Gestion et signalement de la documentation numérique : graal inatteignable ou horizon perdu ?

DOI : 10.35562/arabesques.4180

p. 14-15

Plan

Texte

L’élaboration d’outils de signalement de la documentation numérique a été, dès l’apparition de ces ressources, un enjeu majeur pour les bibliothèques. Une tâche essentielle qui s’inscrit désormais dans le double contexte de la transition bibliographique et de la science ouverte.

Si les établissements français de l’enseignement supérieur et de la recherche disposent dorénavant de systèmes de gestion et de signalement performants, la visibilité de leurs collections dans les moteurs généraux du web – principale voie d’accès à l’information – n’est pas complètement réalisée. La transition bibliographique n’a pas encore abouti et l’ouverture des publications scientifiques n’est pas achevée. Ces deux tendances, parachevées, conduiront-elle à la fin de l’histoire du signalement du fait d’un accès immédiat et sans entrave aux productions scientifiques ?

Si le paysage documentaire a été profondément renouvelé ces trente dernières années, les bibliothèques conservent encore leur rôle structurant de description, d’organisation et de suivi des usages de cette documentation renouvelée.

Les années 2000 voient la généralisation progressive des acquisitions de documentation numérique. Dans le même temps, les questions d’accès et de signalement de ce type de documentation se structurent.

Dès l’origine, la visibilité des ressources numériques nourrit les réflexions de la profession : comment y donner accès sans les intégrer – pour l’heure – dans le catalogue, comment donner corps aux collections numériques sans matérialité palpable ? Ces questions étaient intimement liées à la gestion de ces ressources. Autant les SIGB1 permettaient le travail de Back Office dont le résultat était rendu visibles par les OPAC2, autant les interfaces nécessaires à la gestion et à la découverte des collections en ligne étaient largement à imaginer par les bibliothécaires. La gestion de listes de titres de revues au sein de bouquets évolutifs dans le temps, le renseignement de clauses de licences qui précisent ce qui est accessible, et à qui, ont le plus souvent été intégrés dans des tableurs, outil privilégié du gestionnaire de ressources électroniques. Ce dernier, d’abord assez solitaire dans sa pratique au sein des SCD, a fait perdurer longtemps le tableur comme outil de gestion, toujours nécessaire et souvent suffisant.

En quête d’outils adaptés aux ressources numériques

Cependant, des bibliothécaires se mettent en quête d’outils mieux adaptés à ces ressources. En 2006, les responsables des périodiques utilisent l’APE « Accès aux périodiques électroniques », module intégré au portail Sudoc développé par Archimed sur des spécifications du consortium Couperin. En 2007, Couperin s’interroge sur l’usage d’un système adhoc de gestion des ressources électroniques, pour son propre besoin et celui de ses membres. Un groupe de travail se met en place pour veiller sur les outils existants, les ERMS3, rédiger un cahier des charges des besoins et modéliser le circuit de traitement des ressources électroniques.

L’adoption des proxys4 vient uniformiser l’accès distant aux ressources. L’accès proxifié s’appuie sur la déclaration des seules IP des proxys. Rapidement, les proxys et leurs logs de connexion vont permettre de mesurer les usages des ressources, grâce à des parseurs dédiés créés par la communauté.

Dans les années 2010, Renater5 met en œuvre la fédération d’identités « Shibboleth » afin de gérer l’authentification des accès aux ressources. Il est dorénavant possible de connaître les profils institutionnels des utilisateurs. Immédiatement les questions d’anonymisation se posent mais Renater est capable d’assurer que seules les informations sur les établissements sont connues et suivies. La mise en œuvre progressive des accès distants à la documentation numérique met l’authentification sur le devant de la scène, en particulier avec la question des walk-in users6.

Cosmographie universelle, selon les navigateurs tant anciens que modernes par Guillaume Le Testu, pillotte en la mer du Ponent, de la ville francoyse de Grâce - Le Testu, Guillaume (1509-1572), cartographe.

Cosmographie universelle, selon les navigateurs tant anciens que modernes par Guillaume Le Testu, pillotte en la mer du Ponent, de la ville francoyse de Grâce - Le Testu, Guillaume (1509-1572), cartographe.

source BnF / Gallica

Émergence du principe de bases de connaissances

Si la gestion et les accès s’homogénéisent progressivement, le signalement reste une problématique majeure. Quand l’Abes autorise le signalement des revues numériques dans le Sudoc, les choix restent néanmoins propres à chaque établissement et les listes de titres dites « A to Z » sont très répandues pour donner accès aux collections en ligne. Mais les univers de recherche restent séparés : les listes « A to Z » pour la documentation électronique et le catalogue pour la documentation imprimée. En réalité le catalogue sert d’ores et déjà à signaler une grande variété de supports : les thèses numériques, les mémoires, des ressources pédagogiques, des CD, des DVD, parfois des PC, etc.). La recherche d’information en est rendue plus complexe pour les utilisateurs. D’une part, ces ressources numériques ne bénéficient pas de la même qualité de métadonnées normalisées que l’imprimé, ce qui les rend chronophages pour l’intégration aux catalogues ; d’autre part, leur périmètre change souvent, introduisant une dimension nouvelle dans le signalement. D’une logique de catalogage de stock, le signalement de la documentation numérique suppose de gérer le flux, du fait de la grande volatilité des titres dans les bouquets, de la grande variabilité des accès et de la quantité de données à modifier. Les outils de découverte (discovery tools) vont apporter une réponse technique mais imparfaite à cette complexité. Ils s’adaptent mieux aux particularités de la documentation numérique, en particulier à sa granularité. Au lieu de s’arrêter à l’échelle du seul titre (de revue, d’ouvrage), on entre dans le contenu au niveau de l’article ou du chapitre de livre. C’est alors que le concept de « base de connaissances » va devenir central. À la fois outil commercial auquel on s’abonne pour avoir en temps réel - ou presque - des mises à jour des titres, il propose aussi le moteur de recherche pour interroger les contenus indexés.

Repenser le travail de signalement partagé

Depuis le déploiement du Sudoc, les membres du réseau utilisaient le même outil de catalogage et la même norme de description. Ce nouveau type de ressources vient mettre à mal ce signalement partagé et un pan important des collections lui échappe. Dès 2009, le collectif Mir@bel s’attaque à une partie du problème en proposant un signalement collaboratif des revues francophones en sciences humaines et sociales.

Le groupe de travail mis en place par Couperin avec l’ensemble de ses partenaires, dont l’Abes, va imaginer un produit consortial qui permette de travailler dans un même outil, d’hériter des données du consortium et de préciser les accès de chaque communauté. La publication par l’Abes en 2010 d’un appel d’offres pour un outil consortial est une tentative pour répondre à ces nouveaux besoins. Mais le manque de maturité des outils commerciaux entraîne un appel d’offres infructueux et l’arrêt du projet. Pour autant, ce travail n’aura pas été inutile car il a posé les bases d’un outil de gestion à destination du consortium et de ses membres (Consortia Manager est lancé en 2021). L’Abes a de son côté investi le domaine des bases de connaissances avec le travail sur le hub de métadonnées et ouvre BACON en 2015. La poursuite du travail de normalisation permet de donner des consignes communes aux gestionnaires de documentation numérique, ce qui les fait sortir de leur relatif isolement et travailler avec leurs collègues catalogueurs.

Le projet SGBm va donner un nouveau souffle aux questions de gestion et de signalement des ressources numériques. Les UMS, universal management system, apportent une réponse technique aux besoins de gestion unifiée en intégrant d’emblée le numérique. Le marché porté et négocié par l’Abes d’un produit favorisant le décloisonnement dans le traitement, offre aussi un moteur de recherche et une interface unifiée pour toutes les ressources.

L’impact de la transition bibliographique et de la science ouverte

Cette période s’accompagne de l’émergence de l’accès ouvert aux publications. Les enjeux d’authentification des accès et les coûts de la documentation numérique rendent crucial l’accès direct aux publications scientifiques. La création de HAL sur le modèle d’ArXiv ou les premières expériences de modèle diamant avec SCOAP témoignent du souhait des communautés de s’affranchir des systèmes locaux de recherche d’information et des barrières financières pour y accéder.

Par ailleurs, le web de données a pour objectif de sortir les métadonnées des silos des catalogues des bibliothèques afin de les exposer directement aux moteurs de recherche généralistes.

Si les établissements français de l’enseignement supérieur et de la recherche disposent dorénavant de systèmes de gestion et de signalement performants, la visibilité de leurs collections dans les moteurs généraux du web – principale voie d’accès à l’information – n’est pas complètement réalisée. La transition bibliographique n’a pas encore abouti et l’ouverture des publications scientifiques n’est pas achevée. Ces deux tendances, parachevées, conduiront-elle à la fin de l’histoire du signalement du fait d’un accès immédiat et sans entrave aux productions scientifiques ?

Si le paysage documentaire a été profondément renouvelé ces trente dernières années, les bibliothèques conservent encore leur rôle structurant de description, d’organisation et de suivi des usages de cette documentation renouvelée.

Notes

1 Système intégré de gestion de bibliothèque. Retour au texte

2 Online public access catalogue. Retour au texte

3 Electronic resources management system. Retour au texte

4 Composant logiciel informatique qui joue le rôle d’intermédiaire entre deux hôtes pour faciliter ou surveiller leurs échanges (Wikipedia). Retour au texte

5 Constitué en 1993, Renater assure la maîtrise d’ouvrage du réseau national de communications électroniques pour la technologie, l’enseignement et la recherche. Retour au texte

6 Utilisateurs non affiliés et de passage. Retour au texte

Illustrations

  • Cosmographie universelle, selon les navigateurs tant anciens que modernes par Guillaume Le Testu, pillotte en la mer du Ponent, de la ville francoyse de Grâce - Le Testu, Guillaume (1509-1572), cartographe.

    Cosmographie universelle, selon les navigateurs tant anciens que modernes par Guillaume Le Testu, pillotte en la mer du Ponent, de la ville francoyse de Grâce - Le Testu, Guillaume (1509-1572), cartographe.

    source BnF / Gallica

Citer cet article

Référence papier

Émilie Barthet, « Gestion et signalement de la documentation numérique : graal inatteignable ou horizon perdu ? », Arabesques, 114 | 2024, 14-15.

Référence électronique

Émilie Barthet, « Gestion et signalement de la documentation numérique : graal inatteignable ou horizon perdu ? », Arabesques [En ligne], 114 | 2024, mis en ligne le 16 juillet 2024, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4180

Auteur

Émilie Barthet

Directrice de la Direction des bibliothèques de l’information et de la science ouverte de l’université Paris Saclay, co-coordinatrice du consortium Couperin.

emilie.barthet@universite-paris-saclay.fr

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ISNI
  • VIAF
  • BNF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0