Des publiothèques universitaires ?

DOI : 10.35562/arabesques.893

p. 18-19

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La bibliothèque de Clermont Université joue un rôle actif dans le soutien aux circuits de la publication académique en accompagnant les enseignants chercheurs dans leur démarche. Périmètre et enjeux

Publiothèque : ce néologisme a pour seul mérite de poser deux bornes entre lesquelles va courir mon propos. D’un côté la proximité entre bibliothèque et chose publiée, de l’autre une nouveauté : l’activité de publication des bibliothèques. De fait, si publication désigne ce qui a été publié, bibliothèque et publiothèque sont purs synonymes. Mais si l’on désigne la publication comme activité, alors publiothèque qualifie bien la bizarrerie de cette chose nouvelle, voire choquante : au nom de quoi les bibliothèques se mêlent-elles de publier ? Or elles s’en mêlent, si nombreuses qu’elles ne s’en cachent même plus. L’édition 2014 du Library Publishing Directory1 américain recense 115 bibliothèques adonnées à ce vice, dont une européenne : la bibliothèque de l’université Humboldt à Berlin est contaminée. En France, combien de bibliothèques sont porteuses du virus sans le savoir ou, pire, mènent sciemment des expérimentations plus ou moins avouées dans ce domaine ?

Quand une nouveauté prend cette ampleur, ce n’est plus une bizarrerie ni une lubie locale, c’est un mouvement de fond qu’il faut comprendre. Les bibliothécaires ayant pour principe de travail d’être à l’écoute des besoins de leurs utilisateurs, s’ils font de la publication, c’est qu’on le leur a instamment demandé. Mais alors pourquoi des chercheurs sollicitent- ils les bibliothèques à ce sujet, pourquoi acceptent-elles, et que peuvent-elles proposer concrètement ?

Pourquoi les bibliothèques ?

L’introduction du Library Publishing Directory situe la réponse du côté de la technicité (p. viii, je traduis) : « Depuis plus de deux décennies, les universitaires, chercheurs et étudiants, sont venus solliciter, dans leurs bibliothèques de faculté et d’université, un soutien technique et du personnel pour lancer des expérimentations appliquant le numérique au domaine académique ». Interrogée sur ce qu’apporte la bibliothèque, une collègue enseignant chercheur à Clermont complète en ces termes : « une aide concrète, logistique ; un interlocuteur, des outils et du dépannage » ; mais aussi « un soutien psychologique, de la stimulation et de l’enthousiasme ». Les termes suggèrent – ce n’est pas déplaisant – que les bibliothèques sont perçues comme familières de l’outil numérique et capables de former à son maniement. De fait, si nous sommes loin d’être aussi à l’aise que nous le voudrions avec le numérique, nous en avons bel et bien une pratique assidue : catalogues en ligne, outils d’accès aux ressources, chaînes de traitement des thèses, archives ouvertes, web social, expérimentation des nouveaux supports… Tout nous pousse vers l’outil numérique de diffusion ; qu’une relative aisance en découle, et que nous soyons pressentis pour la diffuser est plutôt une bonne nouvelle.

Autre atout des bibliothèques : la familiarité avec les enjeux économiques et juridiques. Ferrailler, 15 années durant, avec les éditeurs, a poussé les bibliothécaires, négociateurs et gestionnaires de documentation électronique, à s’intéresser aux circuits de validation, aux modèles économiques, à la chaîne de production. Bon gré mal gré, ils sont aussi montés au front sur les questions de droit, leurs usages traditionnels (prêt entre bibliothèques, conservation pérenne, libre accès) étant remis en cause par l’irruption de contrats d’accès non pérenne. On trouve aujourd’hui en bibliothèque de solides connaisseurs du droit de l’information et du droit d’auteur, sinon des juristes ; de bons connaisseurs des enjeux de l’édition, sinon des éditeurs.

Enfin, leurs préoccupations ont placé les bibliothécaires aux avant-postes du mouvement de l’open access qui submerge maintenant l’édition scientifique. Et c’est la véritable raison pour les bibliothèques d’acquiescer à la demande, voire de la devancer. Green ou Gold, abonnement, auteur payeur ou freemium, quelle que soit la réponse les bibliothécaires sont convaincus que l’open access doit s’imposer et déterminés à y contribuer. Les bibliothèques assurent le dépôt et la diffusion des thèses électroniques ; elles développent et gèrent des dépôts d’archives ouvertes, avec pour effet prévisible d’amincir la frontière entre documentation produite et documentation acquise par les bibliothèques… La publiothèque est déjà là.

À Clermont-Ferrand, la collaboration entre le Centre d’histoire « Espaces et cultures » de l’université et la bibliothèque Clermont Université a facilité la migration de la revue Siècles sur revues.org.

À Clermont-Ferrand, la collaboration entre le Centre d’histoire « Espaces et cultures » de l’université et la bibliothèque Clermont Université a facilité la migration de la revue Siècles sur revues.org.

Les bibliothèques, pour quoi ?

Par la technicité, l’expérience, la connaissance des enjeux, la conviction, les bibliothèques sont donc un interlocuteur naturel des projets de publication scientifique en open access. Que peuvent-elles proposer de concret aux chercheurs qui les sollicitent ? D’abord, l’information à jour sur les dispositifs existants. À titre d’exemple, à Clermont‑Ferrand (ailleurs aussi sans nul doute), la bibliothèque aide les chercheurs à instruire les dossiers de revues de sciences humaines pour une diffusion sur la plateforme revues.org2. En sciences exactes, elle suit attentivement les débuts des épi‑revues et encourage les revues scientifiques naissantes à adopter ce mode de diffusion. Sur le terrain mouvant de la publication scientifique, la bibliothèque dispose d’une carte à jouer et peut servir de guide. Elle peut aussi offrir un soutien technique, par exemple via une plateforme comme OJS3 (Open Journal Systems, actuellement testé à Clermont), un logiciel libre qui coordonne le traitement des articles (soumission, relecture, validation, publication), dans une interface propre à chaque revue. La bibliothèque installe, administre, maintient le logiciel et aide les chercheurs pour la prise en main et l’utilisation. On peut aussi penser au balisage XML des articles, nécessaire pour la diffusion sur revues.org ; les bibliothèques peuvent effectuer tout ou partie du travail ( une collaboration entre bibliothèque et laboratoire a ainsi permis la migration de la revue Siècles ), ou dispenser la formation nécessaire.

Dans tous ces cas : conseil, instruction de dossier, formation initiale, administration d’un outil, la bibliothèque agit en soutien de projets naissants. Doit-elle s’aventurer au‑delà ? Avec prudence. Le traitement éditorial (relecture, mise en page, etc.) est un métier. S’il devait être effectué en bibliothèque, ce serait par intégration ou reconversion de personnel, ce qui impliquerait une stratégie universitaire mûrie et volontariste. Impliquer une bibliothèque dans un secrétariat de rédaction prête aussi à discussion. L’idée peut séduire parce qu’elle crée un lien très fort entre la bibliothèque et la recherche, mais cette activité exige une disponibilité considérable et une compétence scientifique élevée. Il est peu réaliste d’imaginer la systématiser. De même, si l’aide au lancement de revues entre assez naturellement dans le champ d’action des bibliothèques, le livre électronique exige une autre compétence éditoriale.

Le paysage et la boussole

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Arstuce / Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

Enfin, il serait malhonnête d’éluder l’inquiétude bien naturelle que suscite l’arrivée des bibliothèques dans le champ de la publication scientifique, par crainte d’une concurrence avec des acteurs déjà présents (laboratoires, presses universitaires etc.). Il me semble que quelques constats rassurants doivent présider aux discussions : il y a du travail pour tout le monde (et au‑delà) ; les moyens sont aussi modestes dans les bibliothèques qu’ailleurs – pas seulement en France : les bibliothèques américaines de la Library Publishing Coalition comptent en moyenne (calculée sur 55 établissements)… 2,25 équivalents temps plein dévolus à la publication ! Vu l’ampleur de l’enjeu, laisser germer des conflits de compétences serait mortifère. La mise en place d’un système où chacun contribue différemment n’est pas seulement vitale, elle est possible ! On peut imaginer 100 stratégies allant de la répartition des tâches à l’intégration des services, catégoriser par discipline, distinguer livres, thèses et revues…Bref tout est concevable à condition de garder l’objectif en ligne de mire : la mise à disposition des travaux scientifiques la moins coûteuse, la plus rigoureuse, la plus efficace et la plus large possible. Le paysage est mouvant, mais la boussole, c’est l’open access.

Notes

1 www.librarypublishing.org/ resources/directory-library-publishing-services

2 https://journals.openedition.org/

3 https://pkp.sfu.ca/ojs/

Illustrations

  • À Clermont-Ferrand, la collaboration entre le Centre d’histoire « Espaces et cultures » de l’université et la bibliothèque Clermont Université a facilité la migration de la revue Siècles sur revues.org.

    À Clermont-Ferrand, la collaboration entre le Centre d’histoire « Espaces et cultures » de l’université et la bibliothèque Clermont Université a facilité la migration de la revue Siècles sur revues.org.

  • Arstuce / Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

References

Bibliographical reference

Olivier Legendre, « Des publiothèques universitaires ? », Arabesques, 76 | 2014, 18-19.

Electronic reference

Olivier Legendre, « Des publiothèques universitaires ? », Arabesques [Online], 76 | 2014, Online since 13 août 2019, connection on 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=893

Author

Olivier Legendre

Responsable de la Bibliothèque numérique, Clermont Université

olivier.legendre@clermont-universite.fr

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