L’Abes au défi des mutations des standards documentaires

DOI : 10.35562/arabesques.4372

p. 21

Text

Des formats de catalogage aux standards d’échange de données, le paysage normatif des bibliothèques connaît de profondes mutations. L’Abes adapte ses pratiques et son expertise pour accompagner ces évolutions, tout en contribuant activement à la définition des standards de demain..

L’Abes, dont la mission inclut de veiller au respect des normes dans les opérations de signalement des collections documentaires de l’ESR, se trouve dans une position privilégiée pour observer les évolutions du paysage normatif sur le long terme.

Un regard historique est essentiel. Le format MARC est d’abord un projet piloté initialement par la Library of Congress, et créé dans les années 1960 pour faciliter la production et la diffusion des fiches de catalogue au sein des bibliothèques américaines. Il est développé par l’IFLA en un format d’échanges international, UNIMARC, dans les années 1970. L’adoption de ces standards dans les systèmes informatiques et les pratiques des bibliothécaires français a été progressive jusqu’à la fin des années 1990.

Mais dès le milieu des années 1990, la communauté travaillait à les dépasser. La publication des Functional Requirements for Bibliographic Records (FRBR) par l’IFLA en 1998, et l’article provocateur de Roy Tennant « MARC must die »1 publié en 2002, ont souligné la nécessité de modèles conceptuels désormais centrés sur les besoins d’information des utilisateurs, qui remettent en question la description physique des documents comme base unique du catalogage. La publication de RDA (Resource Description and Access) en 2010 incarne ce changement de paradigme. Son introduction a été suivie par diverses initiatives, dont la rédaction en France du code de catalogage RDA-FR, lancée en 2015. L’IFLA de son côté publiait le modèle LRM (Library Reference Model) en 2017, et une version profondément remaniée de RDA est diffusée en 2019.

La complexité du paysage normatif s’accroît encore avec l’émergence de BIBFRAME (Bibliographic Framework), modèle de données pour le web sémantique développé en parallèle par la Library of Congress avec la contribution de l’infrastructure Zepheira2, qui connaît deux versions successives (2012 et 2016) et commence à être implémenté dans certains SGB. L’hétérogénéité de ce paysage, et sa complexité, suscitent la création d’EURIG (European RDA Interest Group) en 2011, puis celle du BIBFRAME Interoperability Group (BIG) en 2022, qui travaillent à la capacité des systèmes à intégrer les évolutions normatives, et à leur interopérabilité.

 

 

Crédit photo Adobe Stock – sornram, généré à l’aide de l’IA.

La notion même de « normalisation » et de « standards internationaux » maintenus par l’IFLA est en pleine mutation. Les organisations normatives traditionnelles, telles que le TC46 de l’ISO et le Comité permanent UNIMARC (PUC) de l’IFLA, semblent voir leur influence diminuer au profit d’instances plus transversales, impliquant un éventail plus large d’acteurs (organismes de recherche, éditeurs de contenus et de logiciels, financeurs…). De nouveaux types de standards émergent, comme les schémas et les API proposés par des organisations telles qu’ORCID (identifiants de chercheurs), ROR (registre des organisations de recherche), Software Heritage (archivage du code source) ou CrossRef, DataCite etc. (DOI des publications scientifiques). Ces initiatives, en proposant des modèles de données et des modalités d’échange spécifiques, contribuent à une forme de normalisation de facto, axée sur l’interopérabilité et l’échange de données entre différents systèmes et communautés. La question se pose désormais de la relation entre ces nouvelles formes et la « normalisation » traditionnelle. L’identifiant DOI, largement adopté par la chaîne éditoriale numérique, est ainsi devenu 2012 une norme ISO interprofessionnelle3.

L’histoire de MARC illustre la dimension pragmatique de la normalisation. Au-delà des considérations théoriques, le processus répond à des besoins concrets, avec des solutions techniques parfois multiples et concurrentes nécessitant coordination et rationalisation. Des formats historiques comme MARC21 et UNIMARC aux nouveaux standards comme RDA et BIBFRAME, en passant par l’émergence de schémas et d’API, le paysage normatif est dynamique. Ce mouvement vers une certaine « babelisation » requiert des compétences en transformation et interopérabilité des données, ainsi qu’une vision globale de l’évolution des formats de données.

Face à ces évolutions massives, l’Abes doit ajuster sa position : plutôt qu’un engagement fort dans l’une ou l’autre instance internationale, il paraît préférable d’assurer une veille diligente élargie pour suivre les avancées qui, dans le secteur documentaire, sont susceptibles d’avoir un impact fort dans l’ESR (ex. BIBFRAME, CrossRef…). Il importe également de veiller aux évolutions dans des secteurs émergents mais désormais incontournables : le schéma ROR pour l’identification des organisations dans le domaine de la recherche, déjà cité, est un exemple parmi d’autres.

Notes

1 Consulter : http://soiscompsfall2007.pbworks.com/f/marc+must+die.pdf

2 Consulter : https://zepheira.com

3 Le DOI est un standard international (ISO 26324) géré par la DOI Foundation

Illustrations

References

Bibliographical reference

Nicolas Morin, « L’Abes au défi des mutations des standards documentaires », Arabesques, 117 | 2025, 21.

Electronic reference

Nicolas Morin, « L’Abes au défi des mutations des standards documentaires », Arabesques [Online], 117 | 2025, Online since 27 mai 2025, connection on 02 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4372

Author

Nicolas Morin

Directeur de l’Abes

nicolas.morin@abes.fr

Author resources in other databases

  • IDREF
  • VIAF

By this author

Copyright

CC BY-ND 2.0