Farces et mazarinades. Actualité d’une forme théâtrale comique pendant la Fronde

DOI : 10.35562/pfl.697

Résumés

Cet article examine les manifestations et usages du modèle farcesque en France dans la première moitié du xviiᵉ siècle en proposant de décloisonner des corpus parfois isolés selon des critères génériques avec, d’une part, le théâtre et, d’autre part, les écrits polémiques. Cette méthode permet la mise au jour de la valeur esthétique et politique de la farce au cours de cette période. Après avoir considéré plusieurs pièces publiées au début du siècle, l’analyse se concentre sur la crise politique de la Fronde et s’attarde sur une étude de cas : La Farce des courtisans de Pluton (1649). Loin d’être en désuétude comme l’a parfois estimé l’histoire du théâtre, la farce apparaît comme une forme d’actualité dont le nom, les figures vedettes, les codes et les ressorts comiques sont exploités par ceux qui traitent des affaires du temps.

This article examines the manifestations and uses of the farcical model in France at the beginning of the 17th century. Its proposes to decompartmentalize sets of texts sometimes isolated according to generic criteria : theater and polemical writings. This method reveals the aesthetic and political value of farce during this period. After considering several plays published in the first half of the century, the analysis focuses on the Fronde, with a case study : La Farce des courtisans de Pluton (1649). Far from being obsolete, as theater history has sometimes suggested, farce appears to be a topical form whose name, star figures, codes and comic devices are exploited by those dealing with the affairs of the time.

Plan

Texte

La métaphore du théâtre pour décrire les désordres politiques qui secouèrent la France sous la Fronde est récurrente dans les écrits publiés à cette période, notamment dans ceux que l’historiographie a regroupés a posteriori sous le nom de mazarinades. Ce n’est pas seulement une image topique qui y est reprise et déployée, mais tout un jeu de références à un univers théâtral alors en pleine évolution sur le plan social (spécialisation et mise en vedette de certains comédiens, accroissement et diversification du public) et en pleine expansion économique (développement de lieux spécialement dédiés à la pratique théâtrale, essor d’un marché spécifique dans le domaine de la librairie). La récurrence de la forme dialoguée dans les pamphlets et le vocabulaire de la scène qui innerve les mazarinades participent à une écriture qui fait des événements en cours un spectacle susceptible de capter l’intérêt d’un public et de le pousser à agir. Selon Christian Jouhaud, « le vocabulaire du théâtre est également celui de la politique frondeuse. Le texte est représentation et mise en scène de la politique, mais l’action politique elle-même, dans ses manifestations, se veut spectacle1 ». Dans ce contexte, le terme et le modèle des farces sont récurrents et se trouvent tout particulièrement appliqués à Mazarin, tantôt qualifié de « farceur d’Italie2 », tantôt de « grand favory de la farce & du jeu3 », parce que cette forme scénique est porteuse d’une axiologie dépréciative forte et qu’elle nourrit historiquement des écrits polémiques divers4.

Plutôt que de chercher à repérer les occurrences de ce parallèle et de mener une analyse thématique sérielle sur le « farceur Mazarin », ce fait constituera un point d’entrée et une opportunité pour réfléchir aux rapports qui se tissent entre des événements de nature politique et une forme d’expression comique dont l’écriture est liée à la performance, c’est-à-dire dont l’écriture induit ou programme un jeu sur scène et devant un public. Il s’agit d’analyser l’actualité ainsi que les usages du terme « farce » et de cette forme théâtrale plaisante en contexte polémique durant la première moitié du xviiᵉ siècle en France. Dans cette perspective, la récurrence de l’image farcesque dans les mazarinades sera interrogée sur le plan d’une poétique historique plutôt que sur celui d’une histoire des idées ou des représentations, difficile à cerner à partir d’un corpus immense, hétéroclite et soumis à la contingence des événements et des individus5. Il s’agit selon cette approche de s’intéresser à l’évolution et aux usages d’une forme d’écriture en tenant compte de la diversité des réalités historiques, matérielles et sociales qui déterminent le fait littéraire. Mon hypothèse est que le rapprochement fréquent entre Mazarin et la farce met en lumière un double phénomène corrélé : une actualité de cette forme dramatique dans la première moitié du xviiᵉ siècle, alors qu’elle est souvent présentée comme en déclin (ou en mutation) après 16356 ; et son usage politique toujours actif à cette période, alors que l’idée persiste, dans l’histoire littéraire, que la farce a perdu la charge satirique et circonstancielle qui pouvait être la sienne à la fin de l’époque médiévale et au xviᵉ siècle7. La démonstration se fera en deux temps : il s’agira d’abord de sérier les diverses modalités de présence des farces dans la société française du début du xviiᵉ siècle, puis de réduire la focale afin de se concentrer sur la période de la Fronde et sur un cas permettant d’illustrer le potentiel politique de la farce et son actualité en analysant La Farce des courtisans de Pluton (1649).

Pratiques et usages farcesques durant la première moitié du xviiᵉ siècle en France

Farces imprimées

De quoi parle-t-on quand il est question de « farces » ? Ce que l’on classe sous le nom de « farce » est difficile à appréhender à la fois en raison de l’étymologie flottante de ce terme et de son caractère polysémique. Le mot peut désigner, dès l’époque moderne, à la fois un mélange haché de nourriture destiné à assaisonner un plat, un bon tour que l’on joue à quelqu’un et une pratique spectaculaire, généralement brève et tournée vers le ridicule8. Les manifestations de cette pratique spectaculaire évoluent au fil du temps et sont diverses, tant sur le plan de la forme (vers, prose, longueur variable), des publics visés ou des circonstances de représentation, à propos desquelles on dispose souvent de peu d’informations. Par ailleurs, les farces, hormis quelques exceptions comme La Farce de Maître Pathelin9, sont peu imprimées, en particulier au début du xviiᵉ siècle, en raison de leur illégitimité liée au peu de sérieux ou de crédit accordé à cette forme brève et comique. Il nous reste du début du xviiᵉ siècle certains recueils, génériques ou non, comme le Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes, publié par Nicolas Rousset en 1612, ou deux « farces tabariniques » insérées à la fin de l’Inventaire universel des œuvres de Tabarin publié en 162210. Il demeure également quelques farces parues de manière indépendante telle que la Farce plaisante et recreative sur un trait qu’a joué un Porteur d’eau le jour de ses nopces dans Paris (1632), ou la Farce nouvelle du musnier et du gentilhomme, à quatre personnages (1628)11. Il peut arriver qu’une farce soit publiée en complément d’une pièce de plus grande ampleur, comme c’est le cas d’une Farce plaisante et recreatifve parue à la suite de la Tragedie nouvelle de la perfidie d’Aman, mignon et favoris du Roy Assuerus (1622)12. Anonymat, brièveté, affichage d’un potentiel comique et spectaculaire caractérisent ces œuvres qui mettent en scène des affaires domestiques et s’inspirent souvent, de manière plus ou moins directe, de farces plus anciennes datant de la fin du Moyen Âge ou du xviᵉ siècle. Ces pièces se voient donc soumises à une fenêtre éditoriale relativement restreinte et non standardisée.

S’il y a une actualité de la farce comme forme littéraire plaisante au début du xviiᵉ siècle, elle ne se trouve donc pas dans la présence éditoriale, relativement faible sur le marché de la librairie, de pièces imprimées en tant que farces et identifiées comme telles par l’historiographie13. Elle se manifeste de manière plus certaine, semble-t-il, dans les usages contemporains nombreux qui sont faits du mot et des codes liés à cette forme scénique dans des écrits circonstanciels et en contexte polémique.

Farces et écrits polémiques

Dans le paysage des pièces dont l’écriture est attachée aux farces, il ne faut pas négliger des textes polémiques dont l’énonciation, les personnages et certains codes font signe vers cette forme, sous prétexte qu’ils ne correspondent pas à sa définition essentialisante, centrée sur ses vertus divertissantes, ou à un prétendu modèle médiéval14. Deux éléments principaux permettent d’illustrer ce point : d’une part, l’usage récurrent de voix farcesques pour publier des discours polémiques et, d’autre part, l’existence de textes qui décrivent le potentiel satirique des farces au début du xviiᵉ siècle.

Tout d’abord, de nombreux libelles usaient d’une énonciation farcesque, c’est-à-dire que le discours imprimé était attribué à un comédien réputé pour son rôle de farceur. Si on suspend la question de la paternité des textes, on s’aperçoit que des noms propres comme Gaultier Garguille, Turlupin ou Guillot-Gorju, fonctionnent comme des labels propres à faire vendre en profitant du succès d’acteurs réels contemporains, mais également comme des opérateurs qui prescrivent des manières d’écrire et des modes de réception. Ces noms sont orientés vers le rire ainsi que vers une parole libre et franche susceptible de pouvoir intéresser un public socialement diversifié et de favoriser une circulation orale du discours proposé. Le succès de Bruscambille, d’abord connu en tant que farceur spécialisé dans la confection de prologues comiques mais dont le nom devient une marque et un outil opportun pour véhiculer de l’information et des discours polémiques, constitue un cas remarquable de cet usage énonciatif et de ce fait littéraire15.

Dans le cadre de cet article, c’est le cas de Gros Guillaume, de son vrai nom Robert Guérin, célèbre comédien qui fut aussi chef de troupe dans les années 1620-1630 à l’Hôtel de Bourgogne à Paris, qui peut servir d’exemple16. On retient souvent de lui son rôle comique auprès de ses deux acolytes, Gaultier Garguille et Turlupin, mais son nom est aussi associé à des publications polémiques à l’image de la Raillerie de Gros Guillaume sur les affaires de ce temps17. Ce livret de 16 pages, paru en 1623, est une republication qui modifie et actualise un Advis du Gros Guillaume sur les affaires de ce temps daté de 161918. Il pourrait être décrit comme un libelle hostile à la guerre et aux désordres qui ruinent les finances du royaume et affaiblissent le roi, porté par la voix rieuse, ou plutôt railleuse d’un farceur, si l’on accorde foi à son intitulé :

Premierement vous parlez de la guerre, & d’aller à la Valtonine ou à la Rochelle. Distingo, il y a plusieurs sortes de guerres […].
On me pourra dire, vous n’avez non plus de courage que les autres, vous ne recevez point de coups ? […] il est vray, que tant plus un mur est espais plus il est à l’espreuve du pistollet : pour ma teste, c’est à faire à des cerveaux légers de se laisser emporter aux boulles de canon, pour moy ma cervelle est trop lourde, & mon imagination trop solide pour s’esbranler à si petit vent […]19.

La figure plaisante de Gros Guillaume permet le développement d’un discours favorable à la paix ancré dans l’actualité troublée du temps : allusions sont faites aux tensions internes avec les huguenots à La Rochelle et à celles, externes, qui opposent alors les Espagnols aux Habsbourg dans la vallée de Valteline20. Ce n’est pas la forme, monologuée, de ce texte qui l’assimile au domaine farcesque mais le nom de Gros Guillaume et le style, oral et volontiers leste, qui lui est associé. Le discours politique tenu est d’autant plus efficace qu’il est porté avec dérision, par une figure illégitime mais publique et connue21.

L’activité sur les planches de ce farceur dans les mêmes années invite à considérer un second élément permettant d’appuyer l’usage à la fois comique, politique et informationnel de la farce. Plusieurs imprimés de la première moitié du xviiᵉ siècle laissent entendre que les farceurs pouvaient s’emparer de l’actualité politique pour agrémenter leurs interventions. Un passage de l’Advis du Gros Guillaume sur les affaires de ce temps, paru en 1619 et repris en 1623 dans la Raillerie de Gros Guillaume dont il vient d’être question, évoque par exemple un parallèle burlesque qu’aurait développé le farceur Gaultier Garguille entre la situation de guerre civile que connaissait alors la France et celle des animaux d’un logis lors d’un « demenagement » :

A ce propos, il me souvient d’une plaisante & serieuse similitude que Gautier Garguille recitoit l’autre jour, disant que les chats ne sont jamais si ayses que quand on demesnage, pource qu’il s’eschappe tousjours quelque bonne lipée en arriere par la negligence de la chambriere, & si que lors qu’on oste les meubles, le[s] rats & souris demeurent a descouvert, & sont bien aysés à prendre. […] Quand la guerre est, point de Chambre des Comptes, point de Justice : combien de gens y gagnent aux despens des autres. Les officiers de chez le Roi font tant d’extraordinaires, les serviteurs demandent tant de recompense, les Controolleurs font de si belles parties, qu’à la fin il se trouve que la guerre ne se faict que contre le Roy, & à la ruine de ses finances22.

L’analogie dénonce sur un ton espiègle les profits réalisés par certains en période de désordres politiques, et en l’occurrence en 1619, lorsque Louis XIII devait faire face à la sédition de sa mère, Marie de Médicis, secondée par le duc d’Épernon. Il n’est pas sûr que cet extrait témoigne d’une situation de représentation véritable, d’autant que le passage sera repris tel quel en 1623 dans la Raillerie de Gros Guillaume23, mais il documente malgré tout le fait que les farceurs étaient considérés comme des discoureurs habiles, à même de gloser les affaires du temps sous couvert de dérision.

Le Corbeau de la cour, libelle paru en 1622, vient confirmer cette analyse. Alors que les troubles politiques se poursuivent et sont doublés d’enjeux religieux (siège de Montauban en 1621), cet opuscule retranscrit de manière allusive et allégorique, les agissements controversés et les tractations financières menées alors par certains grands seigneurs. Il s’ouvre sur l’entretien de deux « nouveaux courtisans24 » qui discutent de quelques libelles parus récemment, sujet bientôt alimenté par un autre « pacquet » :

[…] un Courrier nous a fait voir ledit pacquet, s’adressant à Messieurs de la Cour, & estoit tiltré d’une telle inscription.

L’on prie quelque Page
De porter ces tableaux,
Dedans ce verd boucage
Du Palais des oyseaux.

Le commentaire de ce quatrain fust bien tost mis en lumiere par Gros Guillaume, en une farce qu’il a fait dans l’Hostel de Bourgongne, l’explication en est telle : La comedie saillie un baladin fist une entree avec le Sieur gros Guillaume, apres plusieurs plaisanteries, le baladin commença à dire : Mon maistre, il y a bien des nouvelles, on dit que les Princes sont metamorphosez, metamorphosez, dit gros Guillaume, en quel forme ? en oyseaux, comment le sçais-tu ? parce que j’ay trouvé depuis peu deux tableaux qui sont en forme d’Ænigme, dans l’un d’iceux estoit representé la figure de divers oyseaux, qui r’emplumoient un autre qui estoit tout nud, avec ceste epigramme dessous.

La Cour est un bocage,
La ou divers oyseaux,
Couvrent de leur plumage,
Le corps de trois Courbeaux25.

Le Corbeau de la cour n’est pas à proprement parler une farce, ni une source fiable sur cette pratique. Toutefois, c’est un écrit qui envisage des farceurs (ici Gros Guillaume et son « baladin »), comme des commentateurs et donc des acteurs de l’actualité, comme des interprètes capables d’en proposer une lecture à chaud26.

Dans la même série et en remontant un peu en arrière, il est également possible d’évoquer, à la suite de J. Koopmans dans un article intitulé « La farce, genre noble aux prises avec la facétie27 ? », un extrait du Journal de Pierre de l’Estoile. Ce document d’une autre nature relate comment en 1607 des joueurs de farce de l’Hôtel de Bourgogne ont été mis en prison à la demande d’officiers de justice qui se sont sentis offensés par la représentation. Les acteurs furent toutefois libérés le jour même sur ordre d’Henri IV qui, bien qu’il se soit également senti visé, « pardonnoit de bon cœur [aux comédiens], d’autant qu’ils l’avoient fait rire, voire jusques aux larmes28 ». Dans un récit qui met en scène la clémence du souverain, le rire et les pratiques farcesques apparaissent comme un moyen d’action efficace pour porter un discours critique, mais parfois toléré, sur des affaires concernant l’État.

Les différents écrits évoqués représentent et peut-être créent, plus qu’ils n’en témoignent, une pratique satirique de la farce ancrée dans l’actualité au début du xviiᵉ siècle en France. Ses acteurs sont du moins appréhendés comme des interprètes disponibles pour mettre en voix, de manière railleuse et détournée, des informations qui touchent le temps présent ou qui le réinventent en le déformant.

Farces et mazarinades

Manifestations farcesques durant la Fronde

Si l’on applique les mêmes principes d’observation des usages écrits de la farce à la période qui suit les années 1630, on note que, loin d’être en perte de vitesse, elle est toujours bien présente et aux prises avec l’actualité, en particulier sous la Fronde. On assiste à un éparpillement et à une diversification du modèle farcesque dans les pamphlets qui inondent alors le marché de l’imprimé. En jouant sur la polysémie, de nombreux libelles exploitent les connotations à la fois dramatiques et dévalorisantes du mot « farce » et de ses dérivés pour appuyer l’alacrité des propos polémiques qu’ils diffusent. Un repérage des occurrences dans les textes disponibles sur le site Recherches internationales sur les Mazarinades, donne un aperçu de l’importance de cette référence : 109 résultats apparaissent pour une recherche à partir de la racine « farc.* » (en comptant les reprises lorsqu’il y a plusieurs exemplaires d’une même mazarinade)29. Le sens des termes employés et leurs contextes d’apparition varient beaucoup d’un écrit à un autre mais certains schémas sont récurrents. On peut relever par exemple l’emploi de la métaphore topique du monde comme théâtre, qui est déplacée du plan religieux au politique, notamment avec la comparaison déshonorante de Mazarin avec un farceur ou un bouffon. Nombre des actions du Premier ministre se voient ainsi présentées de manière burlesque, comme dans le Balet ridicule des nieces de Mazarin daté de 1649. On y lit entre autres cette réplique d’une des nièces qui, s’adressant à Pamphilio, fait référence à la réputation des comédiens italiens en matière d’intrigue :

EMILIA. Il faut avoüer qu’il y a peu de personnes en toute l’Italie qui entende si bien que vous l’intrigue du Theatre, & que vous inventez des farces qui feroient rire les Morts30.

Parfois, l’analogie dégradante associant Mazarin à un bouffon est construite sur la seule mobilisation du surnom des farceurs. C’est le cas en particulier avec Turlupin et Tabarin31, à la faveur de la rime, comme en témoignent les quelques exemples mis en série ci-dessous :

Nous en estions sur la bourasque,
Qu’excita le peuple fantasque,
Sur nostre maistre Tabarin,
Je veux dire le Mazarin
Mais en suite que fit les Prince [sic]
Dedans la Belgique Province
Lors qu’à Lens il eust mis a cu
L’Archiduc, & qu’il l’eust vaincu32.
[…]
Et ce Cardinal Mazarin
Qui est un second Turlupin,
Et si adonné au bordel
Qu’il n’y en a point à luy pareil33.
[…]
Pren garde Jule Mazarin
De passer pour un Tabarin
Venant monter sur un theatre,
Avec une couleur blafarde
Et d’un visage refrogné
Comme celuy d’un trespassé,
En regardant Maistre Guillaume
Qui parestra comme un fantosme,
Lequel pour lors t’accipera [t’attrapera]
Puis dans l’Enfer te traisnera
Te rompant les bras & les jambes […]34.

Par ailleurs, l’usage de figures de farceurs selon le modèle observé avec Gros Guillaume dans des pamphlets précédant la Fronde, est encore mis à profit au cours de cette période. L’implantation dans le présent est d’autant plus visible qu’il y a une adaptation des voix mobilisées. Plutôt que celles de cet acteur ou de Gaultier Garguille, des comédiens morts depuis plus d’une dizaine d’années, ce sont des voix de farceurs contemporains qui sont préférées. Un acteur-vedette comme Jodelet, pour qui des comédies étaient alors spécifiquement écrites par Scarron ou Le Métel d’Ouville35, était mobilisé pour faire entendre, via l’imprimé, des discours sur les agitations frondeuses du moment tels que :

Au sein de ces différents ouvrages, l’usage du cadre farcesque dépasse largement un recours strictement thématique pour toucher l’énonciation et pour gagner une dimension pragmatique : à travers l’emploi d’une posture discursive sans dignité mais connue, il s’agit de faire publier et fonctionner des libelles politiques. Les Entretiens serieux de Jodelet & de Gilles le Niais ou le Dialogue de Jodelet et de Lorviatan sur les affaires de ce temps illustrent aussi comment certains pamphlets mobilisaient le modèle théâtral comme un cadre formel pour développer leurs propos. Ces écrits dialogués peuvent être lus comme des farces politisées, même s’ils n’en portent pas le titre, à moins que ça ne soit à l’inverse des mazarinades littérarisées, c’est-à-dire des libelles frondeurs usant des codes de la production et de la publication littéraires pour gagner en circulation et en force de frappe37.

La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume (1649)

Pour tenter d’éclaircir cette imbrication entre farces et mazarinades, arrêtons-nous sur un cas où ce ne sont plus les voix qui sont exploitées, mais divers codes formels, à tel point que le libelle a aujourd’hui été intégré au Répertoire du théâtre français imprimé au xviiᵉ siècle mis au point par Alain Riffaud38. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume est une mazarinade de vingt-huit pages (in-4o), parue sans indication de lieu, en 1649. Une dizaine d’exemplaires de cet écrit est conservée à la Bibliothèque nationale de France (BnF), seuls ou dans des recueils factices compilant d’autres mazarinades, ce qui laisse supposer une circulation intense et sur un temps très court, puisqu’il n’y aura pas de réimpression au xviiᵉ siècle39.

Cette « farce » met en scène des personnages historiques dont les identités sont faussement maquillées par des anagrammes renversant leurs noms : Mazarin et ses fidèles tiennent un conciliabule pour savoir comment ils vont faire face à la révolte des Parisiens. L’intrigue se situe en pleine Fronde parlementaire, dans la continuité des troubles qui marquent le début de l’année 1649, après le départ de la cour pour Saint-Germain-en-Laye dans la nuit du 5 au 6 janvier. Elle représente l’inquiétude des « monopoleurs40 » (voleurs) à travers deux groupes de personnages :

  • D’abord Nizaram (Mazarin) et ses proches : Yremed, c’est-à-dire Michel Particelli d’Emery, conseiller de Mazarin puis surintendant des Finances en 1648 ; Naletac, c’est-à-dire le financier Catelan, et Siobsed, c’est-à-dire Desbois son serviteur et espion ;
  • Puis trois « maltotier[s]41 », ou ceux qui levaient la « maletoste », une « Imposition faite sans fondement, sans necessité & sans autorité legitime »42 selon Furetière : Dracip (Picard), Teruobat (Tabouret) et Telbuod (Doublet). Anciennement cordonnier, fripier et maquereau selon les propres dires des personnages, ils incarnent les hommes de main du Premier ministre, ceux qui ont fait leur profit en se mettant à son service mais qui se voient contraints de reprendre leurs premiers emplois par crainte de la fureur des Parisiens.

Ces deux groupes, qui se croisent, désespèrent de leur situation et de ne pouvoir trouver refuge nulle part, avant que Nirazam ne leur propose de s’adresser à Pluton, maître des Enfers, avec lequel il a eu « le plus ample trafique43 ». La farce se clôt, à la septième scène, sur l’accueil du cardinal et de ses « monopoleurs » aux Enfers par Pluton, qui attribue une charge appropriée à chacun.

Cette publication est loin d’être un hapax puisque d’autres mazarinades font le choix du modèle dramatique44 et que sa création entre en écho avec les multiples dialogues des morts qui traversent la littérature européenne au cours de la première modernité, y compris sous un jour satirique45. Le voyage, ici facétieusement nommé « pèlerinage », du cardinal et de ses acolytes aux Enfers s’inscrit dans la lignée de textes polémiques qui utilisaient ce schéma mythique de la catabase pour fustiger par exemple l’ancien favori de la Régente, Concini ou encore Richelieu46.

Cette pièce est saturée de codes scripturaires qui, à différents niveaux, font signe vers le théâtre et plus spécifiquement vers le modèle farcesque, convoquant par la même occasion toutes les connotations y étant attachées. C’est tout d’abord le recours au terme « farce », mis en valeur par la page de titre et qui revient au début de la pièce avec un second intitulé « La Farce de Mazarin, & des Monopoleurs » qui clarifie la cible du libelle et rappelle le cadre dramatique supposé (voir fig. 1).

Fig. 1. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, page de titre et p. 3.

Fig. 1. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, page de titre et p. 3.

Source/crédit : gallica.bnf.fr / BnF, département Littérature et art, cote YF-301.

C’est ensuite l’usage de codes typographiques et formels théâtraux : la présence d’une liste des « farceurs » en page 2, la structure d’une pièce courte segmentée en sept scènes, l’indication des tours de parole avec détachement des noms des personnages, ou encore la mention de didascalies47. Les marques de théâtralité qui déterminent ce livret imprimé suggèrent le potentiel de représentation de cet écrit ou font croire qu’elle a pu être représentée, ce qui en accroît la portée polémique (voir fig. 2).

Fig. 2. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, p. [2] et 20.

Fig. 2. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, p. [2] et 20.

Source/crédit : gallica.bnf.fr / BnF, département Littérature et art, cote YF-301.

C’est également la présence d’une épigramme qui inscrit l’imprimé dans des codes lettrés de dédicace et dans un environnement farcesque :

Au Sieur de la Valize sur sa Farce
            EPIGRAMME
      L’Art de Jodelet a cessé,
Aussi bien que celuy des garces :
Mais il sera récompensé,
Car Mazarin fournit de farces.
          Par N. Bosq. Chevalier de la Traille48.

Le statut d’auteur de ce libelle a pu être accordé à celui qui signe l’épigramme, qui rappelle le nom de Du Bosc de Montandré, pamphlétaire prolifique au service du prince de Condé durant la Fronde49. Alors que l’acteur Jodelet était toujours actif sur les planches50, il se voit en quelque sorte détrôné par Mazarin, plus capable de fournir des « farces » qu’un professionnel en la matière. L’ambiguïté du mot « farce[s] » est une nouvelle fois exploitée dans ces vers adressés à un auteur dont le nom supposé (« Sieur de la Valize » qui peut renvoyer à un auteur absent, en voyage, par métonymie avec « valise » qui désignait déjà un sac en cuir pour transporter des affaires) participe au traitement burlesque des faits d’actualité rapportés. Il faut noter au passage que la référence au « Chevalier de la Traille » ou « treille » entre en écho avec un autre pamphlet de 1649 s’inscrivant dans la continuité immédiate de l’exil de la cour à Saint-Germain en janvier de cette année-là. La Conference de Mazarin avec les partisans touchant sa retraite est une pièce dialoguée au sein de laquelle le cardinal s’entretient avec ses fidèles (d’Emery, Catelan et Tabouret) du meilleur endroit où fuir : diverses provinces françaises et étrangères sont écartées (Nord, Normandie, Espagne, Italie) avant qu’il ne soit convenu de trouver « azile chez les Liegeois51 ». Mazarin recommande alors à ses sujets un exil qui leur soit profitable et leur adresse un long discours d’adieu (« Harangue de Messire Jules Mazarin Capitaine des Mal[e]totiers52 »). Ce libelle s’ouvre sur une épigramme et un rondeau adressés à son auteur, le « Sieur de la Besace, Chevalier de la Treille53 ». S’il est impossible d’affirmer que les deux libelles sont de la même plume à partir de la proximité des noms et des événements racontés, on peut du moins noter que dans les deux cas la tonalité comique préside à l’ouverture des ouvrages et programme une réception où le rire sert la critique politique54. L’écho entre les noms tisse des liens entre les pamphlets, et permet de susciter une impression de familiarité qui ne peut que servir leur bonne réception par les lecteurs.

Dans La Farce des courtisans de Pluton, différents passages thématisant le sujet de « Mazarin farceur » illustrent encore d’une autre manière l’importance de la référence farcesque dans cette pièce. C’est par exemple le cas dans la première scène, au cours de laquelle Naletac soutient que Nizaram peut lever une armée pour mater les Parisiens grâce à ses seules connaissances :

Vous connoissez aussi un million de farceurs,
De fols, de basteleurs, de sauteurs, de danseurs,
En un mot vous avez par tout la renommée
D’en estre l’intendant, faites en une armée55.

Enfin, l’usage d’un personnel stéréotypé lié au « peuple » (avec les maletotiers) et plus largement le recours à un registre de langue bas, correspondent aux attentes des lecteurs (ou spectateurs) adeptes de farces sur le plan esthétique56. Cette caractéristique est accentuée dans certains passages qui mobilisent un comique grossier, voire scatologique, souvent assimilé à cette forme dramatique alors qu’il ne faut pas l’y réduire57. Un extrait de la première réplique de Nirazam, qui affirme cyniquement ses méthodes de spoliation, peut à ce titre servir d’illustration :

Deprendre à toute main, mais bien honnestement :
Car apres tout, Messieurs, personne ne peut dire
Ce Chaudron m’appartient, ny cette poisle à frire,
Ce lit, cette marmitte, ou ce pot à pisser ;
Et pour dire en un mot on ne sçauroit penser
Que dans mon Cabinet, ma Sale, ou dans ma Chambre
Dans ma Cour dans ma Cave, ou dans mon anti-Chambre,
J’oseray dire encor, que dedans mon privé,
(Foüillez y s’il vous plaist) on n’a jamais trouvé
Qu’il ay rien caché qui appartienne à d’autres […]58.

L’absence de dignité et la réputation grossière des farces entrent ainsi en correspondance avec le fond du discours polémique, et le schéma farcesque va apparemment comme un gant à un pouvoir perverti.

Le repérage de ces divers éléments – dont le nombre et les extraits dépendent de celui qui les repère, soit du ou des lecteurs – montre à quel point les frontières sont poreuses entre les genres et les formes lorsqu’il y a des enjeux polémiques. S’il n’est pas permis d’affirmer que La Farce des courtisans de Pluton a pu être représentée à son époque, cet examen illustre néanmoins comment cette forme spectaculaire peut être indiquée et programmée par un texte imprimé, au moins dans sa lecture si ce n’est dans sa performance possible. La dimension polémique du propos est accrue par l’affichage d’un potentiel de circulation via plusieurs types de supports (écrit, oral, chanté, performé)59. La pièce accueille d’ailleurs des signes de cette intermédialité, lorsqu’à la scène 6, Telbuod entre en chantant sur l’air d’une « Courante nommee la Princesse » (avec en marge la notation « C’est la Chanson du temps ») ou lorsqu’à la dernière scène il est précisé en marge qu’un extrait s’apparente à un « Cocq à l’Asne »60 (voir fig. 3), donc un discours qui appelle un travail herméneutique de la part du lecteur.

Fig. 3. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, p. 17 et 22.

Fig. 3. La Farce des courtisans de Pluton, et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, p. 17 et 22.

Source/crédit : gallica.bnf.fr / BnF, département Littérature et art, cote YF-301.

Le modèle farcesque, qui peut abriter d’autres formes, est jugé d’actualité sous ses divers aspects (forme, figures-personnages, style, registre, etc.), c’est-à-dire qu’il est estimé propre à exprimer le temps présent et propre à opérer dans celui-ci61. Sa publication devient le moyen d’entrer dans les coulisses de l’État, une façon de mettre au jour les rouages cachés, gangrenés et sales du pouvoir en déroute. Son usage sert l’idée selon laquelle le politique n’est que représentation, ses protagonistes des acteurs capables de dissimulation et de coups de théâtre autant que de coups d’État, selon la théorie de l’action politique développée par Louis Marin à partir de la métaphore théâtrale62.

***

La méthode appliquée dans cet article, qui consistait à privilégier l’usage du nom d’auteur plutôt que l’attribution à un auteur en tant qu’individu et à ne pas s’en tenir à un repérage générique traditionnel des farces, favorise l’examen de pièces polémiques, y compris de mazarinades, souvent délaissées par l’histoire du théâtre, alors qu’elles peuvent se révéler utiles pour appréhender les pratiques et les usages farcesques du xviiᵉ siècle. Le parcours proposé au sein des multiples pièces évoquées met ainsi au jour, non l’existence de farces politiques, mais différents usages politiques de la farce et du rire au début du xviiᵉ siècle et sous la Fronde plus spécifiquement. Plutôt qu’à travers son évolution esthétique, c’est à travers de tels usages que l’historicité de la farce se manifeste : elle apparaît comme une forme d’actualité durant toute la première moitié du siècle, que ce soit grâce à ses représentations scéniques, ses avatars imprimés ou grâce à la mobilisation de ses figures vedettes et de ses codes dans des écrits polémiques du temps. « Farce » et « farceurs » peuvent être des métaphores, des mots aux emplois convenus, chargés de connotations généralement dépréciatives, mais ils renvoient aussi à une forme et à des postures discursives jugées aptes à véhiculer des discours polémiques ancrés dans les événements qu’ils commentent. L’association de noms de farceurs à l’expression « sur les affaires de ce temps », ou ses dérivés, dans plusieurs des intitulés de libelles mentionnés dans ce travail en est un signe patent. Le caractère public et plaisant, donc illégitime (par opposition avec l’image des ministres en conseil, enfermés dans leur cabinet) de ce modèle et de ses acteurs en fait tout l’intérêt pour publier et discuter, de manière retorse, les affaires d’État.

Notes

1 Christian Jouhaud, Les Mazarinades : la Fronde des mots, Paris, Aubier, « Collection historique », 1985, p. 241.

2 De la nature et qualité du parlement de Paris, et qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors de la Capitale du Royaume, pour quelque cause ny pretexte que ce soit […], Paris, François Preuvevay, 1652, p. 66. La mauvaise réputation des comédiens italiens qui marque cette périphrase s’inscrit dans le ton xénophobe de ce libelle : « un Estranger ignorant qui ne sçait point nos Loix, non plus que la façon de nous gouverner ; y ayant mille fanfarons à la Cour qui feroient mieux que luy ce qu’il fait dedans le cabinet, & une infinité de fideles & prudens François plus capables un million de fois que ce farceur d’Italie, de rendre la gloire à cét Estat » (ibid.).

3 La Mort funeste du Cardinal Mazarin avec son épitaphe. Dediée à Monseigneur le Duc de Beaufort, Duc & Pair de France, & Protecteur du Peuple, s. l., s. n., 1651, p. 3.

4 Voir notamment Jelle Koopmans, « La farce, genre noble aux prises avec la facétie ? », 3e partie : La facétie sur les tréteaux (xve-xviie siècles), Vincent Dupuis (dir.), Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 32, 2016, p. 147-163, DOI 10.4000/crm.14100 : « Tout au long du xvie siècle, et bien au-delà, le terme [farce] a connu un emploi spécifique dans les pamphlets de la polémique religieuse ainsi que dans l’historiographie, tantôt comme une pratique ridicule (et costumée), tantôt comme un bon tour que l’on a joué à quelqu’un » (p. 149 ; § 4).

5 Pour avoir un aperçu de ce corpus, voir la bibliographie de référence établie par Célestin Moreau, Bibliographie des mazarinades publiée pour la Société de l’histoire de France, Paris, Jules Renouard, 1850-1851, 3 t.

6 Voir notamment Dominique Bertrand, Dire le rire à l’âge classique. Représenter pour mieux contrôler, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1995, p. 167-172 ; Céline Candiard, « La farce corrigée ? Bienséances et innovation dans la “petite comédie” », Revue d’histoire du théâtre, 295, t. 4, 2022, halshs-03924841. Les écrits publiés autour de la disparition du célèbre « trio » de l’Hôtel de Bourgogne (Gaultier Garguille meurt fin 1633, Gros Guillaume en 1634 et Turlupin en 1637) participent à la construction de ce récit bien qu’ils tentent d’assurer une certaine continuité avec les membres de la troupe restants : Flavie Kerautret, « Le “trio” de farceurs de l’Hôtel de Bourgogne. Penser la construction du collectif théâtral », Les Dossiers du Grihl, 15-1, 2022, DOI 10.4000/dossiersgrihl.9262.

7 Voir par exemple la perspective adoptée par Bernadette Rey-Flaud qui définit la farce comme « une pièce dramatique courte, essentiellement comique » et sans « aucune intention didactique ou satirique » (La Farce ou la machine à rire. Théorie d’un genre dramatique. 1450-1550, Genève, Droz, « Publications romanes et françaises », 1984, p. 32 et 37). L’étude de Sara Beam sur les farces met quant à elle en valeur de manière fort intéressante les liens entre les farceurs et le pouvoir, tout en soutenant une diminution de la capacité satirique des farces. En distinguant le jeu des farceurs sur scène et l’usage de leurs noms dans les imprimés polémiques, elle insiste sur une sorte de domestication des farceurs professionnels, tenus par des liens de clientèle et par les attentes de plus en plus policées du public en termes de spectacle : « By the early seenteenth, such ideas were expressed in pamphlets rather than on the public stage, mainly because the theater was much more closely regulated than publishing. Although the monarchy did not systematically censor plays performed on Parisians stages, theater regulation was nethertheless tight enough that no farce player would dare engage, in a public performance, with issues such as the debates of the Estates General of 1614 or the king’s marriage. This gap between innocuous theater and satirical pamphleteering widened during the remainder of the ancien régime » (Sara Beam, Laughing Matters. Farces and the Making of Absolutism in France, Ithaca-London, Cornell University Press, 2007, p. 171).

8 Voir, à titre d’exemple, les différentes entrées proposées par le Dictionnaire de l’Académie françoise : « Meslange de diverses viandes, ou seulement d’herbes, d’œufs, & d’ingredients, hachez menus & assaisonnez, pour l’usage de la table. […] Espece de petite Comedie, plaisante & bouffonne, qui se jouë ordinairement après une piece de theatre plus serieuse. […] Il se dit fig. De toutes les actions qui ont quelque chose de plaisant & de ridicule ; C’est une farce que cela. […] (Dictionnaire de l’Académie françoise, dédié au Roy, Paris, Veuve et Jean-Baptiste Coignard, 2 vol., t. 1 : A-L, 1694).

9 Sur la publication et la fortune exceptionnelle de cette farce, voir l’édition et le dossier de Michel Rousse : La Farce de Maître Pathelin, éd. et trad. Michel Rousse, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1999, et en particulier p. 171-172.

10 Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes. Lesquelles ont esté mises en meilleur forme & langage qu’auparavant, Paris, Nicolas Rousset, 1612 ; Inventaire universel des oeuvres de Tabarin. Contenant ses fantaisies, dialogues, Paradoxes, farces, Rencontres, & Conceptions, Paris, Pierre Rocollet et Antoine Estoc, 1622, p. 183-206.

11 Farce plaisante et recreative sur un trait qu’à joué un Porteur d’eau le jour de ses nopces dans Paris, s. l., s. n., 1632 ; Farce nouvelle du musnier et du gentilhomme, à quatre personnages […], Troyes, Nicolas Oudot, 1628.

12 Tragedie nouvelle de la perfidie d’Aman, mignon et favoris du Roy Assuerus. Sa conjuration contre les Juifs, ou l’on voit nayvement représenté l’Estat miserable de ceux qui se fient aux grandeurs. Le tout tiré & extrait de l’Ancien testament du livre d’Ester. Avec une farce plaisante & rescreative, tiree d’un des plus gentils esprits de ce temps, Paris, Vve Ducarroy, 1622. La farce, qui met notamment en scène les farceurs Gros Guillaume et Turlupin, se trouve à la fin de l’ouvrage, aux pages 28 à 32.

13 L’anthologie composée par Charles Mazouer (Farces du Grand Siècle. De Tabarin à Molière, farces et petites comédies du xviiᵉ siècle [1992], Presses universitaires de Bordeaux, « Parcours universitaires », 2008) en donne à ce titre un aperçu puisqu’elle est composée en majorité d’extraits de pièces moliéresques ou datant de la seconde partie du siècle (comme les petites comédies de Brécourt, Dorimond ou encore Chevalier).

14 Sur le rattachement de nombreuses farces de la fin du xvᵉ et du xviᵉ siècles à une époque médiévale antérieure, voir Jelle Koopmans et Darwin Smith, « Un théâtre français du Moyen Age ? », Médiévales, 59 : Théâtre du Moyen Âge, Dominique Iogna-Prat et Darwin Smith (dir.), 2010, p. 5-16, DOI 10.4000/medievales.6055.

15 Je me permets de renvoyer à ce propos à ma thèse, Le Phénomène « Bruscambille ». Édition, théâtre, actualité, effectuée sous la dir. de Guillaume Peureux et soutenue à l’université Paris Nanterre, le 14 novembre 2020 (à paraître), https://theses.fr/2020PA100091.

16 Bien d’autres noms comiques sont susceptibles de se prêter à ce type d’analyse, voir à ce sujet Marie-Madeleine Fragonard, « Obscurs, sans grades, fous et diffamés : la voix du peuple des pamphlets », dans Jean Lecointe, Catherine Magnien, Isabelle Pantin et Marie-Claire Thomine (dir.), Devis d’amitié. Mélanges en l’honneur de Nicole Cazauran, Paris, Champion, 2002, p. 867-885 ; et Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, « Époques », 2003, p. 49-52.

17 Raillerie de Gros Guillaume. Sur les affaires de ce temps, s. l., s. n., 1623.

18 Advis du Gros Guillaume, sur les affaires de ce temps. Avec une remonstrance à Messieurs qui se meslent de tout, Paris, s. n., 1619.

19 Raillerie de Gros Guillaume, op. cit., p. 5-6.

20 Sur ce conflit et son mode de publication pamphlétaire, voir notamment Bernd Klesmann, « La Trompette de la Valtoline (1623) : Écrire l’attente à la veille de la guerre franco-espagnole », Les Dossiers du Grihl, 11-1 : Agir au futur. Attitudes d’attente et actions expectatives, Albert Schirrmeister (dir.), 2017, DOI 10.4000/dossiersgrihl.6576.

21 En 1623, cela faisait plusieurs années que Robert Guérin, dit Gros Guillaume, louait la grande salle de l’Hôtel de Bourgogne à Paris pour y jouer la comédie. Un nouveau bail est d’ailleurs accordé à sa troupe pour la période s’étendant de fin février à début avril cette année-là (voir le bail daté du 24 février 1623, cote X, 4 : Alan Howe, Le Théâtre professionnel à Paris (1600-1649), Paris, Centre historique des Archives nationales, 2000, p. 265).

22 Advis du Gros Guillaume, op. cit., p. 8-9.

23 Raillerie de Gros Guillaume, op. cit., p. 8-9.

24 Le Corbeau de la cour, s. l., s. n., 1622, p. 3. Ce libelle paraît aussi, la même année, sous le titre La Corneille deplumée, s. l., s. n., 1622.

25 Ibid., p. 3-4.

26 De manière similaire, on lit dans un libelle de 1619 attribué à Gros Guillaume que le farceur Gaultier Garguille se serait livré à « une plaisante & serieuse similitude » rapprochant le comportement des rats profitant de l’absence de maîtres dans le logis à celui des grands seigneurs lors des désordres de cette année-là : Advis du Gros Guillaume, op. cit., p. 8-9.

27 J. Koopmans, « La farce, genre noble aux prises avec la facétie ? », art. cité p. 162 pour la référence concernée.

28 Pierre de l’Estoile, Registre-Journal de Henri III, dans Nouvelles collection des mémoires pour servir à l’histoire de France depuis le xiiiᵉ siècle jusqu’à la fin du xviiiᵉ. Précédés de notices pour caractériser chaque auteur des mémoires et son époque […], éd. Joseph François Michaud et Jean-Joseph-François Poujoulat, Paris, Éditeur du commentaire analytique du code civil, 1837, t. 2, p. 413.

29 Voir la recherche « Rechercher dans le corpus des mazarinades (109 occurrences trouvées) » sur le site des Recherches internationales sur les mazarinades.

30 Balet ridicule des nieces de Mazarin, ou leur theatre renversé en France. Par P. D. P. Sieur de Carigny, Paris, François Musnier, 1649, p. 5.

31 Henri Legrand, dit Turlupin, était un comédien de l’Hôtel de Bourgogne dans les années 1630 ; tandis qu’Antoine Girard, plus connu sous le nom de Tabarin, était un opérateur officiant en particulier place Dauphine aux côtés de son frère Philippe Girard, surnommé Mondor, dans les années 1620.

32 Galimatias burlesque sur la vie du cardinal Mazarin […], s. l., s. n., 1652, p. 11. Ce discours à la première personne, qui s’ouvre sur l’anaphore « Je chante » en parodiant le souffle épique de l’Énéide, propose une sorte de chronique de la Fronde. Les conflits, et notamment les gestes du prince de Condé, sont présentés comme nécessaires face à la ruse et la perversion du cardinal Mazarin.

33 La Lettre de Caron à Mazarin, s. l., s. n., 1651, p. 5. Cet opuscule use du modèle épistolaire pour s’adresser violemment à Mazarin afin de fustiger sa personne et ses actes.

34 Ibid., p. 6-7.

35 Voir Jodelet ou le maître valet de Scarron (1645), puis en 1646 : Jodelet duelliste du même Scarron, Jodelet astrologue du Métel d’Ouville et Jodelet Prince de Thomas Corneille. À propos du succès de Jodelet à cette époque, voir Colette Cosnier, « Jodelet : un acteur du xviiᵉ siècle devenu un type », RHLF, 3, 1962, p. 329-352.

36 Le fait que ces ouvrages soient répertoriés par Gustave Moreau souligne le rattachement de ces opuscules au flot des mazarinades (Gustave Moreau, Bibliographie des mazarinades, op. cit.). Le premier titre est disponible sur Numélyo-Bibliothèque numérique de Lyon (bibliothèque municipale de Lyon) ou GoogleBooks ; le second sur le site Antonomaz (Analyse automatique et numérisation des mazarinades), Numelyo ou GoogleBooks ; le troisième sur Numelyo ou GoogleBooks (exemplaire précédé d’un frontispice célèbre du farceur Julien Bedeau, dit Jodelet).

37 Sur les nouveaux fonctionnements politiques de l’écrit que permet la « littérature » au xviiᵉ siècle, voir Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature : histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, « NRF essais », 2000. Même si les farces ne jouissent pas d’une légitimité littéraire importante, elles en reprennent les codes.

38 Alain Riffaud, Répertoire du théâtre français imprimé au xviiᵉ siècle, URL : https://repertoiretheatreimprime.othone.org/.

39 Deux versions numériques de La Farce des courtisans de Pluton et leur pelerinage en son royaume, s. l., s. n., 1649, sont disponibles sur Gallica avec les cotes YF-301 et YE-3298 (Tolbiac). Voir également les cotes suivantes : site Richelieu – Arts du spectacle : 8-RF-5242(3), 8-RF-5248 ; Arsenal : 4-BL-3571(7), 4-BL-3712, GD-1105, GD-10117, 8-H-7663(8), 8-H-7666(86), 8-H-7737(72). Alain Riffaud répertorie vingt-six exemplaires supplémentaires, dispersés dans les bibliothèques françaises ou à l’échelle mondiale, dans son Répertoire du théâtre français imprimé au xviiᵉ siècle.

40 Ce terme « monopoleur » doit s’entendre avec les connotations péjoratives qu’il porte alors selon la définition qu’en propose Antoine Furetière : « Celuy qui est seul à faire le commerce de quelque chose, particulierement de ce qui est necessaire à la vie. / Le peuple a rendu encor ce nom plus odieux. Car il l’estend à ceux qui sont exacteurs des imposts & des maletostes » (Dictionnaire universel contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes […], La Haye/Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, t. 2 (L-Z), 1690, n. p.).

41 La Farce des courtisans de Pluton, op. cit., p. 12 sqq. Furetière donne la définition suivante de « maletostier » : « qui exige des droits qui ne sont point deus, ou qui sont imposez sans autorité legitime. / Le peuple appelle abusivement maletoutiers, tous ceux qui levent des deniers publics, sans distinguer ceux qui sont bien ou mal imposez, ni les exactions des contributions legitimes aux necessitez de l’Estat » (Dictionnaire, op. cit.).

42 « maletoste », ibid.

43 La Farce des courtisans de Pluton, op. cit., 1649, p. 18.

44 Voir notamment les titres réunis dans la compilation suivante : Mascarades et farces de la Fronde (en 1649), Turin, J. Gay et fils, 1870 ; ou [Claude Du Bosc de Montandré], ainsi qu’à titre d’exemples La Balance d’Estat. Tragi-comédie, s. l., s. n., s. d. [1652] (tragi-comédie en 5 actes, aussi parue sous le titre L’Intrigue de l’emprisonnement & de l’elargissement de Messieurs les Princes […], avec à la fin du livre des clés et une « Explication du sens allegorique des Actes & des Scenes de cette Tragi-comedie » ; ou encore La Bernarde, Comedie, Dijon, J. Thibaut, 1651.

45 Voir en particulier, l’article de Nicolas Correard, « Entre distanciation philosophique et indignation pamphlétaire : le rire des morts face à l’actualité », paru dans le premier volume Rire des affaires du temps (1560-1653). L’actualité au prisme du rire, Flavie Kerautret (dir.), 19, 2022, DOI 10.35562/pfl.421 ; ainsi que la thèse de Johan S. Egilsrud, Le « dialogue des morts » dans les littératures française, allemande et anglaise (1644-1789), université de Paris, faculté des Lettres, 1934.

46 La Descente du marquis d’Ancre aux Enfers, son combat, & sa rencontre, Avec maistre Guillaume, Paris, Abraham Saugrain, 1617 ; L’Entree et la reception qui a esté faite au mareschal d’Ancre, aux Enfers. Avec le Pourparler de Ravaillac, avec luy, Paris, Bernard Hameau, 1617 ; Dialogue du cardinal de Richelieu voulant entrer en Paradis, et sa descente aux Enfers. Tragi-comedie, Paris, s. n., 1643.

47 Pour signaler un monologue (La Farce des courtisans de Pluton, op. cit., p. 14) ; annoncer une sortie (p. 19), ou souligner que certaines paroles sont prononcées par des personnages « derrière la tapisserie » (p. 20).

48 Ibid., p. 2.

49 L’attribution à Claude Du Bosc de Montandré apparaît dans la Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne, Catalogue rédigé par P. L. Jacob, bibliophile, l’un des directeurs de l’Alliance des Arts, Paris, Administration de l’Alliance des Arts, 1844, t. 3, p. 299. Pour d’autres écrits du Sieur Du Bosc de Montandré, voir sa notice BnF.

50 Hormis les pièces mentionnées plus haut dans la note 35, rappelons que Molière écrit pour ce comédien le rôle du vicomte Jodelet dans les Précieuses ridicules, représentées fin 1659, et que la même année Guillaume Marcoureau dit Brécourt, jeune comédien du Marais, crée La Feinte Mort de Jodelet (dont le rôle-titre ne fut peut-être pas tenu par Julien Bedeau, alors engagé par Molière).

51 Conference de Mazarin avec les partisans touchant sa retraite par le Sieur de la Besace, Paris, [Nicolas de la Vigne], 1649, p. 9.

52 Ibid., p. 12-14.

53 Ibid., p. 2.

54 La tonalité joyeuse de la Conference de Mazarin se manifeste dès la page 3 à travers le nom du « Chevalier de la Treille », qui trouve son équivalent dans le nom supposé de l’éditeur « Nicolas de la Vigne », ainsi que dans les premiers vers de l’épigramme : « Alors que je me mets à lire / Le départ du beau Mazarin, / Certes je m’esclatte de rire / Plus que-quand je vois Tabarin. » (Ibid., p. 2 et 3.)

55 La Farce des courtisans de Pluton, op. cit., p. 7.

56 Le terme et le modèle des farces supposent aussi un cadre de représentation capable d’accueillir différentes formes discursives employées par ailleurs dans des pamphlets du temps (cris de Paris, chansons, coq-à-l’âne, etc.).

57 Jelle Koopmans et Paul Verhuick, « Les mots et la chose, ou la métaphore comme spectacle. Nouvelle étude sur la représentation scénique de l’acte sexuel dans les farces », Versants, 38 : « Passages » : du Moyen Âge à la Renaissance, Jean-Claude Mühlethaler (dir.), 2000, p. 31-51.

58 La Farce des courtisans de Pluton, op. cit., p. 3-4.

59 Pour un examen de l’intermédialité du discours polémique appliqué à une période antérieure et un corpus local (rouennais), voir Estelle Doudet, « Les chansons au théâtre : intermédialité et polémique aux xvᵉ et xviᵉ siècles », dans Mickaël Ribreau et Luce Albert, Polémiques en chanson (ivᵉ-xviᵉ siècles), Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2022, p. 161-175, hal-03938910.

60 La Farce des courtisans de Pluton, op. cit., p. 17 et p. 22.

61 Dans La Farce des courtisans de Pluton, cela est surtout sensible sur le plan de la contestation économique : habituée à représenter des questions triviales telles que l’argent, la forme farcesque s’avère adéquate pour satiriser des figures politiques perçues comme des financiers trompeurs.

62 Louis Marin, « 12. Pour une théorie baroque de l’action politique. Les Considérations politiques sur les coups d’État de Gabriel Naudé », dans Politiques de la représentation, Paris, Éditions Kimé, 2005, p. 191-232, [en ligne sur Cairn, accès institutionnel].

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Citer cet article

Référence électronique

Flavie Kerautret, « Farces et mazarinades. Actualité d’une forme théâtrale comique pendant la Fronde », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 21 | 2024, mis en ligne le 12 août 2024, consulté le 15 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=697

Auteur

Flavie Kerautret

Université Sorbonne Paris Nord, Pléiade – EA 7338

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