On connaît bien, depuis le xviie siècle, le rôle des périodiques dans l’établissement, le développement et la diffusion de la pensée scientifique. La croissance des titres encore avérée ces dernières années, atteste de leur fonction majeure dans le dispositif global de la communication scientifique. Les longues travées de périodiques imprimés chargeant les rayonnages de nos bibliothèques matérialisent ainsi ce « Monde 3 » dont parle Karl POPPER1, monde des contenus de pensée objectifs et objectivés, monde de la connaissance, des procédures, des savoir-faire et des outils heuristiques.
Objets particuliers de l’attention des chercheurs, qui en multipliaient les exemplaires dans leurs laboratoires et bibliothèques d’unités au grand dam de la communauté bibliothécaire, les périodiques ont longtemps fidélisé la fréquentation de ces publics dans les bibliothèques universitaires. Mais aujourd’hui, ces vecteurs du 3e monde sont largement dématérialisés et peuplent l’espace du web, assortis de puissants engins de recherche associant à leurs contenus les services de la lecture à l’écran connectée à un foisonnement d’autres textes, données et schémas. Le processus d’élaboration de la science en est transformé et la communication scientifique profite de ces nouveaux canaux pour gagner en rapidité dans l’échange d’informations.
Que restera-t-il de nos collections dans un univers dématérialisé ?
La question est d’autant plus pertinente que les modes d’archivage numérique à long terme, lourds et coûteux, s’améliorent et se fiabilisent. La conservation du papier, quant à elle, gagnerait à être aujourd’hui pensée de manière systématique au niveau du réseau, dégageant ainsi de cette préoccupation un grand nombre de bibliothèques libérées de cette mission de conservation particulière, et qui trouverait, là, l’opportunité de redonner de l’espace aux publics. La présence d’un réseau de bibliothèques CADIST et de grandes bibliothèques scientifiques de référence, l’existence du Système universitaire de documentation, le Sudoc, et de démarches expérimentales du type de celle conduite dans le domaine des périodiques de médecine en Île-de-France sous l’égide de la BIUM2, tout est prêt pour entreprendre ce travail. Parallèlement, la constitution de grands réservoirs d’archives numériques impliquant l’ABES et le CINES (dépôt des archives ScienceDirect d’Elsevier) contribuera à faire émerger un nouveau mode opératoire pour la gestion pérenne des collections de périodiques.
Quant à la production vivante, son organisation au sein de dépôts institutionnels ouverts du type HAL3 (Hyperarticle en ligne) procurera aux chercheurs un mode d’accès complémentaire à l’offre commerciale concentrée aujourd’hui entre les mains d’un nombre restreint de grands fournisseurs de taille mondiale. S’ouvre ici l’opportunité pour notre pays de faire converger les efforts des organismes de recherche et d’enseignement supérieur comme en témoigne la mise en œuvre de l’accord de copilotage par les établissements d’enseignement supérieur et du CNRS de l’application HAL4 et, pour la communauté mondiale des chercheurs, d’instituer un espace d’échange scientifique dont elle assurera, via ses bibliothèques, l’administration et l’enrichissement.
Alors, morte la revue papier ? Non, comme en témoigne l’utilisation récurrente qu’en font nos publics, mais relativisée, reclassée au niveau d’un support d’appoint pour un usage particulier ou adapté à une communauté particulière ; mode de lecture toujours pleinement pertinent, pratique et moderne, mais décentré par rapport à la recherche en ligne d’informations numériques devenue la source de référence première. Quant à l’activité bibliothécaire, elle devient ainsi, au-delà même des frontières de notre profession, une compétence de base de l’utilisateur de documentation. Administrer les périodiques en bibliothèque ? Disons plutôt : accompagner la vaste refonte de la communication scientifique au moyen de la conception d’outils organisant les contenus et leur accès et jouer un rôle actif dans la diffusion de nos compétences. Les bibliothécaires qui aiment à s’interroger sur leur avenir, voient la bibliothèque-monde s’ouvrir devant leurs pas…