Texte

Les revues sont mal nommées : le plus souvent nous y voyons, nous y lisons un travail pour la première fois. Quant à la recherche, mais aussi quant à la littérature, les revues forment l’un des lieux où la pensée vive s’offre à la rencontre : nous pouvons la suivre au plus près de ses développements, de son actualité pour le chercheur… même s’il y a parfois une réelle latence entre la proposition de l’article et sa publication.

En ce sens, la publication en revue participe à l’élaboration : elle vient scander la recherche, lui offrant des points d’arrêt, de reprise, lui permettant de se faire à son rythme, selon sa propre temporalité. Car les revues ont fort à voir avec le temps, qu’il s’agisse de leur périodicité, régulière ou fantaisiste, de leur durée, éphémère ou au long cours (que l’on pense à la clôture volontaire – comme on le dit de la mort – de la Nouvelle revue de psychanalyse) ou encore de ces numéros au chiffre rond d’autocélébration anniversaire. La publication en revue participe aussi à l’élaboration car cette première avancée, cette première exposition de la pensée en train de se faire peut susciter des retours qui ouvrent sur des reprises. De même que la présentation d’un travail en cours à des étudiants ou à des collègues, la publication en revue fait office de mise à l’épreuve : par le comité de lecture lorsqu’il existe mais aussi par les lecteurs.

La publication en revue témoigne de ce que J. Joyce nommait le « work in progress » lorsqu’il publiait son travail littéraire en cours, inachevé donc. La publication d’articles en revue peut témoigner d’intérêts ponctuels, partiels, momentanés, épars voire dispersés. Mais, le plus souvent, elle participe à un projet plus large même s’il ne trouve sa réelle cohérence qu’après-coup.

La lecture de travaux publiés en revue confronte le lecteur au partiel et fait de lui l’araignée capitaliste qui, tel le lecteur du dictionnaire, ne peut qu’être renvoyé de référence en référence. Parce qu’elle témoigne du travail en cours, la publication en revue, et la lecture de celle-ci, transforme le lecteur en questeur, en chercheur… d’autres articles, d’autres revues citées dans le premier texte lu.

Le livre, au contraire, peut s’offrir au lecteur dans une cohérence qui est parfois du côté de la fermeture : il suscite alors le découragement de l’étudiant ou du chercheur qui croit, au moins un temps, que tout est écrit sur la question qui (se) levait en lui. Le livre est la somme des articles publiés en revues et, parfois, des connaissances sur la question.

Pour l’apprenti-chercheur (mais en finit-on jamais d’apprendre, non à trouver, mais à chercher) comme pour le lecteur, le monde des revues est une jungle : il peine à trouver telle revue spécialisée et, si par bonheur il la trouve, le numéro désiré est justement manquant, la collection dépareillée, amputée de ce membre si cher !

La revue décourage, la revue se mérite, la revue se fait désirer. De surcroît sa lisibilité est plus ou moins grande. Heureusement que, depuis longtemps, une belle invention facilite le parcours du questeur : le numéro thématique. Chaque numéro y gagne une unité, une apparente identité. Mais il y a aussi de quoi parfois désespérer : les rubriques libres. C’est souvent là que, hors de toute logique, vient se dissimuler la perle rare, la recherche qui, justement, intéresse ; à croire qu’elle ne veut pas être lue. Lire des revues permet au lecteur, certes au risque de la dispersion, de faire l’épreuve de sa curiosité tout autant que de la diversité.

Heureusement, il existe quelques outils précieux qui permettent au lecteur de s’y retrouver parmi la multitude des revues : ainsi de la revue (présente à la Bibliothèque Universitaire) Sommaire des revues qui est, comme son nom l’indique, constituée du sommaire d’un grand nombre de revues psychanalytiques. D’autres revues remplissent aussi cette fonction d’information non seulement pour les publications mais aussi pour les colloques, conférences… Citons pour mémoire le Carnet Psy, Terrains, Le journal de l’AFA.

Un autre repère est fourni au lecteur par une catégorisation simple qui distingue les revues de vulgarisation (La Recherche, Le Journal des psychologues, Sciences Humaines…) et les revues spécialisées et scientifiques qui fonctionnent avec un comité de lecture. Ce comité, composé de spécialistes du domaine, lit les articles rendus anonymes et rend un avis sur leur valeur scientifique et sur leur correspondance avec la ligne éditoriale de la revue ; c’est pour le lecteur une garantie de qualité et, pour l’auteur, une source d’intense satisfaction narcissique quand son article est retenu : il entre dans le groupe des maîtres ou collègues admirés. Ce comité n’a que rarement une simple fonction de sélection : il a aussi souvent une fonction de conseil et peut aider l’auteur à retravailler son article sur le plan du style mais aussi de la présentation, de la méthodologie… Pour l’auteur aussi la revue se mérite.

Cependant, lire des revues ne relève pas toujours d’une approche utilitariste. À côté de la lecture ciblée se développe une lecture qui procède des effets de voisinage de l’article initialement visé : il y va alors d’une certaine séduction. À côté de ces lectures ponctuelles, occasionnelles de telle ou telle revue, il peut exister une autre attitude ; celle de la fidélité, qui peut parfois confiner à l’obsessionnalité du collectionneur : avoir tous les numéros. Parce qu’avant d’être des recueils d’articles, les revues témoignent d’un état d’esprit, d’une sensibilité (quel beau mot pour définir des choix de pensée !). Elles peuvent venir parler d’une famille dans laquelle le lecteur peut se reconnaître, à laquelle il peut avoir envie d’appartenir : à lui alors de prendre la plume… ou le clavier. Dès lors il n’est plus seulement le lecteur, voire l’acquéreur d’un numéro isolé mais il fait partie du groupe des intimes, nous voulons écrire des abonnés ; en s’abonnant, le lecteur fait plus que de s’assurer la possession de tous les numéros : il se garantit le plaisir d’être, de la retrouver à domicile, l’attendant dans la boîte aux lettres. En s’abonnant, il fait crédit à la revue : crédit de sa confiance, de son intérêt à venir ; crédit financier aussi puisqu’il fait des avances à sa revue favorite assurant ainsi la sécurité à son existence si souvent précaire.

Citer cet article

Référence papier

Christine Durif-Bruckert, Patricia Mercader et Jean-Marc Talpin, « Les revues », Canal Psy, 22 | 1996, 4.

Référence électronique

Christine Durif-Bruckert, Patricia Mercader et Jean-Marc Talpin, « Les revues », Canal Psy [En ligne], 22 | 1996, mis en ligne le 27 août 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2560

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Christine Durif-Bruckert

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