010, ensuite à l’ensemble des candidats.

À propos de l’élaboration de votre politique d’établissement

Quel est le positionnement des directeurs de bibliothèques par rapport à leurs tutelles (mairie pour les bibliothèques municipales, conseil général pour les bibliothèques départementales de prêt, présidence d’université pour les services communs de documentation) ?

ADBDP
Leur positionnement peut être fragile s’il n’est pas encadré clairement par des plans de développement et des objectifs clairement définis. Il faut espérer que la politisation parfois excessive de la vie publique ne pollue pas trop le fonctionnement de nos établissements. Il existe aussi un risque de déséquilibre entre professionnels et non professionnels, même si notre association s’est depuis plusieurs années positionnée en faveur d’une mixité des emplois jusque dans les directions d’établissement.

ADBGV
La légitimité vient du suffrage universel. Les fonctionnaires proposent, les élus décident, dans le cadre d’un dialogue permanent.

ADBU
Les directeurs de bibliothèques universitaires sont des partenaires reconnus dans l’université, bon nombre d’entre eux jouent de fait le rôle de conseiller pour la documentation auprès des présidents. L’ADBU les soutient activement en établissant en parallèle le dialogue avec la CPU pour promouvoir la documentation dans le contexte universitaire. Les relations avec la CPU se sont encore accrues avec la loi DADVSI, nous espérons leur donner à terme un caractère permanent qui ne pourra qu’avoir des retombées bénéfiques sur le terrain.

À propos de gestion des ressources humaines

Qu’il s’agisse de la fonction publique territoriale ou de celle d’État, une nouvelle donne du management des ressources humaines se met en place (par exemple l’évaluation du personnel). Comment se positionne votre association ?

ADBGV
Bien avant la mode actuelle, nous étions favorables à l’évaluation du personnel ainsi qu’à celle des politiques publiques. L’évaluation des personnels ne peut être séparée de la notation, des critères de promotion et du système des primes.

ADBDP
Nous n’avons pas de philosophie particulière en la matière, mais nous sommes très attentifs aux modifications des modalités de travail dans les BDP. Ce sera d’ailleurs le thème de notre prochain congrès dans les Vosges. Individuellement chacun d’entre nous est très impliqué dans son département pour participer aux évolutions en cours, et l’évaluation des personnels en fait partie.

ADBU
L’ADBU est particulièrement attentive aux questions de gestion des ressources humaines, entendues au sens large. La question de l’évaluation est indissociable des questions d’évolution des métiers, de recrutement et de formation continue qui occupent beaucoup l’association. Cependant l’évaluation en tant que telle nous paraît devoir découler naturellement des bonnes pratiques de « management » d’un établissement. La crispation autour des textes réglementaires doit être rapidement dépassée et la question d’un lien éventuel entre évaluation et gestion des carrières examinée de façon dépassionnée.

Votre association a-t-elle une action particulière en ce qui concerne l’insertion des lauréats de concours ou la mobilité professionnelle ?

ADBGV
Nous publions sur notre site la liste des postes vacants et les mouvements de directeurs.

ADBDP
Je crois que tous les établissements d’une certaine importance ont un rôle à jouer dans la formation des personnels et dans l’intégration des nouveaux personnels dans le métier : accueil de stagiaires, collaboration avec l’INET et l’ENSSIB, etc. Nous travaillons tout particulièrement en ce moment à l’intégration des nouveaux directeurs de BDP. Et ils sont nombreux à nous avoir rejoints depuis quelques années…

ADBU
Le site de l’ADBU, récemment reconçu et redessiné, propose une rubrique « Emplois et stages » qui est appelée à devenir le lieu principal de publication des postes vacants dans les bibliothèques universitaires.
En ce qui concerne l’insertion des lauréats de concours, l’association est actuellement préoccupée par le cas des bibliothécaires. Nous souhaitons nous rapprocher de la DGRH afin de contribuer à améliorer l’articulation entre la formation et la prise de poste.

À propos de la mutualisation des moyens

Dans le secteur de la lecture publique, tout comme dans celui de l’enseignement supérieur, on note depuis quelques années une tendance à la mutualisation des moyens (intercommunalité, pôles de recherche et d’enseignement supérieur). Quelle est la position de votre association dans ce domaine ?

ADBGV
Ces regroupements sont l’avenir de nos établissements et plus généralement de notre pays : réduction des coûts, innovations partagées, meilleure territorialisation. Mais il ne faut pas tout uniformiser en voulant appliquer un seul modèle. Nous défendons donc une variété de méthodes dans la mutualisation et la coopération.

ADBDP
Nous avons beaucoup travaillé dans le cadre de l’intercommunalité, au point que certains (en dehors de nos rangs) prient pour la disparition des BDP…
Les missions de nos établissements ont beaucoup évolué, ce qui aboutit aujourd’hui à une minoration de la « desserte » au profit d’un développement fort du « conseil » aux communes et aux bibliothécaires volontaires (formation) et l’engagement auprès de nos conseils généraux dans le cadre de l’aménagement du territoire. Je ne crois pas que d’autres établissements de lecture publique aient subi autant de mutations depuis la première décentralisation, car il a fallu en plus intégrer les nouveaux supports dans nos pratiques. Ce qui est rassurant dans un sens, c’est que les BDP de demain n’auront rien à voir avec les BDP d’aujourd’hui, qui elles-mêmes n’ont rien à voir avec les BCP. Ce qui prouve que les BDP sont des organismes bien vivants.

ADBU
L’ADBU observe avec un très grand intérêt les évolutions actuelles dans le monde universitaire et les recompositions qui sont en train de s’esquisser, notamment grâce à la mise en place des PRES. Les bibliothèques universitaires ont une longue pratique de la mutualisation, rien n’est donc plus naturel pour elles que de s’insérer dans un ensemble dont l’envergure dépasse celle de l’établissement.
Cependant, elles doivent être attentives à ce que les nouvelles structures intègrent dès l’origine la documentation dans leur projet et ne la relèguent pas au rôle de « supplément d’âme » ! En effet, dans le contexte international que les PRES ont pour objectif d’investir, la documentation est très clairement un enjeu pour le rayonnement des universités et, au-delà de leurs missions traditionnelles, les bibliothèques ont un rôle clé à jouer dans des domaines aussi divers et aussi fondamentaux que l’organisation de nouveaux modèles de communication scientifique ou la formation tout au long de la vie.

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Hélène Chaudoreille, Gilles Gudin de Vallerin et Didier Guilbaud, « J’ai des questions à vous poser… », Arabesques, 46 | 2007, 6-10.

Référence électronique

Hélène Chaudoreille, Gilles Gudin de Vallerin et Didier Guilbaud, « J’ai des questions à vous poser… », Arabesques [En ligne], 46 | 2007, mis en ligne le 08 mars 2022, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2907

Auteurs

Hélène Chaudoreille

Vice-présidente, pour l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires (ADBU)

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Gilles Gudin de Vallerin

Président, pour l’Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France (ADBGV)

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Didier Guilbaud

Président, pour l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP)

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