La Bibliothèque universitaire de médecine de Montpellier

Enjeux d’une bibliothèque universitaire patrimoniale au XXIe siècle

DOI : 10.35562/arabesques.759

p. 24-25

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La Bibliothèque universitaire de médecine de Montpellier détient des collections d’une grande richesse. L’origine et la rareté de ces collections confèrent à cet établissement une dimension patrimoniale forte. Retour sur l’histoire de leur constitution et sur leur gestion aujourd’hui.

Logée depuis deux siècles au premier étage du bâtiment historique de la Faculté de médecine, la Bibliothèque universitaire de Médecine propose au public une collection remarquable, dont la présence en ces lieux résulte d’une histoire singulière. Singulière parce que les collections antérieures au XIXe siècle sont assez rares dans les bibliothèques universitaires françaises, surtout en province. Singulière aussi par la nature des fonds, totalement encyclopédiques, dans une faculté hautement spécialisée. Singulière enfin par la manière dont fut formée la collection, au début du XIXe siècle, presque entièrement grâce à l’œuvre d’un seul homme, Gabriel Prunelle, qui sut tirer le meilleur parti, au bénéfice de son École, des circonstances de l’Histoire.

C’est en effet à partir des confiscations révolutionnaires qu’a été constituée la collection, quand Prunelle, médecin érudit et bibliophile, mandaté par Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur de Bonaparte sous le Consulat (1800-1804), a fait le tour des « dépôts littéraires » pour collecter des ouvrages pour l’École de médecine montpelliéraine. Prunelle a donc constitué de toutes pièces une collection que sa cohérence et sa diversité rendent réellement exceptionnelle.

Une collection encyclopédique issue d’une culture humaniste

Notre homme partageait avec beaucoup de ses contemporains une vision humaniste de la médecine, où l’étudiant doit non seulement connaître les différents aspects de l’art médical, mais aborder l’être humain sous toutes ses facettes, et pour cela étudier dans « les meilleurs ouvrages écrits sur chaque matière», de la théorie et de la pratique médicale aux langues, en passant par la philosophie, les mathématiques, les sciences naturelles. Rien d’étonnant donc à ce que la collection de l’École de médecine soit encyclopédique, et parcoure sciences, arts et lettres dans une vision généreuse du savoir. La collection d’ouvrages imprimés –environ cent mille volumes avant le XIXe siècle - comprend pourtant une majorité (45%) d’ouvrages médicaux, où aux grands traités et éditions des maîtres anciens s’ajoutent manuels et écrits des médecins les plus modernes. C’est assez naturellement que viennent ensuite, en complément, les sciences : histoire naturelle avec la zoologie et la botanique, mais aussi mathématiques, chimie et physique. Les dictionnaires et encyclopédies sont nombreux, dont bien sûr l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, mais aussi des dictionnaires dans une trentaine de langues différentes. La littérature est présente avec tous les grands auteurs antiques et classiques, la philosophie avec Descartes et Pascal, Voltaire et Montesquieu. Nombreux sont les ouvrages de géographie et les récits de voyage : œuvres des pères jésuites du XVIIe siècle, grands récits d’exploration du XVIIIe. Les sommes historiques enfin côtoient les ouvrages d’archéologie magnifiquement illustrés et les ouvrages d’art proprement dits.

Mais le caractère le plus remarquable de la collection est certainement la présence de quelques neuf cents manuscrits, dont les deux-tiers remontent à l’époque médiévale. Là encore, Prunelle s’attache à recueillir des œuvres dans tous les domaines : religion d’abord, puis littérature antique et médiévale, médecine, et encore droit, musique, philosophie… Le Perceval de Chrétien de Troyes, une Bible historiée de Pierre le Mangeur, les chirurgies de Roger de Parme, de Gui de Chauliac ou d’Albucasis voisinent avec Pétrarque et Dante, sans oublier un magnifique chansonnier du XIIIe siècle richement enluminé. Cinquante-neuf manuscrits sont de l’époque carolingienne, dont le plus ancien de la collection, un psautier de 780 qui a appartenu à un membre de la famille de Charlemagne.

Vieillard et adolescent, Giambattista Tiepolo (1696-1770)

Vieillard et adolescent, Giambattista Tiepolo (1696-1770)

Musée Atger, Université de Montpellier

© BIU de Montpellier. Service photographique

Des trésors dans les archives…

La bibliothèque de l’École de médecine conserve également les archives anciennes de la Faculté, dont les registres d’inscription, préservés depuis le XVIe siècle, égrènent les noms des étudiants. Parmi ceux-là, le plus célèbre est bien sûr celui de François Rabelais, qui a laissé son inscription autographe sur différents documents attestant de sa scolarité montpelliéraine, et dont Prunelle a aussi collecté des éditions anciennes du Gargantua et du Pantagruel et son édition d’Hippocrate de 1532.

Un musée en complément de la collection d’ouvrages

On ne peut présenter cette bibliothèque sans évoquer une autre collection qui lui est étroitement liée : le Musée Atger. Si Jean François Xavier Atger (1758‑1833) a en effet choisi de donner « à la bibliothèque de l’École de médecine », entre 1813 et 1832, les mille dessins et cinq mille estampes qui constituent le musée, c’est assurément dans la même vision encyclopédique que celle de Prunelle, et en complément direct de la collection d’ouvrages nouvellement constituée. Pour Atger, le dessin est nécessaire à l’étudiant en médecine, pour en connaître la technique certes, mais surtout pour y exercer son esprit d’observation tout en ouvrant son esprit à l’art. Atger donne ainsi académies, portraits et études, mais aussi paysages, animaux, scènes mythologiques ou religieuses des Écoles françaises, italiennes et flamandes du XVIe au XVIIIe siècle : de Fragonard à Tiepolo en passant par Rubens, Carrache, Bourdon, Puget ou Andrea del Sarto. Et s’il est destiné en priorité aux futurs médecins, le musée doit s’ouvrir également, selon la volonté du donateur, aux « amateurs montpelliérains » : il est pour cela installé dès avant 1830 dans les salles qu’il occupe toujours aujourd’hui, dans le prolongement de la bibliothèque.

Le Jeu de boules. Chansonnier de Montpellier. XIIIe siècle [H 196 fol. 231]

Le Jeu de boules. Chansonnier de Montpellier. XIIIe siècle [H 196 fol. 231]

© BIU de Montpellier. Service photographique

La gestion de ces collections dans l’université d’aujourd’hui

Le patrimoine historique est très présent dans l’environnement universitaire montpelliérain, et particulièrement dans la nouvelle Université de Montpellier -dont l’UFR de médecine est une des constituantes - où une Direction de la culture scientifique et du patrimoine historique a notamment vocation à gérer les collections scientifiques (conservatoire d’anatomie, herbier et jardin des plantes, minéralogie, zoologie…). L’importance de ce patrimoine est donc aujourd’hui reconnue, et il en va de même pour l’ensemble du patrimoine écrit et graphique, géré par la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier (BIU) : outre la bibliothèque de médecine, un patrimoine documentaire riche et divers est conservé dans les BU Sciences, Droit, Pharmacie et Lettres, et la BIU assume aussi depuis un siècle la gestion de la bibliothèque de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.

Les actions menées par la BIU pour mettre en valeur ce patrimoine sont nombreuses et variées : expositions, organisation de visites, formations, aide à la recherche sur place et à distance et collaborations avec des équipes et projets de recherche. La valorisation passe aussi par des publications, y compris numériques et multimédias : citons par exemple le DVD‑ROM Scriptor et Medicus sur les manuscrits de médecine conservés à la bibliothèque, paru en 2011. Depuis 2010, la BIU s’est dotée d’une station de numérisation qui a notamment permis la numérisation des soixante‑douze manuscrits de la bibliothèque de Clairvaux aujourd’hui conservés à Montpellier. Elle participe à d’autres bibliothèques virtuelles comme romandelarose.org (la BU de Médecine conserve trois manuscrits de ce texte) ou la Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT) - plus de sept mille enluminures de nos manuscrits numérisées. La BIU a ouvert sa propre bibliothèque virtuelle patrimoniale Foli@1 à l’automne 2014 et l’enrichit régulièrement. Enfin, elle a mis en place en mars 2015 un Service du patrimoine écrit et graphique qui réunit les acteurs des différentes bibliothèques impliqués dans le patrimoine ainsi que les ateliers interuniversitaires de conservation restauration, photographie et numérisation.

La question de la conservation et de la communication des collections patrimoniales se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que le bâtiment historique de la Faculté de médecine devrait voir sa vocation patrimoniale renforcée, à l’occasion du départ de l’administration de l’UFR et des étudiants de Première Année Commune des Études de Santé (PACES) vers de nouveaux locaux au nord de la ville.

C’est là une occasion sans doute unique de donner enfin aux collections, notamment de livres et de dessins, les conditions de conservation optimales qu’elles méritent, tout en améliorant sensiblement l’accueil des chercheurs comme du grand public.

L’Université de Montpellier envisage même le regroupement du patrimoine écrit des différentes BU concernées dans ce lieu prestigieux et situé en plein centre‑ville : ce projet, s’il aboutit, permettrait à moyen terme la création d’une bibliothèque patrimoniale universitaire qui constituerait à bien des égards une exception dans le paysage universitaire français.

Notes

1 http://www.biu-montpellier.fr/redir/folia Retour au texte

Illustrations

  • Vieillard et adolescent, Giambattista Tiepolo (1696-1770)

    Vieillard et adolescent, Giambattista Tiepolo (1696-1770)

    Musée Atger, Université de Montpellier

    © BIU de Montpellier. Service photographique

  • Le Jeu de boules. Chansonnier de Montpellier. XIIIe siècle [H 196 fol. 231]

    Le Jeu de boules. Chansonnier de Montpellier. XIIIe siècle [H 196 fol. 231]

    © BIU de Montpellier. Service photographique

Citer cet article

Référence papier

Hélène Lorblanchet, « La Bibliothèque universitaire de médecine de Montpellier », Arabesques, 80 | 2015, 24-25.

Référence électronique

Hélène Lorblanchet, « La Bibliothèque universitaire de médecine de Montpellier », Arabesques [En ligne], 80 | 2015, mis en ligne le 19 juin 2019, consulté le 02 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=759

Auteur

Hélène Lorblanchet

Chef du Service du patrimoine écrit et graphique Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier

helene.lorblanchet@univ-montp1.fr

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