« Que doit faire un artiste maintenant, à notre époque ? » : l’ancien et le moderne dans la conception artistique de Nikolaj Polevoj (récit Le peintre)

  • «Что должен делать художник теперь, в наше время?»: старое и новое в художественной концепции Николая Полевого (повесть Живописец)
  • “What’s an artist to do now, in this day and age?”: the ancient and the modern in Nikolaj Polevoj’s artistic conception (the story The Painter)

DOI : 10.35562/modernites-russes.880

Le récit de Nikolaj Polevoj Le peintre (1833) enrichit un canon romantique déjà bien établi, à son époque, en y introduisant un motif inhabituel : celui de la peinture d’icônes. Le jeune artiste visionnaire Arkadij, explicitement influencé par le modèle de représentation visuelle bien connue de la Madone, tel que décrit par W. G. Wackenroder et popularisé en Russie par Žukovskij, ne peut néanmoins complètement renier son expérience de formation chez un peintre d’icônes. Le désordre visuel qui caractérise les images rassemblées dans l’atelier d’Arkadij reflète son hésitation à choisir un mode de représentation particulier. Cependant, dans son dernier tableau, Le Christ aux enfants, Arkadij parvient à concilier la stéréotypie de l’image religieuse avec une approche visionnaire. Ainsi, la peinture d’icônes, qu’Arkadij perçoit initialement comme incompatible avec les aspirations artistiques de l’époque moderne, se révèle être un élément important dans l’élaboration d’un nouveau modèle artistique. Ce modèle combine la subjectivité romantique à une objectivation presque mécanique de l’image divine, caractéristique de la peinture d’icônes en tant qu’« âge patriarcal de l’art ».

Повесть Николая Полевого Живописец (1833) дополняет вполне уже устоявшийся романтический канон довольно необычным для него мотивом иконописания. Молодой художник-визионер Аркадий, эксплицитно ориентирующийся на известную модель визуальной репрезентации Мадонны, описанную В. Г. Вакенродером и популяризированную в России Жуковским, не может полностью отказаться и от своего опыта обучения в иконописной мастерской. Визуальный беспорядок, который демонстрируют имеющиеся в ателье Аркадия изображения, отражает его колебания при выборе способа репрезентации. В последней картине Аркадия Христос с детьми ему удается примирить стереотипность религиозного образа с визионерской установкой. Тем самым иконопись, которая поначалу представляется Аркадию не соответствующей задачам современности, оказывается важным элементом выработки новой художественной модели, в которой романтическая субъективность уравновешивается почти механической объективацией божественного образа, характерной для иконописания как «патриархального века искусства».

Nikolaj Polevoj’s story The Painter (1833) enriches the established Romantic canon with the distinctive motif of icon painting. The young visionary painter Arcadij adheres closely to a well-known model of representing the Madonna, a tradition shaped by W. H. Wackenroder and popularized in Russia by Žukovskij. However, he cannot entirely escape the influence of his earlier training in icon painting. The visual chaos dominating Arcadij’s atelier reflects his struggle to choose between competing forms of artistic representation. In his final work, Christ with children, Arcadij achieves a reconciliation of the stereotypical elements of religious imagery with a visionary sensibility. Thus, icon painting — initially perceived by Arcadij as incompatible with the demands of modernity — emerges as an important component in developing a new artistic paradigm. This paradigm balances Romantic subjectivity with the almost mechanical objectification of the divine image, a hallmark of icon painting as a product of the “patriarchal age of art”.

Texte

Le peintre (Живописец) de Nikolaj Polevoj, récit publié en 1833 dans la revue Le Télégraphe de Moscou (Московский телеграф), dirigée par l’auteur, compte parmi les œuvres les plus significatives de la littérature romantique russe. Elle développe le thème du conflit tragique entre l’artiste visionnaire, inspiré, et une réalité vulgaire qui l’affecte profondément, aussi bien sur le plan existentiel (la trahison de sa bien-aimée, qui épouse un médiocre fonctionnaire) que sur le plan créatif (le rejet de ses peintures, non seulement par le public profane, mais également par ses pairs artistes)1.

Bien que Polevoj suive dans son Peintre un schéma classique du romantisme —­ le conflit qui s’achemine inexorablement vers la mort de l’artiste incompris — il enrichit ce lieu commun par l’introduction d’un motif original : la peinture d’icônes. En effet, le protagoniste de l’histoire, le peintre Arkadij, traverse plusieurs étapes dans son développement artistique, la première étant sa formation à la peinture d’icônes. Comment un peintre d’icônes en vient-il à devenir l’auteur d’un tableau représentant le Prométhée frénétique ?

On peut également se poser la question de savoir si le dernier tableau d’Arkadij, peint en Italie sous l’influence manifeste de Raphaël, est lié à cette expérience d’enfance, marquée par l’enseignement d’un « maître de la peinture d’icônes proche des vieux-croyants », disciple d’« Alypius des Grottes et du pieux André Roublev » (Полевой, 1833 : 255).

En fin connaisseur de la tradition iconographique et de ses écoles, Polevoj n’y adhère pourtant point et préfère la peinture occidentale, qu’il examine dans la perspective inspirée par le romantique allemand Wilhelm Heinrich Wackenroder et son livre Épanchements d’un moine ami des arts (1797)2. Selon Aleksandr Karpov, « les idées de Polevoj sur la nature divine de l’inspiration, son appréciation de l’art religieux, ainsi que sa conception du caractère individuel de la créativité et de l’inutilité de l’imitation, sont liées aux idées de Wackenroder » [Карпов, 1989 : 522].

Auteur de plusieurs œuvres d’inspiration patriotique, dont l’Histoire du peuple russe (1829-1833), et fier d’être issu du tiers état, Polevoj ne partage pas l’admiration pour la peinture d’icônes qui sera, quelques décennies plus tard, celle d’un Nikolaj Leskov ou d’un Nikodim Kondakov3. Pour Polevoj, l’approche des iconographes est trop archaïque, tant sur le plan spirituel que technique, et ne correspond pas à l’esprit romantique de son époque. Et pourtant, il juge nécessaire de faire passer Arkadij par un atelier d’icônes, comme si la connaissance de la peinture occidentale ne suffisait pas à elle seule pour devenir un artiste russe. Et si Arkadij rêve d’Italie, comme tous les autres peintres contemporains, et si c’est là qu’il réalise son chef-d’œuvre, cette dernière œuvre possède une force performative qui le rapproche des icônes. De manière significative, cette toile quitte le sol d’Italie et est transférée en Russie dans une petite ville provinciale où Arkadij avait été initié à l’art des icônes.

Quant à Wackenroder, c’est Vasilij Žukovskij qui devient en Russie son porte-parole. En 1821, dans une lettre adressée à la grande-duchesse Aleksandra Fëdorovna4, le poète relate l’histoire (fantaisiste) de la création de la Madone Sixtine, qu’il emprunte directement à l’écrivain allemand. Cette légende, racontée par Wackenroder dans La Vision de Raphaël, est contée par Arkadij de la manière suivante :

Raphaël réfléchissait depuis longtemps à la manière de représenter la Très Sainte Vierge ; il était perdu dans ses pensées, tourmenté, épuisé ; ses forces s’affaiblissaient ­— il finit par s’endormir. C’est alors que la Sainte Vierge lui apparut sous la forme céleste dans laquelle il la représenta, suscitant la stupéfaction au fil des siècles. Raphaël bondit de son lit. « Elle est là ! », s’écria-t-il en désignant la toile. Et, dans un oubli total de lui-même, il saisit son pinceau et ses peintures, il oublia tout et se mit à transférer sa vision sur la toile, donnant corps à son rêve à travers des esquisses et des couleurs…

Рафаэль долго думал: как изобразить ему Пресвятую, и терялся в размышлениях, мучился, терзался; силы его ослабели — он уснул. Тогда явилась ему Пресвятая Дева в том небесном виде, в каком он изобразил ее на изумление векам. Рафаэль вскочил с своего ложа. «Она здесь!» вскричал он, указывая на полотно. И в забвении самого себя схватил он кисть и краски, забыл все, переносил свое видение на холстину, облекал мечту свою в очерки, в краски... [Полевой, 1833 : 280-281].

Il est révélateur que les deux versions de la légende dans le récit d’Arkadij, celles de Wackenroder et de Žukovskij, qui diffèrent sur un point essentiel, bien que peu évident5, soient étroitement imbriquées. Notons tout d’abord que l’expression elle est là (oна здесь) est empruntée par Polevoj à Žukovskij. Voici comment ce dernier décrit l’expérience de Raphaël :

...une fois, il <Raphaël> s’endormit en pensant à la Madone, et un ange l’aurait réveillé. Il se leva d’un bond ! Elle est là, s’écria-t-il en désignant la toile, et il fit le premier dessin. Et en effet, ce n’est pas une peinture, mais une vision : plus vous la contemplez, plus vous êtes convaincu que quelque chose d’anormal se déroule sous vos yeux (surtout si vous la regardez de telle sorte que vous ne percevez ni le cadre ni les autres tableaux)...

...однажды он заснул с мыслию о Мадонне, и верно какой-нибудь ангел разбудил его — он вскочил! она здесь, закричав, он указал на полотно и начертил первый рисунок. И в самом деле, это не картина, а видение: чем долее глядишь, тем живее уверяешься, что перед тобою что-то неестественное происходит (особливо, если смотришь так, что ни рамы, ни других картин не видишь)... [Жуковский, 2012 : 343]

Ainsi, Raphaël, après avoir vu l’image de la Madone sur sa toile, se précipite immédiatement sur ses pinceaux et réalise aussitôt le premier dessin. Ce dessin n’est pas véritablement l’œuvre de Raphaël, mais le résultat d’un travail mécanique visant à matérialiser l’image qu’il a perçue. Autrement dit, l’artiste agit comme un peintre d’icônes reproduisant une image non créée par l’homme — une vera icona, un Mandylion6. Cependant, une telle méthode s’accorde difficilement avec le paradigme romantique. De sorte que Žukovskij change de registre juste après, mais apparemment sans s’en apercevoir, en accentuant le rôle qu’a joué l’âme de l’artiste dans la création de l’image céleste :

Ici, l’âme du peintre, sans aucun des artifices de l’art, mais avec une simplicité et une facilité surprenantes, transféra sur la toile le miracle qui s’était accompli dans ses entrailles.

Здесь душа живописца, без всяких хитростей искусства, но с удивительною простотою и легкостию передала холстине то чудо, которое во внутренности ее совершилось. [Жуковский, 2012 : 343]

Dans cet acte de création inspirée, Elle est là, en tant qu’empreinte fixée sur la toile, et Elle (la Madone), en tant qu’image intériorisée par l’âme, fusionnent en formant une image sans équivalent dans l’histoire de la peinture.

Chez Wackenroder, la situation est quelque peu différente : après avoir vu l’image accomplie de la Madone sur sa toile, l’artiste ne se précipite point pour la reproduire, mais se rendort.

Le lendemain matin, il s’était levé comme transformé ; l’apparition était restée pour toujours gravée dans son cœur et dans ses sens, et il avait alors réussi à reproduire les traits de la Mère de Dieu comme toujours ils avaient flotté devant son âme, et il avait toujours eu un certain respect même pour les images qu’il peignait. [Wackenroder, 2009 : 30]

Raphaël ne copie pas, ici, une image achéïropoïète, car elle disparaît au matin et est remplacée par une esquisse inachevée de la Vierge Marie. Il reproduit plutôt une image imprimée dans son âme, renforcée par une « vague prémonition » qu’il portait déjà en lui. L’image extérieure qu’il avait perçue en rêve a ainsi traduit ce qu’il portait déjà dans son for intérieur. Dans cette perspective, Raphaël apparaît plutôt comme un artiste romantique typique, laissant les images traverser son âme. Cela le distingue nettement de l’iconographe, dont l’objectif est de reproduire de manière désindividualisée une image sacrée qui n’a pas été créée par l’homme.

Polevoj combine les deux modèles de « travail ». En effet, Raphaël se précipite immédiatement sur la toile dans un oubli total de lui-même, ce qui ne l’empêche pas de réaliser aussitôt ses visions et ses rêves sur la toile. Il est difficile de dire si Polevoj s’est bien rendu compte du fait que, chez lui, la vision de Raphaël était plutôt assignée à Arkadij. On peut néanmoins supposer que ce paradoxe est lié à l’ambivalence du protagoniste vis-à-vis de l’iconographie.

En effet, dans son enfance, Arkadij tente de copier l’image de la Mère de Dieu d’Akhtyrsk7, avant de s’intéresser à l’iconographie grecque, avec « ses couleurs non naturelles, ses contours en relief » («с его неестественными цветами, его рельефным очерком») [Полевой, 1833 : 251]. Finalement, il devient apprenti dans un atelier de peintre d’icônes8. Son maître, vertueux et craignant Dieu, part du principe que :

...la première image a été créée par le Sauveur lui-même, qui s’est essuyé avec un linge blanc et a envoyé Sa Face Non faite de main d’homme au roi Abgar.

...что первый Образ создал сам Спаситель, утершись белым полотном, и послав свой Нерукотворенный лик Царю Авгарю. [Полевой, 1833 : 255]

La tâche de l’iconographe n’est donc pas de représenter l’inexprimable — c’est-à-dire Dieu — mais de reproduire son image selon un modèle préexistant. Cette reproduction se réfère soit à l’empreinte première de la face divine, soit aux images créées, selon la tradition, par le premier iconographe : l’évangéliste saint Luc, également mentionné dans le récit. Une référence à la vie de saint Alypius Cryptensis ou saint Olympe des Grottes (Алипий /Олимпий Печерский) est également lourde de sens. Celui-ci, avant sa mort, aurait reçu l’aide d’un ange pour achever une icône qu’il n’avait pas terminée9.

Cependant, les ambitions d’Arkadij ne lui permettent pas d’accepter une attitude aussi « humble » envers la représentation : sa tête « s’enflamme dans ses rêves » [Полевой, 1833: 247], et il aspire à représenter Dieu sous une forme humaine. Le tournant décisif se produit lorsqu’il parvient à pénétrer dans la maison du gouverneur, où il découvre des copies de tableaux d’artistes célèbres : « voici la Nuit du Corrège10, voici Saint Jean l’Évangéliste du Dominiquin11, voici Ossian de Girodet12, voici Bord de mer désert de Friedrich...13 » («...вот Корреджиева Ночь, вот Иоанн Богослов Доменикина, вот Оссиан Жироде, вот Фридрихов пустынный приморский берег...») [Полевой, 1833 : 269]. Aux yeux du jeune Arkadij, ces œuvres acquièrent également un statut divin (c’est le mot qu’il emploie). Toutefois, ce n’est pas parce qu’elles permettent de contempler ce qui est « inimaginable et inconcevable » («невообразимо и неизобразимо»)14 [Полевой, 1833: 259], mais parce qu’elles créent une illusion parfaite de la réalité :

Sont-ils vraiment peints, ces tableaux ? répondis-je. Non ! Je ne vous crois pas : on dirait que le vent remue les cheveux de ce vieillard, cette lune brille pour de vrai, et voici le saint apôtre que Jésus Christ aimait plus que tous ses disciples ; c’est évidemment le Seigneur nouveau-né — l’éclat qui émane de Lui est insoutenable ; cet homme-ci, regardez sa manière de fermer les yeux : il est comme vivant !

«Разве это картины?» отвечал я. Нет! Не обманывайте меня: ветер точно веет в волосах этого старика — этот месяц светит — а это тот самый святой Апостол, которого Иисус Христос любил больше всех своих учеников — а это видимо Господь новорожденный — от него сияние нестерпимо — посмотрите, как этот человек закрывает глаза: ведь он живой! [Полевой, 1833: 270].

Il n’est alors pas étonnant qu’Arkadij s’agenouille et prie, au grand embarras du bon gouverneur. Arkadij évoque de nouveau Caspar David Friedrich lorsqu’il explique à Mamaev, le narrateur, sa vision de ce qu’est un véritable artiste :

Friedrich peint des déserts solitaires, sauvages, inhabités. Il dépeint souvent une mer sans fin, mais regardez : il y a pourtant une bande de rivage, un bout de terre, il n’y a pas d’hommes ici, mais il y a leur terre, et sur cette terre, on voit les restes d’un bateau brisé, et une mouette vole au-dessus d’une croix à moitié détruite, et sous cette croix, il y a une tombe…

Фридрих пишет пустыни безлюдные, дикие, необитаемые — часто изображает он просто одно бесконечное море; но, посмотрите: тут есть<,> однако ж<,> клочок земного берега; тут нет людей, но есть земля их; и на ней видны остатки разбитой лодки; и чайка носится тут над каким-нибудь полуразрушенным крестом; а под этим крестом могила... [Полевой, 1833: 409]

Si, dans l’atelier de l’iconographe, Arkadij était insatisfait de l’impossibilité de représenter l’homme (et il voit cet homme « vivant » dans le tableau du Corrège), il apprécie désormais chez Friedrich un artiste capable de représenter l’homme, sans l’homme lui-même.

L’artiste allemand parvient à représenter l’idée de l’homme, mais ce rejet de la représentation mimétique est fondamentalement opposé à ce qu’accomplit l’iconographe lorsqu’il reproduit une matrice visuelle originale ou suit un canon approuvé. Certes, l’iconographe s’efforce aussi de représenter la « pensée de Dieu » (comme le fait remarquer le maître d’Arkadij en attirant son attention sur le « triangle rayonnant » de l’icône qu’il est en train de peindre), mais il est difficile d’imaginer une icône constituée d’un simple triangle, sans aucun saint visage15.

Or le tableau de Friedrich La Croix près de la Baltique (1815, Schloss Charlottenburg, Berlin), auquel Arkadij pense selon toute évidence, n’est en effet pas un simple paysage, mais une tentative de représentation de la vie humaine à travers des objets matériels : la croix, l’ancre du bateau, la mer, les voiles esquissées à l’arrière-plan. Le problème d’Arkadij réside dans son incapacité à choisir définitivement un mode de représentation. Lorsque Mamaev entre pour la première fois dans son atelier, il est frappé par le désordre visuel qui y règne. Tout d’abord, un tableau « vide » retient son attention :

C’était une immense toile dans un cadre doré, découpée au couteau et recouverte de peinture de telle manière qu’il était impossible de voir ce qui avait été peint dessus auparavant16.

Это была огромная холстина, в золотых рамах, изрезанная ножом и закрашенная красками так, что нельзя было рассмотреть, чтò было на ней прежде изображено. [Полевой, 1833: 101]

Mamaev mentionne ensuite une gravure sans personnages : « Une image colossale de la cathédrale de Cologne (une estampe bien connue) était accrochée au mur » («Колоссальное изображение Кельнского собора (известный его эстамп) висело на стене»)17, ainsi que des dessins au fusain et à la craie sur les murs. « Il s’agissait d’images de bâtiments gothiques, de monstres de Johannot, de caricatures de Hogarth » («Это были изображения Готических зданий, Жоаннотовских уродов, Гогартовских каррикатур») [Полевой, 1833: 102]. Là encore, est question soit de représentations de structures architecturales, soit de représentations de personnages déformés et grotesques, à l’image des tableaux de l’artiste anglais du XVIIIe siècle William Hogarth et du contemporain de Polevoj, le dessinateur français Tony (Antoine) Johannot. Notons que le portrait de la femme d’un général effectué par Arkadij est également le fruit d’une déformation consciente du visage humain :

Sur son pupitre reposait le portrait, presque achevé, d’une femme âgée, à l’allure ridicule ; au début, je ne me rendis pas bien compte de sa coiffe, et en la regardant de plus près, je fus surpris : c’étaient des oreilles d’âne !

На пюпитре его лежал портрет немолодой женщины, глупого вида, почти отделанный; сначала я не рассмотрел ее головного убора и удивился, вглядевшись: это были ослиные уши! [Полевой, 1833: 100]

Ce portrait fait probablement référence à la célèbre œuvre de Quentin Metsys, Vieille femme grotesque (vers 1513, National Gallery, Londres), ainsi qu’à son autre tableau Une allégorie de la folie (c. 1510, John Held Collection, New York). Dans l’atelier d’Arkadij, seules trois images représentent une figure humaine non pas déformée, mais idéalisée : il s’agit du « portrait de Dürer » (c’est-à-dire l’un des autoportraits de l’artiste), de « l’estampe de Müller représentant la Madone de Raphaël, barrée au crayon rouge », et enfin, d’un « joli visage féminin récemment commencé, en petit format »18. Voici l’inscription qu’Arkadij a notée sous l’estampe : « “Tu étais digne de ta folie, pauvre barbouilleur ! Une seule et même inspiration ne peut apparaître deux fois dans le monde” » (« “Ты был достоин сумасшествия, бедный пачкун! Одинакое вдохновение не является в мире дважды.”») [Полевой, 1833: 102]. Cette remarque fait référence à la légende bien connue (racontée par Žukovskij) selon laquelle Johann Friedrich Wilhelm Müller (1780-1816) serait tombé malade et serait mort en travaillant sur sa gravure inspirée de la toile de Raphaël. Elle explique aussi la nature étrange du « visage » observé par le narrateur :

Et voici une chose étrange : ce visage fut répété plusieurs fois, dans des tailles différentes, et partout ce n’était que des esquisses ! Il était dessiné au fusain sur le mur à plusieurs endroits, au crayon sur des cartes, et même gravé sur la table avec un couteau. Il était évident que ce visage apparaissait involontairement sous la main d’Arkadij, qu’il le hantait, et partout il était dessiné d’une façon si nette, si fidèle, si authentique, que j’aurais reconnu ce visage entre mille.

И вот что было странно: это личико повторялось несколько раз, в разных размерах и везде только что очеркнутое! Оно было начерчено углем на стене в нескольких местах; нарисовано карандашом на картонах; даже нацарапано ножом на столе. Видно было, что это личико невольно являлось под рукою Аркадия, что оно преследовало его — и везде было оно очеркнуто так отчетисто, верно, истинно, что я узнал бы это личико из тысячи. [Полевой, 1833: 102]

Le « visage » apparaît à Arkadij comme une vision à laquelle, contrairement à Raphaël, il ne peut donner une forme définitive. Tandis que la vision de la Madone, comme le précise Wackenroder, était « à jamais clairement imprimée » dans l’âme de Raphaël, de sorte qu’il « parvenait toujours à représenter la Mère de Dieu telle qu’Elle apparaissait à son regard intérieur » [Wackenroder, 2009 : 30], Arkadij est contraint de peindre sans cesse le « visage », sans jamais le terminer, comme si, une fois achevé, il perdait son statut de vision, de « révélation », et se fixait dans la sphère du visible, laquelle a tué le pauvre Müller, comme l’affirme Žukovskij.

Arkadij échoue à inscrire le « visage » dans le cadre de l’épiphanie de Raphaël : dans son cas, il ne s’agit plus d’une « empreinte » du « visage » divin sur la toile (comme le suggère l’interprétation donnée par Žukovskij à l’œuvre de Raphaël). Au contraire, Arkadij passe complètement dans la sphère liée à l’âme (il se rapproche alors de l’interprétation de Wackenroder), mais ici, l’image d’une femme lui apparaît comme une obsession qui le hante littéralement. Lorsqu’il parvient enfin à « capturer » cette image, le résultat est déroutant. Le mystérieux « grand tableau soigneusement recouvert d’une toile blanche »19 que le narrateur découvre dans l’atelier d’Arkadij s’avère être une imitation de Jean-Baptiste Greuze, « barbouilleur des scènes banales, de désespoir à bon marché, de bonheur d’un sou » («Это Грёз, пачкун семейственных сцен, копеечного отчаяния, грошевого счастья») [Полевой, 1833: 127]. D’une qualité impressionnante (le narrateur la compare à des œuvres de Rembrandt, Holbein et Dürer), elle semble pourtant « stupide » à l’artiste, puisqu’elle ne représente pas la foi chrétienne (qui s’est matérialisée sous la forme d’une vision divine), mais une fille terrestre, Vera (ce qui veut dire foi en russe), ou plutôt « Verin’ka » (petite foi), comme l’appelle affectueusement Arkadij20.

Il est remarquable que l’exclamation elle est là, qu’Arkadij emprunte à Žukovskij, se trouve reprise dans la scène de la première rencontre du peintre avec Verin’ka, qui se déroule dans un cimetière. Le peintre voit une femme inconnue, mais la perçoit comme une « idée » :

Mais maintenant, à cet instant — le lieu, la solitude, le silence, la robe noire, le visage recouvert — ce n’était pas une femme : c’était une idée qui vint à moi pour répondre à l’appel de mon âme.

Но, теперь, в это мгновение — место, уединение, тишина, черное платье, закрытое лицо — это не была женщина: это была какая-то идея, прилетевшая ко мне, на призыв души моей. [Полевой, 1833: 413]

Même lorsqu’il entend une voix masculine l’appeler (celle du père de Verin’ka), il préfère se représenter en Raphaël contemplant une vision surnaturelle :

      « Verin’ka ! Où es-tu ? », dit une voix masculine.
      — Ici !, répondit doucement l’inconnue.

      Combien d’idées, de pensées, d’expressions étaient réunies pour moi dans ce seul mot ? Elle est là, devant le cercueil de sa mère ! Où devrait-elle être ? Elle n’est pas de ce monde, le monde, en ce moment, rit, s’amuse, regarde les paillasses. Il y a des femmes là aussi. Mais qu’est-ce qu’elle en a à faire ? Cherchez-la ici, ici, là où gît tout ce qui la lie au monde — attention, ne l’effrayez pas : elle a des ailes... Et elle est la Foi, elle est venue ici une fois que j’y étais moi-même.

      «Веринька! Где ты?» произнес мужской голос.
      — Здесь! — отвечала тихо незнакомка.
      Сколько идей, мыслей, выражений соединилось для меня в одном этом слове? Здесь она — при гробе матери! Где же ей быть? Она неземная — мир в это время смеется, веселится, глядя на паяцев. Там собрались и женщины. Но чтò ей до них? Ее ищите здесь, здесь, где лежит все, что привязывало ее к миру — берегитесь, не испугайте ее: у нее есть крылья... И она Вера, она пришла сюда, когда и я пришел сюда! [Полевой, 1833: 414]

Cependant, lorsque Verin’ka se rend dans l’atelier d’Arkadij, elle qualifie ses tableaux d’« incomparables » et d’« adorables », épithètes qui sont, pour Arkadij, « féminines ». La déception de l’artiste est grande, car parmi ces tableaux21 se trouve celui par lequel il cherchait justement à échapper au modèle de représentation qu’il avait auparavant lui-même glorifié, répétant les idées de Wackenroder et de Žukovskij. Le tableau en question représente Prométhée :

Un immense aigle assoiffé de sang s’élève vers les cieux ; l’Océan gris s’enfonce maussadement dans les abîmes de la mer ; Héphaïstos aux yeux sauvages, tenant dans ses mains l’instrument d’exécution, son terrible marteau, et regardant sans émotion l’animateur des hommes ; la nature frémissant sous les calamités de Prométhée et le tonnerre grondant du ciel !

Огромный, кровожадный орел, подъемлющийся к небесам; седой Океан, угрюмо погружающийся в бездны моря; дикообразный Эфест, держащий в руках орудие казни, страшный молот свой, и бесчувственно смотрящий на оживотворителя людей; природа, содрогающаяся от бедствий Прометея и гремящей грозы небесной! [Полевой, 1833: 557-558].

Dans son expression, dans le corps étrangement positionné de Prométhée (« maladroitement disposé », «неловко положен» [Полевой, 1833: 562]), ce tableau rappelle le célèbre Prométhée enchaîné de Peter Paul Rubens (vers 1611-1612, Philadelphia Museum of Art). On ne s’étonnera pas que Prométhée représente ici Arkadij, mais uniquement de manière allégorique, sans la ressemblance propre aux portraits. Cette peinture n’est pas le fruit d’une contemplation visionnaire, elle possède l’« âme de l’artiste », mais aucune image divine n’y descend. La deixis énergique d’elle est là est remplacée par la petite phrase suggestive « toute l’âme de l’artiste est ici ! » («Здесь вся душа художника!») ; ces mots sont prononcés à voix basse («Тихо товарищу») par l’un des spectateurs, et ils sont immédiatement étouffés par des « jugements bruyants » («слова их заглушаются громкими суждениями») [Полевой, 1833: 568-569].

Cependant, Prométhée n’est pas le dernier tableau d’Arkadij. L’histoire de l’artiste se termine par une description de sa dernière toile, laquelle, après sa mort, sera transférée de Rome en Russie. Ce tableau représente en fait l’adieu de l’artiste mourant à son père.

Le tableau y représentait le Sauveur bénissant les enfants. Son visage était divin, plein d’amour et de bonté. Il était représenté assis ; plusieurs enfants l’entouraient avec insouciance, confiance et audace, ils le regardaient ; seul l’un d’eux, fixant les yeux sur le Sauveur, réfléchissait, appuyant son coude sur son genou. Levant sa main qui bénissait au-dessus de la tête de cet enfant, le Sauveur tournait son autre main vers ses deux disciples et semblait leur dire : « N’empêchez pas les enfants de venir à moi ; c’est à eux que j’ai réservé le royaume des cieux ; ce n’est que lorsque vous aurez l’âme innocente, comme un enfant, que vous serez avec moi dans la gloire de mon Père qui est dans les cieux ! » À l’écart, se détournant des enfants, se tenait un homme. Son visage pâle, ses cheveux épars, et les rides creusées par la passion, montraient qu’il ne s’agissait pas d’un simple berger de Galilée, mais d’un homme souffrant qui avait beaucoup vécu, qui avait traversé une vie orageuse. Il semblait que cet homme entendait dans les paroles du Sauveur la solution à l’énigme qui l’avait tourmenté toute sa vie ; il semblait qu’il souhaitait retomber dans son enfance innocente... Il levait vers le ciel des yeux pleins d’espoir et de crainte.

Тут, на картине, изображен был Спаситель, благословляющий детей. Лицо его было божественно, исполнено любви и благости. Он изображен был сидящим; несколько детей беспечно, смело, безбоязненно окружали его, смотрели на него; только один из них, устремив глаза свои на Спасителя, задумался, и облокотился локтем на его колено. Вознося благословляющую руку над головою сего дитяти, другую обращал Спаситель к двум ученикам своим, и, казалось, говорил им: «Не возбраняйте детям приходить ко мне; для таких предназначил я царство небесное; только будучи невинен душею, как младенец, будешь со мною во славе Отца моего на небесах!» В стороне, отворотясь от детей, стоял какой-то человек. Его бледное лицо, его всклоченные волосы, морщины, прорезанные пылкими страстями на лице его, показывали, что это был не простой пастырь Галилейский, но страдалец, много испытавший, проведший бурную жизнь. Казалось, этот человек слышал в словах Спасителя решение загадки, мучившей его всю жизнь; казалось, он хотел бы погрузиться в прежнее невинное младенчество... Он возводил к небесам взор надежды и страха. [Полевой, 1833: 588-589]

Des sujets évangéliques attirèrent l’attention d’Arkadij tout au long de son parcours artistique. Dans son atelier, Mamaev aperçoit notamment le tableau intitulé Jésus dans le désert (Иисус в пустыне), un travail auquel l’artiste semble attaché sans en être pleinement satisfait. Le narrateur explique que ce tableau représente une tentative d’Arkadij d’ancrer sa vision artistique dans l’idéal difficilement explicable de ses années d’enfance, un idéal qui a été façonné par l’iconographie religieuse et qu’il ne parvient plus à intégrer dans ses nouvelles aspirations artistiques. « Il n’est pas étonnant », explique le narrateur, « qu’il ait mesuré la dignité de cette œuvre selon l’idéal inconscient de ses années d’enfance » («И не диво: он измерял ее достоинство по безотчетному идеалу своих младенческих лет») [Полевой, 1833: 556]. Cette œuvre se situe donc dans une tension entre l’héritage iconographique et l’impossibilité de satisfaire ses propres attentes créatives. Le Christ aux enfants illustre comment Arkadij parvient à surmonter cette tension. Ici, l’artiste fusionne le stéréotype d’une image religieuse traditionnelle avec le mouvement intime de son âme, réussissant à dépasser à la fois l’approche désindividualisée de l’iconographe et la nature pathétique et allégorique de son précédent tableau, Prométhée22. Dans cette œuvre, la petite fille bénie par le Sauveur représente bien Verin’ka, et le « berger tourmenté par les passions » est une représentation allégorique d’Arkadij lui-même. Cette figure d’enfant incarne la foi pure et innocente, ce qui permet à Arkadij de concilier l’aspect spirituel du Christ et la réalité terrestre de Verin’ka. En inscrivant son propre portrait dans un contexte religieux, l’artiste parvient à exprimer une forme d’« illumination » personnelle et créative. Ce processus semble être le fruit d’un cheminement complexe et douloureux, celui qui le mène de l’iconographie à la peinture, en passant par une profonde transformation de sa vision de l’art23.

Il n’est pas étonnant que le père d’Arkadij se mette en genoux devant ce chef-d’œuvre, comme si cette toile n’était pas une peinture représentative mais plutôt une icône. Il y reconnaît bien sûr son fils, mais un fils transfiguré, un fils aspirant à redevenir enfant (quand il peignait des icônes) et par cela même appartenant aux disciples de Jésus. Il n’est pas surprenant non plus que la dernière toile d’Arkadij renvoie à celle de Raphaël, la fameuse Transfiguration inachevée de la vie de l’artiste (1518-1520, Vatican, Pinacothèque).

La Transfiguration est explicitement évoquée par Arkadij juste après l’histoire de la création de La Madone Sixtine, inspirée de Wackenroder et Žukovskij. Selon le jeune artiste, cette toile aurait été exposée à côté du cercueil du peintre italien, évoquant ainsi la grandeur de son projet artistique et l’impossibilité de l’accomplir. Dans sa dernière œuvre, Arkadij reproduit non pas seulement les circonstances de la création de La Transfiguration (une œuvre qui aurait causé la mort de l’artiste) mais aussi sa structure complexe, composée de deux parties distinctes. Ainsi, la partie supérieure, qui montre le Christ sur le mont Thabor, entre les prophètes Moïse et Élie et, en dessous, les apôtres Saint Pierre, Saint Jacques le Majeur et Saint Jean l’Évangéliste, trouve son équivalent symbolique dans la scène qui représente, dans la toile d’Arkadij, le Christ entouré de deux disciples et d’enfants. La partie inférieure, qui met en scène chez Raphaël un jeune garçon possédé que les autres apôtres ne parviennent pas à guérir, fait écho à cette partie du tableau d’Arkadij où il s’est représenté lui-même en homme solitaire et souffrant.

Dans le texte de Polevoj, on trouve une autre allusion à La Transfiguration, cette fois-ci implicite. C’est le maître d’Arkadij, pieux peintre d’icônes, qui met en doute la possibilité de représenter la Nativité et la Transfiguration. Il affirme :

On dit qu’il y a eu quelque part, apparemment, des peintres qui ont représenté la Transfiguration et la Nativité d’une manière si merveilleuse que l’on pourrait croire, pour peu qu’on soit complétement absorbé, qu’elles n’ont pas été peintes par le pinceau ou les couleurs d’un homme ! Mais je ne crois pas à ces histoires. J’ai vu des tableaux allemands et italiens que les catholiques appellent saintes images, alors qu’ils sont en réalité des portraits grossiers de beaux hommes et de belles femmes — des images humaines et non divines.

Говорят, что были будто бы, где-то, живописцы, до того чудно изобразившие Преображение и Рождество, что человек в забвении может подумать, будто их не кисть писала человеческая, не краски изображали! Но я не верю этим рассказам. Видал я Немецкие и Итальянские картинки, которые Католики называют образами, но это грубые портреты мужей и жен красивых, человеческие, а не божественные изображения. [Полевой, 1833: 260]

Le problème de l’iconographe, c’est qu’il n’a pas vu, à la différence d’Arkadij, les toiles de Raphaël, lequel réussit à réconcilier la réalité terrestre et l’idéal spirituel24. Pourtant, et c’est la leçon à tirer de l’histoire d’Arkadij et ce que Polevoj apporte de nouveau dans le paradigme romantique, il n’aurait pas su passer par le chemin de Raphaël sans s’être au préalable formé dans la peinture d’icônes. Ce qui devient très vite à ses yeux une forme arriérée d’art constitue paradoxalement le fondement spirituel de son évolution créatrice de peintre russe moderne.

À une époque où le débat sur le romantisme divise profondément les critiques russes, Polevoj parvient, dans son récit d’artiste, à enrichir le topos romantique de l’artiste confronté à l’inexprimable en y ajoutant un motif d’inspiration patriotique et nationale : celui d’un peintre initialement formé dans une tradition populaire et à l’abri des influences occidentales. Si ce peintre finit par s’approprier des modèles artistiques d’envergure universelle (Raphaël, mais aussi le Corrège, Rubens, Friedrich), il s’efforce — et avec succès — de les réconcilier avec son expérience d’iconographe. On comprend alors pourquoi Polevoj présente Arkadij comme un artiste exemplaire, dont l’art contribue à l’émergence d’un romantisme à la fois russe et européen25.

Bibliographie

Corpus

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Полевой Николай, 1833, Живописец. Повесть, Московский телеграф, часть 51-ая, май, № IX, с. 74-131; май, № X, с. 239-294 ; июнь, № XI, c. 396-448; июнь, № XII, c. 534-593.

Wackenroder Wilhelm Heinrich, Tieck Ludwig, 2009, Épanchements d’un moine ami des arts suivi de Fantaisies sur l’art. Traduit de l’allemand, introduction et notes par Charles Leblanc et Olivier Schefer, Paris, José Corti.

Références en français

Tokarev Dimitri, 2013, Les éléments descriptifs et narratifs dans deux ekphrasis russes (Le Christ au tombeau de Holbein — Dostoïevski et La Madone de saint Sixte de Raphaël — Joukovski), Textimage. Revue d’étude du dialogue texte-image, varia 3, hiver, consulté le 8 décembre 2024.

Références en russe

Вайскопф Михаил, 2012, Влюбленный демиург. Метафизика и эротика русского романтизма, Москва, Новое литературное обозрение.

Виролайнен Мария, 2024, Русский романтизм как проблема, Русская литература, № 1, с. 5-24.

Карпов Александр, 1989, Примечания, Искусство и художник в русской прозе первой половины XIX века. Ред. А. А. Карпов, Ленинград, изд. Ленинградского университета, с. 504-553.

Козмин Николай, 1903, Очерки из истории русского романтизма: Н. А. Полевой, как выразитель литературных направлений современной ему эпохи, Санкт-Петербург, тип. И. Н. Скороходова.

Круглова Валерия, 1982, Василий Кузьмич Шебуев (1777-1855), Ленинград, Искусство.

Родзевич Сергей, 1917, К истории русского романтизма (Э. Т. Гофман и 30-40 гг. в нашей литературе), Русский филологический вестник, Петроград, № 1-2, с. 194-237.

Шевеленко Ирина, 2017, Модернизм как архаизм: национализм и поиски модернистской эстетика в России, Москва, Новое литературное обозрение.

Ямпольский Михаил, 2007, Ткач и визионер: Очерки истории репрезентации, или О материальном и идеальном в культуре, Москва, Новое литературное обозрение.

Notes

1 En 1917, Sergej Rodzevič a mis en exergue la dette de Polevoj envers E. T. A. Hoffmann, plus précisément son récit L’Église des Jésuites (1816) qui décrit le destin malheureux d’un peintre nommé Berthold, et doté, tout comme Arkadij, d’une sensibilité artistique exacerbée [Родзевич, 1917 : 205-209]. Sur Polevoj voir également : Козмин, 1903. Retour au texte

2 En 1826, apparaît à Moscou la première traduction russe de l’œuvre de Wackenroder préparée par Vladimir Titov, Stepan Ševyrëv et Nikolaj Mel’gunov, membres de la Société des amateurs de la sagesse. Retour au texte

3 Sur le rôle des icônes dans la construction de nouveaux modèles esthétiques, voir le cinquième chapitre de la monographie d’Irina Ševelenko Le modernisme comme archaïsme : le nationalisme et la quête d’une esthétique moderniste en Russie [Шевеленко, 2017]. Retour au texte

4 En 1824, la lettre fut transformée en article et publiée dans la revue l’Étoile polaire (Полярная звезда) sous le titre La Madone de Raphaël (d’après une lettre sur la galerie de Dresde). Retour au texte

5 Sur l’ekphrasis de l’image de Raphaël, voir : Tokarev, 2013. Retour au texte

6 Voir dans Le tisserand et le visionnaire de Jampol’skij, le chapitre « Véronique et le portrait » : Ямпольский, 2007 : 452-470. Retour au texte

7 L’icône miraculeuse de la Mère de Dieu d’Akhtyrsk aurait été trouvée dans un potager près de l’église de l’Intercession de la Vierge en 1739, un fait qui souligne son caractère non artificiel. L’icône est peinte selon une perspective linéaire et non pas inversée, ce qui n’est pas typique des icônes de tradition byzantine. Retour au texte

8 Cette occupation est en contradiction avec son statut social de fils d’un conseiller titulaire. Retour au texte

9 En 1848, Vasilij Raev a peint sur ce sujet le tableau Saint Alypius, peintre d’icônes du monastère des Grottes (Блаженный Алипий, иконописец Печерский) (1852, Galerie Tretiakov, Moscou). Retour au texte

10 Ce tableau du Corrège est également connu sous le titre de L’Adoration des bergers (vers 1530, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde). Retour au texte

11 Le tableau du Domeniquin (Domenico Zampieri) Saint Jean l’Évangéliste (années 1630) se trouve au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Au XIXe siècle, le Domeniquin était considéré comme un héritier de Raphaël. Nestor Kukol’nik a écrit à son sujet une fantaisie dramatique en vers, Domenichino (Доменикино), en 1837. Retour au texte

12 Il s’agit du tableau préromantique d’Anne-Louis Girodet L’Apothéose des héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté (1801, musée-château de Malmaison). Retour au texte

13 Il s’agirait du tableau de Caspar David Friedrich Le moine au bord de la mer (1808-1810, Alte Nationalgalerie, Berlin). Retour au texte

14 Сf. le poème de Žukovskij L’Inexprimable (Невыразимое, 1819). Retour au texte

15 Même si des éléments géométriques peuvent être présents sur les icônes (voir, par exemple, l’icône de L’Œil de Dieu omniscient (Всевидящее Око Божие), qui est principalement exposé dans des églises du rite russe ancien), ils sont complétés par les figures du Christ, de la Mère de Dieu ou des évangélistes. Retour au texte

16 Cette toile fait penser à la peinture de Frenhofer, héros énigmatique de la célèbre nouvelle de Balzac Le Chef-d’œuvre inconnu (1831-1845). Les deux toiles se présentent de fait comme « une muraille de peinture ». Un autre tableau exécuté dans cette même manière est décrit dans la nouvelle de Vladimir Odoevskij Le peintre (Живописец, 1839). Retour au texte

17 Il pourrait s’agir d’une gravure de Karl Friedrich Schinkel, qui a participé aux préparatifs de l’achèvement de la cathédrale de Cologne, commencée en 1842. Schinkel était également un architecte prisé en Russie. Retour au texte

18 « Подлe него быль портрет Дюрера; потом Мюллеров эстамп Рафаэлевой Мадоны, перечеркнутый красным карандашом» [Полевой, 1833: 102]. Retour au texte

19 « ...обратил внимание на большую картину, тщательно закрытую белым полотном» [Полевой, 1833: 101]. Retour au texte

20 Mihail Wajskopf estime que Verin’ka « semble avoir été tissée à partir de ses deux prédécesseurs — la “Notre-Dame d’Akhtyrsk” et la Madone raphaëlienne » [Вайскопф, 2012: 634]. Il est toutefois difficile d’être d’accord avec la première affirmation. Alors que la rencontre avec l’image de la Madone connote effectivement des expériences érotiques (chez l’artiste lui-même, et plus encore chez l’observateur, c’est-à-dire chez Žukovskij regardant le tableau), ce n’est pas le cas du contact avec l’icône de la Mère de Dieu : oui, Arkadij est « transfiguré », mais spirituellement. Lorsque Wajskopf cite Polevoj (« Il me semblait que la Mère de Dieu me souriait »), il omet la suite de la phrase : « en larmes, je me jetai au cou de ma mère, puis je m’enfuis au jardin » [Полевой, 1833: 248]. Or l’image de l’icône d’Akhtyrsk diffère de la vision (et de la peinture) de Raphaël en ce qu’elle capture le couple symbolique archétypal Mère / Enfant, bloquant sa transformation en couple « artiste / sa bien-aimée ». Retour au texte

21 Notons ici le tableau L’adieu du chevalier (Прощанье рыцаря) probablement inspiré des tableaux de peintres nazaréens allemands : « Enfermé dans une armure de fer, le paladin regarde tendrement, douloureusement, la belle jeune fille ; sa tête repose tristement sur la poitrine du chevalier ; son bras a entouré sa taille » («Закованный в железную броню, нежно, с горестью смотрит паладин на милую девушку; печально лежит голова ее на груди рыцаря; рука его обхватила стан ее.») [Полевой, 1833: 556]. Retour au texte

22 Il est caractéristique que le Christ aux enfants soit placé dans un cadre emprunté à Prométhée. Retour au texte

23 Le peintre académique Vasilij Šebuev, qui a réalisé en 1851 une fresque intitulée La bénédiction des enfants (Благословение детей) dans la cathédrale Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg, semble s’être directement inspiré de l’ekphrasis de la dernière œuvre d’Arkadij. En 1839, Šebuev avait déjà signé le tableau Le combat du marchand Igolkine (Подвиг новгородского купца Иголкина в Северной войне со шведами, Musée russe, Saint-Pétersbourg), s’inspirant de la pièce patriotique de Polvoj Igolkine, marchand de Novgorod (Иголкин, купец новгородский, 1838). Šebuev avait réalisé un dessin sur ce sujet dès 1811 [Круглова, 1982: 67]. Retour au texte

24 Selon Mihail Jampol’skij, « ...La Transfiguration de Raphaël fait culminer la représentativité et, en même temps, va radicalement au-delà d’elle. Le corps du Christ y représente le Christ absent que les personnages de la partie inférieure du tableau ne voient pas. Mais le corps du Christ de la Transfiguration en tant que tel va résolument au-delà de la représentativité car il se révèle comme une apparition (une vision) de la lumière, et non comme une présence qui dénote l’absence. En tant que pure “révélation de la lumière”, ce corps est une vision et une apparence qui se confondent avec la réalité » («...Рафаэлево “Преображение” одновременно оказывается и кульминацией репрезентативности, и радикальным выходом за ее рамки. Тело Христа в “Преображении” Рафаэля — это изображение отсутствующего Христа, которого никто не видит в нижней части картины. Но само Христово тело Преображения решительно выходит за рамки репрезентации, являя себя как некое явление (видение) света, а не как присутствие, указывающее на отсутствие. Как чистая “светофания”, оно является видением, кажимостью, неотличимыми от реальности. ») [Ямпольский, 2017 : 164]. Il est caractéristique que le vieux iconographe renonce à peindre ce corps lumineux, en considérant la mission comme impossible. Retour au texte

25 Voir à ce sujet un article polémique de Marija Virolajnen où l’autrice insiste sur le fait que la littérature russe n’ait pas connu de période romantique « résolument prononcée » [Виролайнен, 2024 : 22]. Retour au texte

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Référence électronique

Dimitri Tokarev, « « Que doit faire un artiste maintenant, à notre époque ? » : l’ancien et le moderne dans la conception artistique de Nikolaj Polevoj (récit Le peintre) », Modernités russes [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 30 décembre 2024, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/modernites-russes/index.php?id=880

Auteur

Dimitri Tokarev

Professeur de littérature russe à l’université d’Aix-Marseille, membre de l’Équipe sur les humanités anciennes et nouvelles germaniques et slaves ; ses recherches portent spécialement sur la théorie littéraire, les arts visuels, les relations culturelles et littéraires entre la France et la Russie au XIXe et au XXe siècle, ainsi que sur les thématiques pluridisciplinaires, à la frontière entre la littérature et l’histoire, la littérature et la philosophie, la littérature et les arts visuels.

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