Remarques sur le mot noč’ (nuit) dans La nuit européenne de Vladislav Hodasevič

  • Заметки о слове ночь в поэзии Ходасевича
  • Remarks on the word noč’ (night) in the poetry of Hodasevič

DOI : 10.35562/modernites-russes.156

Les recueils poétiques de Vladislav Hodasevič (1886-1939) sont traversés par la dialectique de la lumière et de l’obscurité, riche de connotations mystiques. Concernant le champ lexical de l’obscurité, c’est le mot mrak, d’origine slavonne, évocateur du néant, qui est le plus fréquent. Mais le dernier recueil de Hodasevič, publié en 1927 à Paris, La nuit européenne (Европейская ночь), nous invite à étudier dans ce recueil les occurrences du mot noč’ (nuit), mot du langage courant. « Nuit » désigne une réalité temporelle et spatiale, mais aussi spirituelle et ontologique. Nous verrons que le mot nuit apparaît comme un nom désespéré de la modernité européenne de l’entre-deux-guerres, et qu’il annonce aussi le silence poétique de Hodasevič. 

Поэзия Вл. Ходасевича (1886-1939) пронизана диалектикой света и тьмы, которая богата мистическими ассоциациями. Что касается лексического поля тьмы, чаще всего встречается церковно-славянское слово мрак, синоним небытия. Однако последний опубликованный в Париже в 1927 г. сборник Европейская ночь обращает наше внимание на слово ночь, имеющее не только онтологическое, духовное значение, но и временно-пространственное. В статье анализируется слово ночь в ряде стихотворений : У моря, Все каменное, Ночь, Берлинское. Мы придём к выводу, что в сборнике Европейская ночь слово ночь является как бы трагическим именем европейской современности двадцатых годов, и одновременно предвещанием поэтического молчания Вл. Ходасевича.

Vladislav Hodasevič’s poetry (1886-1939) is pervaded with the dialectic of light and darkness, which is rich in mystical connotations. Regarding the lexical field of darkness, the most frequent word is mrak, which is of Slavonic origin. This word is evocative of nothingness. Moreover, his latest collection, published in 1927 in Paris, The European night (Европейская ночь), invites us to study the occurrences of the word noč' (night). “Night” designates a temporal and spatial reality, but also a spiritual and ontological one. I will argue that the word night appears as a desperate label for European modernity during the interwar period and it also announces Hodasevič’s poetic silence.

Plan

Texte

« Deux forces règnent sur le monde : la lumière et la pesanteur », écrivait Simone Weil dans La pesanteur et la grâce [Weil, 1988 : 41]. Cet aphorisme, par sa densité, sa sobriété et son classicisme, offre une éloquente introduction à la vision du monde comme à la poétique de Vladislav Hodasevič, poète russe né à Moscou en 1886, mort à Paris en 1939, dont l’œuvre semble justement être le lieu d’un combat entre la pesanteur du monde et la lumière de l’être, un combat qui met notamment en scène la nuit, comme l’indique le titre du dernier recueil du poète : La nuit européenne (1927). L’étude du mot « nuit », dans ce recueil, sera précédée d’une présentation de l’œuvre de Hodasevič dans son ensemble, sous ce double angle de la lumière et de la pesanteur, afin de poser quelques jalons qui permettront de mieux appréhender « la nuit » de son dernier recueil.

L’opposition entre la lumière et la pesanteur illustre la vision du monde dualiste de Hodasevič, héritier du symbolisme tel que Berdjaev, par exemple, le décrit dans l’Idée russe :

Основным влиянием на символистов было влияние Вл. Соловьева. Он так формулировал сущность символизма в одном из своих стихотворений :
« Все, видимое нами,
Только отблеск, только тени
От незримого очами ».
Символизм видит духовную действительность за этой видимой действительностью. Символ есть связь между двумя мирами, знак иного мира в этом мире. [Бердяев, 1946 : 229-230]

Leur principale source d'influence fut Soloviev. Il exprime l’essence du symbolisme dans ces vers :
Tout ce que nous voyons
N’est qu'un reflet, qu'une ombre
De ce que l'œil ne peut apercevoir.
Le symbolisme perçoit la réalité spirituelle cachée derrière cette réalité visible. Le symbole est le lien entre deux mondes, le signe de l’autre monde en ce monde. [Berdiaev, 1969 : 237]

La lumière et la pesanteur caractérisent aussi la dualité de l’âme et du corps, motif récurrent de toute la poésie de Hodasevič [Струве, 1928 : 6], métonymique de la tension tragique entre l’idéal et le réel que le poète éprouve douloureusement, et qu’il aspire à résoudre, tout en étant conscient de l’impossibilité de cette tâche. John Malmstad, spécialiste de la poésie russe, écrit :

Il lutte pour l’absolu, pour la transformation de la réalité, pour l’unification du moi, mais s’il n’y atteint jamais, ce ne pourra être que pour le plus fugace des instants, souvent au cours de l’acte créateur. [Malmstad,1988 : 115]

Hodasevič conçoit en effet l’acte créateur comme une transfiguration. Il écrit :

Произведение искусства есть преображение мира, попытка пересоздать его, выявив скрытую сущность его явлений такою, какова она открывается художнику [d'après : Богомолов, 1989 : 33]

Une œuvre d’art est une transfiguration du monde, une tentative de la recréer en révélant l’essence cachée de ses apparences, telle qu’elle apparaît à l’artiste.1

Riche de sa connotation évangélique, le mot « transfiguration » évoque la lumière de l’être, la mystique chrétienne de la lumière, qui apparaît à la fois comme un motif et comme un principe poétique de son œuvre. C’est dans cette perspective que l’aphorisme de Simone Weil éclaire non seulement la vision du monde, mais aussi l’esthétique de Hodasevič, en faisant écho notamment à la poétique des titres de ses recueils de la maturité : Lourde lyre, et (de manière négative) La nuit européenne. Nous verrons que La nuit européenne semble bien signer l’échec d’une telle poétique de la transfiguration…

La dualité de la lumière et de l’obscurité traverse toute la poésie de Hodasevič. Emmanuel Demadre a ainsi souligné la dominante sombre de son premier recueil Jeunesse, publié en 1908, et la lumière des deux recueils suivants, La maisonnette heureuse (1914) et La voie du grain (1920), enfin l’obscurité de Lourde lyre (1922) et de La nuit européenne (1927) [Demadre, 2007 : 573-587]. Mais il faudrait ajouter que cette tension entre lumière et obscurité est présente dans chacun des recueils.

C’est le recueil Tel le grain, ou La voie du grain (Путём зерна, 1920), qui révèle la voix lyrique singulière de Hodasevič, marquée par un classicisme de la forme, un souci de la justesse des mots et de la profondeur du sens2, en même temps qu’une attention acérée au monde et notamment à l’année révolutionnaire 1917 qui bouleverse l’histoire de la Russie : le premier poème, portant le même titre que le recueil, allie la métaphore du grain à celle de la lumière et présente la révolution comme un passage pascal qui promet la vie. C’est dans ce recueil que sont publiés plusieurs poèmes narratifs que la critique a coutume de nommer « épiphaniques », tels que le poème de 1918 Midi (Полдень), évoquant un instant extatique au bord de la mer, alors que le soleil est à son zénith. La lumière physique, diurne, y est décuplée par la vision d’une lumière autre, métaphysique ; cette illumination, instant d’ouverture maximale à l’être, correspond aussi à un recueillement maximal en soi du sujet lyrique qui retrouve son unité intérieure (« Лицом к лицу с собой, потерянным когда-то — / И обретенный вновь »). Nous verrons que le poème narratif Au bord de la mer (У моря, 1922), d’où est extrait le titre « la nuit européenne », prend l’exact contre-pied du poème Midi.

Lourde lyre (Тяжёлая лира), le quatrième livre de Hodasevič, correspond à la période pétersbourgeoise de sa vie, depuis son départ de Moscou pour Petrograd en novembre 1920 jusqu’en juin 1922, date où il quitte la Russie pour Berlin. Il y poursuit la même poétique que La Voie du grain, en développant notamment le motif de la dualité de l’âme et du corps, et celui de la pesanteur. Dans le titre du recueil, la pesanteur est présentée comme un attribut essentiel de la poésie, mais elle caractérise aussi le monde corporel, terrestre, que la poésie a précisément pour tâche d’illuminer, de transfigurer. Quant au mot « nuit », on le trouve notamment dans le poème emblématique Les hirondelles (Ласточки, 1921) [Ходасевич, 1992 : 181], désignant une nuit désirable, nuit de la plénitude ontologique, suressentielle, qui libèrerait de la pesanteur, mais qui n’est accessible qu’au seul regard de l’esprit : il s’ouvre sur le vers aphoristique « Имей глаза — сквозь день увидишь ночь » (« Si tu as des yeux, à travers le jour tu verras la nuit »).

Après son départ de Russie, Hodasevič vit en Allemagne de l’été 1922 à l’automne 1923 : c’est de cette période que datent les dix-sept poèmes formant l’ensemble allemand du recueil La nuit européenne [Demadre, 1997 : 253-264]. En avril 1925, il s’installe définitivement à Paris avec Nina Berberova : c’est à cette date que l’exil commence véritablement. En 1927, une maison d’édition parisienne publie un recueil de poèmes reprenant La voie du grain et Lourde lyre, ainsi que La nuit européenne, son dernier recueil, placé sous le signe de la trivialité, de la disharmonie du monde et de l’esthétique grotesque. Après ce dernier recueil, il renonce à la poésie.

Les recueils de la maturité, depuis la lumière de La voie du grain jusqu’à La nuit européenne seraient donc caractérisés par une avancée dans l’obscurité. Mais l’essentiel semble plutôt dans le fait que cette tension entre lumière et obscurité est présente dans chacun des recueils, et presque dans chacun des poèmes, de la maturité poétique de Hodasevič. C’est ce que confirme l’étude lexicale du champ lexical du jour et de la nuit, de la lumière et de l’obscurité. Le couple oppositionnel le plus fécond est celui de la lumière et de l’obscurité. Les noms свет (lumière), лучи (rayons), le verbe сиять (rayonner) et ses composés sont les plus fréquents : citons par exemple l’incipit du poème Les pains (Хлебы, 1918) [Ходасевич, 1992 : 141], dont la lumière surabondante clôt le recueil La voie du grain : « Слепящий свет сегодня в кухне нашей » (« Lumière éblouissante dans la cuisine aujourd’hui »). La lumière y est en outre le signe de la proximité des anges, personnages récurrents, comme dans le poème La musique (Mузыка, 1920) [ibid. : 155-156], qui ouvre le recueil Lourde lyre : « В нем ангелы пернатые сияют » (« Les anges ailés y resplendissent »). Le soleil est souvent nommé, comme dans le poème épiphanique Rencontre (Встреча, 1918) [ibid. : 130-131], qui décrit une jeune fille comme une apparition mariale « Она стояла, залитая солнцем » (« Elle était là, inondée de soleil »).

Face à la récurrence de ces mots qui disent la clarté, c’est le mot мрак (ténèbres) qui est de loin le plus fréquent pour désigner l’obscurité : d’origine slavonne, appartenant au registre élevé, c’est un nom biblique, immédiatement évocateur du néant. Citons, par exemple, un distique extrait du bref poème Je regarde par la fenêtre, et je méprise (Смотрю в окно — и презираю..., 1921) [ibid. : 183], du recueil Lourde lyre, qui condense et réunit l’opposition paradoxale, physique et métaphysique, de la lumière du jour et de l’obscurité du néant : « Дневным сиянием объятый, / Один беззвездный вижу мрак... » (« Enserré par la lumière du jour, / je ne vois que la ténèbre sans étoiles… »). Le nom мрак est particulièrement présent dans les poèmes allemands de La nuit européenne, où le poète évoque un univers urbain démoniaque : « Дома — как демоны, / Между домами — мрак » (« Les maisons sont comme des démons, / Entre les maisons : les ténèbres ») (C берлинской улицы, 1922-1923) [ibid. : 229-230].

Mais le titre La nuit européenne nous invite à étudier les occurrences du nom ночь, relevant du langage courant, sans doute plus propice à une interprétation polysémique que мрак. Le nom ночь désigne d’abord une réalité temporelle, dans son opposition au jour [Genette, 1968 : 28-42] ; une réalité spatiale, comme le suggère le syntagme « nuit européenne », mais aussi spirituelle [Bouyer, 1990 : 108-109]. Dans la mémoire juive, la nuit est celle de l’épreuve où Dieu a délivré son peuple (Exode 12, 21-42) ; selon la foi chrétienne, la nuit pascale est triple : nuit de la Cène (1 Corinthiens, 23-25), nuit qui recouvre la terre au moment de la mort du Christ (Mt. 20, 45), nuit de la Résurrection (Mt. 28, 1-8). Et dans l’expérience mystique, la nuit peut être aussi celle du doute, qui risque de faire chanceler la foi.

Nous proposons de parcourir le recueil La nuit européenne en suivant les occurrences du mot « nuit », en commençant par une brève présentation du poème narratif Au bord de la mer dont le titre est extrait, qui fait de la nuit une métaphore de la condition humaine. Notre parcours nous fera voir ensuite la nuit comme un espace fermé, espace urbain, lieu de la pesanteur (Всё каменное) ; comme l’espace-temps infernal de toute une époque, source d’une inspiration mortifère (Ночь), enfin comme l’espace-temps de la révélation du non-être, de la désintégration du moi lyrique (Берлинское) conduisant au silence poétique.

La « noire nuit européenne »

Le syntagme « noire nuit européenne » (« Под европейской ночью черной ») surgit au milieu du poème narratif Au bord de la mer [Ходасевич, 1992 : 223-227], à la fin du deuxième poème de ce cycle qui en comporte quatre.

Под европейской ночью черной
Зaлaмывaeт руки он.

Dans la noire nuit européenne
Il se tord les mains.

L’apparition de la nuit n’y est pas préparée temporellement par les strophes qui précèdent, où se dessine le portrait d’un personnage indéfini, désœuvré, déshumanisé, comparé à une mouche (« Как муха на бумаге липкой », « Comme une mouche sur un papier collant »), appesanti par une vie quotidienne vaine (« Погряз в простом житье-бытье », « Embourbé dans le simple quotidien »), et qui, voulant soudain échapper à l’ennui (« Как можно жить в тоске такой ! / Он вскакивает. Мимо, мимо, / Под ветер, на берег морской ! », « Comment vivre dans cet ennui ! / Il sursaute. À côté, à côté, / Allons au vent, au bord de la mer ! »), ne trouve que la « noire nuit européenne ». L’adjectif « noire » en fin de vers, redondant, au sens temporel du mot « nuit » ajoute le sens d’une obscurité totale, oppressante parce que le personnage se trouve « en dessous » et parce qu’elle renvoie au vide intérieur qui le mine (« Он всё забыл », « Il a tout oublié »). L’autre adjectif, « européenne », qui précède en russe le mot « nuit », renvoie le personnage, double du poète, à son altérité et son étrangeté : son visage « n’est pas d’ici » (« лицо нездешнее ») ; il spatialise en outre la nuit, la généralise, renverse la relation entre les termes pour faire de la nuit une métaphore de l’Europe.

L’Europe est avant tout le lieu de l’exil pour le poète, lieu de l’errance. La première partie du poème Au bord de la mer s’ouvre sur le regard désespéré d’un je lyrique rabaissé, contemplant un ciel réifié, qui l’enferme dans la trivialité :

Лежу, ленивая амеба,
Гляжу, прищуря левый глаз,
В эмалированное небо,
Как в опрокинувшийся таз.

Allongé, amibe paresseuse,
Je regarde, l’œil gauche plissé,
Le ciel émaillé,
Comme une bassine renversée.

Le poème se clôt sur la figure de Caïn, qui traverse ce monde trivial, comme s’il l’habitait tout en lui étant étranger.

Неузнанный проходит Каин
С экземою между бровей.

Incognito passe Caïn,
De l’eczéma entre les sourcils.

Caïn est la figure du réprouvé, de l’exilé, de l’éternel errant (« tu seras errant et vagabond sur la terre », Gn. 4, 12), c’est à ce titre un double du je lyrique et du poète, leur parenté est ironiquement soulignée par la maladie de la peau dont souffrait Hodasevič3. Dans la deuxième partie du poème, le personnage n’est pas nommé, mais l’on peut supposer qu’il s’agit du même Caïn, à la fois figure de l’autre et figure d’un moi distancié, qui erre à travers le temps, un temps collectif dans lequel s’inscrit la voix lyrique : « Он в нашем времени дрожит » (« Il tremble dans notre temps »), « Слоняется по нашим дням » (« Il erre à travers nos jours »). Ce temps est résumé dans l’expression finale de « nuit européenne », qui prend une valeur temporelle autant que spatiale : elle désignerait la civilisation européenne des années vingt, se faisant alors l’écho de la conception slavophile d’une Europe matérialiste, oublieuse de la transcendance, ou bien nommerait plus globalement la modernité européenne caractérisée par le doute, dans laquelle l’exilé retrouve, comme posé en dehors de soi, le vide qui l’habite.

La nuit européenne signifierait donc ultimement la condition humaine, la condition de Caïn qui est celle de l’homme éloigné de Dieu4, symbolisée pour Hodasevič par la perte de la vision : l’extrême fin de ce cycle poétique reprend le motif de l’obscurité, mais cette fois du point de vue subjectif d’un aveuglement « Из-под ног земля убегает, / Глазам не видать ни зги » (« Sous ses pieds la terre se dérobe, / On n’y voit plus rien »). L’aveugle est un personnage emblématique de « la nuit européenne », auquel un bref poème est consacré (Слепой, 1922-1923) [Ходасевич, 1992 : 221]. L’impossibilité de voir est symbolique de l’impossibilité de croire ; la perte de la vision physique atteste aussi de l’absence de sens mystique. Le court poème Tout est de pierre… (Всё каменное), dont la durée poétique coïncide avec la durée d’une nuit et l’attente du jour, contrairement à ce à quoi nous avait habitué Hodasevič dans ses précédents recueils, ne laisse aucune prise à une lecture mystique de la nuit, ou du jour, comme ouverture vers l’être.

La nuit urbaine, espace de la pesanteur

Le poème Tout est de pierre… (Всё каменное, 1923) [Ходасевич, 1992 : 238] fait partie des poèmes berlinois de La nuit européenne. Il décrit un monde pétrifié.

Всё каменное. В каменный пролет
Уходит ночь. В подъездах, у ворот —

Как изваянья — слипшиеся пары.
И тяжкий вздох. И тяжкий дух сигары.

Бренчит о камень ключ, гремит засов.
Ходи по камню до пяти часов,

Жди : резкий ветер дунет в окарино
По скважинам громоздкого Берлина —

И грубый день взойдет из-за домов
Над мачехой российских городов.

Tout est de pierre. Par l’arche de pierre
Passe la nuit. Aux portes, sous les porches,

Comme des statues : des corps accolés.
Lourds soupirs. Lourde fumée de cigare.

La clé tinte contre la pierre, le verrou claque.
Marche dans la pierre jusqu’à cinq heures,

Attends : le vent soufflera dans les orgues
Des failles de l’énorme Berlin,

Et le jour mauvais se lèvera
Sur la marâtre des villes russes.

Tout est de pierre : l’assertion initiale du poème est une phrase minimale contenant en germe tout le poème. Du fait de la non-expression de la copule être au présent en russe, la phrase est constituée du seul pronom tout, et de l’adjectif dérivé du nom pierre, prédicat ; elle ne contient qu’un seul accent métrique, ce qui contribue également à figer le poème dès le premier vers, de même que le point qui scinde en deux le premier vers. Lorsque l’élan prosodique reprend, c’est pour répéter le même : l’adjectif каменное qualifie cette fois-ci un lieu, une arche, nommée en fin de vers, ce qui crée un léger effet d’attente, et met en scène l’apparition de la nuit, au début du vers suivant. La nuit semble personnifiée, première habitante de cette ville de pierre, comme un cimetière, dont les seuls espaces urbains cités sont des seuils : travée (пролёт), puis entrée d’immeubles (подъезд), portes cochères (ворота). Ces seuils semblent représenter le passage par excellence qu’est la mort, symbolisée par la nuit, première « passante » du poème.

Dans le distique suivant surgissent des silhouettes enlacées, pétrifiées, sans vie, « слипшиеся пары », comparées à des statues : l’amour n’est pas légèreté mais difformité. Ce motif de « ce qui colle » avait déjà été rencontré dans le poème Au bord de la mer, où le personnage était comparé à une mouche sur du papier collant (« Как муха на бумаге липкой ») : ce qui est collant, et déforme, relève de l’esthétique grotesque, et exprime de manière physique la pesanteur du monde et des corps sans âmes. Il annonce, au vers suivant, la double répétition de l’adjectif lourd (тяжкий) qualifiant tour à tour le soupir érotique et la fumée de cigare, qui rabaisse le mot esprit (дух) au sens matériel et restreint de « fumée », et qui rabaisse aussi l’amour en lui ôtant toute signification spirituelle. L’autre passant, animé, cette fois, sera le vent, dans l’avant-dernier distique, comme un annonciateur apocalyptique du jour. La nuit urbaine apparaît ainsi comme l’espace-temps de la pesanteur, espace-temps mortifère que la voix lyrique exhorte à parcourir : « Ходи по камню до пяти часов » (« Marche dans la pierre jusqu’à cinq heures »), comme en écho à l’errance de Caïn, qui, dans le récit de la Genèse, après le meurtre de son frère, devient un personnage urbain (« Caïn se mit à construire une ville et appela la ville du nom de son fils Hénok », Gn. 4, 17). Cette errance n’a d’autre but que d’attendre le jour, un jour mauvais (грубый день), qui révèle l’identité maléfique de Berlin sur laquelle se clôt le poème : « marâtre des villes russes », double dégradé de Moscou, mère des villes russes.

Le poème La nuit [Ходасевич, 1992 : 268-269], écrit en 1927, alors que Hodasevič vit à Paris, porte un regard rétrospectif sur ces errances nocturnes : il les interprète comme une descente aux enfers qui est aussi une entrée dans l’histoire, source paradoxale d’inspiration poétique. Ayant renoncé à transfigurer le monde, la poésie aspire désormais à s’y enfoncer.

La nuit, « haleine » du siècle

Dans le poème La nuit, le mot ночь n’apparaît que dans le titre, ce qui lui confère un sens symbolique, et qui autorise à lire le poème non seulement comme une description, mais comme une interprétation de la nuit.

Ночь
Измученные ангелы мои !
Сопутники в большом и малом !
Сквозь дождь и мрак, по дьявольским кварталам
Я загонял вас. Вот они,

Мои вертепы и трущобы !
О, я не знаю устали, когда
Схожу, никем не знаемый, сюда,
В теснины мерзости и злобы.

Когда в душе всё чистое мертво,
Здесь, где разит скотством и тленьем,
Живит меня заклятым вдохновеньем
Дыханье века моего.

Я здесь учусь ужасному веселью :
Постылый звук тех песен обретать,
Которых никогда и никакая мать
Не пропоет над колыбелью.

La nuit

O mes chers anges exténués !
Compagnons de tous les instants !
Dans la pluie, le noir, les quartiers diaboliques
Comme je vous chassais. Les voici,

Mes antres et mes bas-fonds !
Je ne connais pas la fatigue, si
Je descends ici, inconnu,
Dans les failles du dégoût.

Quand dans mon âme le pur est mort,
Ici, où pue la bête et le pourri,
Me vivifie un souffle honni,
L’haleine de mon siècle.

J’apprends ici la joie terrible :
De ces chants trouver le son tiède
Qu’aucune mère, jamais,
Ne chantera sur un berceau.

Le regard rétrospectif, porté par le je lyrique, sur sa vie prend tout d’abord la forme d’un élan lyrique plein de compassion, souligné par de nombreux points d’exclamation, que le sujet adresse à ses anges gardiens, compagnons de joie et d’infortune, doubles ailés, légers, du poète qui traversaient les recueils La voie du grain et Lourde lyre. Ainsi, dans le poème Les pains, les chérubins participaient à l’humble service de la cuisine, et à la fin du poème, la voix lyrique laissait la parole à l’ange : « L’ange nous dit que sont vrais comme le ciel / La terre, l’amour et le labeur » (« Клянется ангел нам, что истинны, как небо, / Земля, любовь и труд »). Les anges personnifiaient la vision de l’être en sa beauté5, rendaient présents le ciel sur la terre, et invitaient à regarder la terre comme le ciel. Ici, la voix lyrique pousse cette logique à son extrême en faisant descendre les anges, toujours présents, dans les enfers terrestres de la ville : « Сквозь дождь и мрак, по дьявольским кварталам / Я загонял вас » (« Dans la pluie, le noir, les quartiers diaboliques / Comme je vous chassais »). Dans la strophe suivante, le verbe descendre (cхожу) est rejeté en début de vers après la locution quand, en fin de vers précédent, ce qui met en œuvre prosodiquement le décalage fatal qui fait glisser le je lyrique dans cet ici du poème, répété plusieurs fois (сюда, indiquant le lieu vers lequel on se dirige, puis здесь, le lieu où l’on se trouve, repris à chaque strophe suivante), un ici morbide dans lequel le je lyrique désormais se complaît.

Ces confidences sur le chemin de vie parcouru sont donc aussi des confidences poétiques : si les anges personnifient l’acte poétique, l’espace urbain nocturne que le poème évoque apparaît au fil du poème comme l’espace poétique de l’ensemble de l’œuvre de Hodasevič, un espace incliné, qui traverse « la pluie, le noir, les quartiers diaboliques », descend dans « les antres » et « les bas-fonds » (« Вот они, / Мои вертепы и трущобы ! »), jusqu’au plus profond, jusqu’à ces « failles du dégoût » (« В теснины мерзости и злобы ») qui s’enfoncent dans les ténèbres spirituelles, antithèse de la beauté, ici nommées bestialité et pourriture (« Здесь, где разит скотством и тленьем »).

La nuit du titre nomme cet espace-temps en pente de la trivialité, de la пошлость, concept structurant de la culture russe qui désigne la laideur métaphysique du quotidien, dans lequel le je lyrique descend, « inconnu » (« никем не знаемый ») comme Caïn dans le poème Au bord de la mer (« Неузнанный проходит Каин »), c’est-à-dire impersonnel, sans visage, comme s’il avait perdu toute trace du divin en lui : c’est ainsi qu’on pourrait interpréter l’expression « Quand dans mon âme le pur est mort » (« Когда в душе всё чистое мертво »), où l’adjectif substantivé pur, n’est plus qu’un son vide, un signe linguistique sans réalité vivante. Pourtant le poète reconnaît trouver paradoxalement un réconfort dans la trivialité (« я не знаю устали »), à l’insigne différence des anges exténués (« измученные ангелы »), et la poésie s’en trouve vivifiée : selon la polysémie du mot вдохновенье, le souffle honni de la putréfaction devient inspiration poétique, parce qu’il est l’haleine du siècle.

Le je lyrique dit « l’haleine de mon siècle » (« дыханье века моего »), comme il disait au premier vers « mes anges » (c’est moi qui souligne, F.C.). Point culminant du poème, l’expression « дыханье века моего » occupe tout le dernier vers de l’avant-dernière strophe, et peut être vue comme un miroir du titre du poème, La nuit, et du recueil entier, La nuit européenne. L’espace-temps de la nuit s’avère être l’espace-temps d’une époque, les années vingt, d’une modernité européenne marquée par l’oubli de l’esprit et engloutie dans le physiologique, ce que traduit l’esthétique grotesque de tout le recueil. Hodasevič ne dit pas l’esprit du siècle (дух), mais l’haleine (дыханье), grâce à un jeu lexical sur la même racine qui montre, d’un point de vue phonologique, l’éclatement, la décomposition du mot simple en trois syllabes, et la dégradation du masculin en neutre. Notons que la disparition de l’esprit concerne autant l’Europe occidentale que l’Union soviétique de la NEP6, où triomphe également l’esprit petit-bourgeois, la пошлость, pourtant associée souvent à l’Оccident dans la pensée slavophile.

Pourtant ce siècle honni est le sien ; le pronom possessif signe l’identité de destin, identité tragique, qui conduit à faire entrer l’histoire dans ce qui est le plus intime : la création poétique. L’inspiration historique, définie par la décomposition (тленье) conduit inexorablement à la désintégration mortifère de la parole poétique. Celle-ci est suggérée dans la dernière strophe par l’oxymore « joie terrible », développée ensuite par l’image d’un chant réduit à un « son tiède », comme privé de sens, un chant contre-nature, anti-maternel, le chant de la mort. La définition négative de la poésie qui clôt tragiquement le poème (« Qu’aucune mère, jamais, / Ne chantera sur un berceau ») renvoie la poésie à l’espace nocturne, désespéré, de Berlin, « marâtre des villes russes », et présente la poésie comme un espace artificiel, un espace vide, qui met en abyme la désintégration du monde et du moi.

La nuit, reflet du non-être

Le poème Berlin (Берлинское, 1923) [Ходасевич, 1992 : 228], par le jeu des espaces intérieurs et extérieurs démultipliés par les reflets des vitres, met en scène la nuit berlinoise comme reflet du vide intérieur du je lyrique. Il ne présente pas d’occurrence du nom nuit, mais de l’adjectif nocturne (ночной). On pourrait déjà y lire un signe de la désintégration qui fait disparaître le substantif, la substance, ce qui existe en soi, et rend possible la compréhension du monde, et fait au contraire proliférer les apparences, les reflets, ce qui est changeant, et qui sape toute compréhension. Le poème se fige sur l’apparition de « la tête nocturne » du sujet lyrique, détachée de son corps. Ce démembrement est annoncé par la construction cubiste, ou cubo-futuriste, de tout le poème.

Берлинское

Что ж ? От озноба и простуды —
Горячий грог или коньяк.
Здесь музыка, и звон посуды,
И лиловатый полумрак.

А там, за толстым и огромным
Отполированным стеклом,
Как бы в аквариуме темном,
В аквариуме голубом —

Многоочитые трамваи
Плывут между подводных лип,
Как электрические стаи
Светящихся ленивых рыб.

И там, скользя в ночную гнилость,
На толще чуждого стекла
В вагонных окнах отразилась
Поверхность моего стола, —

И проникая в жизнь чужую,
Вдруг с отвращеньем узнаю
Отрубленную, неживую,
Ночную голову мою.

Berlin

Eh quoi, contre le froid et le rhume,
Un grog brûlant ou du cognac.
Ici, musique, bruit de vaisselle,
Et une pénombre lilas.

Et là, au-delà de l’énorme
Vitre épaisse de verre poli,
Comme dans un sombre aquarium,
Comme dans un aquarium bleu —

Flottent des tramways couverts d’yeux
Entre les tilleuls sous-marins,
Comme des bancs électriques
De lents poissons phosphorescents.

Là, glissant dans la nuit putride,
Sur l’épaisseur du verre lointain
Des fenêtres de wagons, le reflet
De la surface de ma table —

Et pénétrant une autre vie,
Soudain je vois avec dégoût
Une tête coupée, inerte,
Ma tête nocturne.

Comme un tableau cubiste, le poème Berlin propose une vision décentrée (ou excentrée) de la vie nocturne, qui fait alterner, de strophes en strophes, espaces intérieurs et espaces extérieurs. La première strophe, comme le premier plan d’un tableau, est l’ici du poème, l’espace fermé d’un café, dont la pénombre est intimement liée à une impression sonore cacophonique (« Здесь музыка, и звон посуды, / И лиловатый полумрак », « Ici, musique, bruit de vaisselle, / Et une pénombre lilas »). La deuxième strophe désigne un espace éloigné (« А там », « Et là »), séparé par une vitre, qui pourrait être un second plan, mais qui plutôt se superpose au premier par le jeu de la transparence. De plus, cet espace opposé au premier par la distance, que la logique conçoit comme un extérieur, est comparé à l’espace fermé d’un « sombre aquarium », ce qui brouille la perspective de l’intérieur et de l’extérieur, de l’ouvert et du fermé, sur lesquels reposent à la fois la perception de l’espace et du moi dans l’espace. Enfin, l’impression visuelle d’un aquarium perturbe la différence fondamentale entre l’air et l’eau, bouleverse la perception du cosmos, et renforce la tonalité apocalyptique du poème.

À la troisième strophe, ce second espace fermé, dont l’obscurité se superpose à la pénombre du premier, est animé par des tramways animalisés, monstres marins « couverts d’yeux », phosphorescents de lumière artificielle : « Как электрические стаи / Светящихся ленивых рыб »7. Ces tramways apparaissent comme une transformation monstrueuse des anges du poème précédent, puisque dans la tradition angélologique, ce sont les chérubins qui ont de nombreux yeux, et la lumière électrique signe l’imposture de ces anges mécaniques qui hantent un cosmos sens dessus dessous, thématisé à la strophe suivante par la notion de pourriture (« в ночную гнилость »). Telle est la première occurrence de l’adjectif nocturne, qui fait de la nuit une figure de la décomposition, matérialisée, ou textualisée, par la décomposition des reflets qui mettent en abyme l’espace poétique, et annoncent le vide.

En effet, surgit ici une seconde séparation de verre, lointaine, étrangère — « На толще чуждого стекла » — celle des fenêtres du tramway, qui délimite un espace fermé distant, et pourtant coextensif à l’espace fermé premier, celui du café, puisqu’il agit comme un miroir, et reflète la surface de la table où se trouve le sujet lyrique : « В вагонных окнах отразилась / Поверхность моего стола » (« Sur les fenêtres des wagons, le reflet / De la surface de ma table »). La vision de ce reflet, qui déplace la surface matérielle de la table à travers l’espace décomposé de la nuit, à travers l’air et l’eau, la vitre, l’aquarium et la fenêtre du tramway, provoque un suspens, une sortie du temps, textualisée par un tiret qui relie la virgule, représentant la discursivité, au blanc de la fin du vers et fin de la strophe, montre le silence, et le vide dans lequel entre le je lyrique. Ce vide est d’abord paradoxalement nommée « vie étrangère » (« И проникая в жизнь чужую », « Et pénétrant une autre vie »), une sortie hors de soi qui est vécue comme une avancée : cette tension, ou cette confusion, entre le mouvement de l’intériorité et de l’extériorité pourrait décrire une extase, une sortie du temps qui fait échapper à la pesanteur, comme dans le poème Épisode (Эпизод, 1918) [Ходасевич, 1992 : 119-121] du recueil La voie du grain, qui relatait une expérience mystique de séparation de l’âme et du corps ; mais ici cette sortie de l’espace et du temps scelle au contraire la perte des limites du moi, la perte de l’intégrité, car elle décrit plutôt le processus inverse, celui de la pénétration, dans le moi, du monde décomposé.

L’ultime vision du je lyrique est celle de sa tête coupée ; la désintégration du corps s’étend sur les deux derniers vers, elle se morcelle en trois adjectifs qui disent la mort de trois manières : organique ou physiologique, « tête coupée », de manière négative, « sans vie », « inerte », et de manière symbolique « tête nocturne ». La mise en parallèle des deux syntagmes présentant l’adjectif « nocturne », « ночную гнилость » et « ночную голову мою », tous deux à l’accusatif, suggère que la pourriture a décomposé l’esprit. La nuit matérialise la désintégration du monde et de la personne, qui reste consciente d’elle-même, comme le suggère l’adjectif possessif à la première personne du singulier sur laquelle s’achève le poème, mais c’est une conscience de sa propre dévastation, une conscience du vide.

Le poème Berlin peut ainsi être lu comme une mise en œuvre de cette poétique qui, faute de pouvoir transfigurer une réalité en décomposition, s’y abîme jusqu’à y mettre en scène sa propre disparition. L’espace-temps poétique de la nuit apparaît alors comme la seule révélation désormais possible, celle du non-être, de la désintégration du moi lyrique, conduisant inéluctablement au silence poétique. La nuit européenne sera le dernier recueil de Hodasevič : l’acte poétique ne sera plus capable de recueillir, de réunir ce qui s’avère inéluctablement dispersé ; il n’est plus capable d’être à la fois un acte poétique et éthique, ce qui est impensable, et ne peut que rester silencieux.

Bibliographie

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Notes

1 Sauf mention contraire, les traductions sont de l'auteur.

2 C’est ce que souligne Gleb Struve dans son article de 1928 (« Тихий ад »).

3 C’est l’indication biographique que donne E. Demadre dans sa thèse La Quête mystique de Vladislav Hodasevič, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2000.

4 « Caïn s’éloigna de la présence du Seigneur et habita dans le pays de Nod à l’orient d’Eden » (Gn. 4, 16). La note de la traduction œcuménique de la Bible indique que le nom de ce pays est formé sur la racine du vagabondage, qui définissait Caïn au verset 12. Ce pays est un « non-lieu », synonyme de l’errance.

5 La poésie de Hodasevič fait ici écho à l’ouvrage angélologique du père Sergej Bulgakov, où il était écrit : « Вся красота мира есть ничто иное, как просвет в небо, прозрачность для нас ангельского мира » (« Toute la beauté du monde n’est rien d’autre qu’une percée lumineuse dans le ciel, la transparence à nos yeux du monde angélique ») [Булгаков, 1929 : 122-123].

6 Voir à ce sujet le poème satirique Tentation (Искушение, 1921) [Ходасевич, 1992 : 164-165].

7 « Devant le trône, comme une mer limpide, semblable à du cristal. Au milieu du trône et l’entourant, quatre animaux, constellés d’yeux par-devant et par-derrière. […] Les quatre animaux avaient chacun six ailes couvertes d’yeux tout autour et au-dedans » (Ap. 4, 6-8). Les quatre animaux, ou tétramorphe, ou encore quatre vivants, selon les traductions, ont pour origine la vision de la gloire de Dieu au Livre d’Ezéchiel (Ez. 1, 5-21 ; 10, 14). La tradition iconographique représente les chérubins couverts d’yeux, signe de connaissance intime de la Divinité.

Citer cet article

Référence électronique

Florence Corrado-Kazanski, « Remarques sur le mot noč’ (nuit) dans La nuit européenne de Vladislav Hodasevič », Modernités russes [En ligne], 18 | 2019, mis en ligne le 20 janvier 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/modernites-russes/index.php?id=156

Auteur

Florence Corrado-Kazanski

Maître de conférences HDR de langue et littérature russes à l'université Bordeaux Montaigne, membre du laboratoire cultures, littératures, arts, représentations, esthétiques (CLARE, EA 4593)

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