Open access : une révolution dans les compétences des bibliothécaires ?

DOI : 10.35562/arabesques.805

p. 12-13

Plan

Texte

Le développement d’actions en faveur de l’ open access constitue-t-il une révolution ou une évolution comme une autre pour les professionnels des bibliothèques ? Quelle est la part de compétences nouvelles ? Peut-on parler de compétences spécifiques au libre accès ?

Il semble possible d’esquisser une typologie des compétences sans pour autant nier le caractère labile de celles-ci. Une compétence s’acquiert, se consolide et peut aussi s’altérer, voire disparaître, et ce, à l’échelle macro (celle du service, voire de l’établissement ou d’un réseau) comme à l’échelle de l’individu.

Typologie et caractérisation des compétences

Les catégories ci-dessous s’appuient sur la classification établie par Dominique Cotte, dans un article traitant de l’évolution des métiers de l’information1. Le propos est moins de dresser une liste exhaustive de savoir-faire et de savoir-être que de définir un cadre plus général pour les appréhender.

Compétences dites « classiques » : elles prolongent des pratiques antérieures. L’évolution peut être dictée par des changements d’outils sans remettre en cause les rôles et fonctions déjà en place. On peut citer l’expertise éditoriale, venant en soutien à d’autres types de compétences : par exemple, afin de pouvoir fournir aux publiants un soutien sur les autorisations de diffusion accordées par les éditeurs de leur discipline et d’anticiper les possibles évolutions des modèles économiques des revues, il faut en amont recenser les éditeurs sur lesquels travailler en priorité dans un domaine. On peut aussi citer les aptitudes en matière de médiation et de transfert de compétences.

Compétences dites « mutantes » : le changement de perspective résultant de l’open access est suffisamment notable pour que le cadre d’intervention des professionnels s’en trouve modifié. Le signalement constitue une illustration de cette dynamique de transposition. En effet, il est toujours question de recourir à des standards et des normes afin de garantir une interopérabilité maximale entre systèmes d’information. Mais le signalement des données produites par les chercheurs requiert le recours à des schémas descriptifs devant tenir compte du caractère plus labile et plus hétérogène que celui de la documentation acquise. Il faut traiter des articles, voire des jeux de données, mais également intégrer des informations relatives aux financements des projets de recherche ayant un impact direct sur le type de diffusion des données à prévoir. Sur un plan organisationnel, les bibliothécaires ont certes déjà l’expérience du travail en réseau. Mais il s’agit désormais d’être en capacité d’animer des réseaux composés de profils encore plus variés, relevant parfois de structures très éloignées tant géographiquement qu’institutionnellement. La logique d’unité de service se trouve modifiée puisqu’il s’agit de travailler au quotidien et, dès le début du projet, avec une large palette d’acteurs. En outre, même s’il s’agit du mode opératoire dominant depuis les années 1990, les compétences en gestion de projet évoluent aussi du fait de leur changement d’échelle. L’objectif est de dépasser la logique d’établissement pour s’inscrire dans un cadre national, voire international.

Compétences dites « innovantes » : le développement du libre accès appelle, notamment de la part des bibliothécaires, l’acquisition de nouvelles compétences juridiques. Certes, les projets open access ne sont pas les seuls à mobiliser un savoir juridique en bibliothèque. Mais, dans ce cadre, les professionnels sont amenés à intégrer à leur analyse les enjeux inhérents aux modes de production de la recherche. Par ailleurs, ces compétences juridiques sont appelées à s’inscrire dans une pratique plus quotidienne excédant le périmètre du comité de pilotage d’un projet, car il devient nécessaire pour les bibliothécaires d’apporter aux auteurs un renseignement juridique de premier niveau. Il ne s’agit pas de se promouvoir juriste, mais d’acquérir un socle de compétences pour orienter l’usager. Au sein des établissements concernés, l’adoption du dépôt électronique des thèses avait déjà permis aux bibliothécaires de s’initier à la prise en charge de ces questions juridiques. Enfin, si les bibliothécaires ont acquis des méthodes pour mieux comprendre les usages documentaires des chercheurs, il leur faut désormais travailler sur le modus operandi des auteurs en fonction de leur discipline et de leur unité de recherche puisque la situation locale a aussi un impact sur leurs pratiques. Il s’agit de caractériser des types de données, d’identifier et d’analyser des processus, des outils et des acteurs.

Image

Marco Fieber / Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Des compétences spécifiques ?

Les compétences qu’on pourrait labelliser « libre accès » ne s’enracinent pas dans la seule technique. Certes, les questions de protocoles et de formats, la conception et la gestion de workflows rendus plus complexes en raison du caractère évolutif des documents traités (preprints, postprints, etc.) font pencher du côté de la technique et des outils. Mais la connaissance du cadre politique et juridique du libre accès est tout autant indispensable. Inversement, des compétences techniques dites « classiques » ou « mutantes » s’avèrent incontournables. La question est finalement moins celle du caractère novateur des compétences que celle de leur organisation au sein d’un service. Moins évoquées que les compétences techniques ou relevant de l’information scientifique et technique, les compétences managériales sont pourtant centrales puisqu’il s’agit d’articuler trois régimes de compétences sur le court, le moyen et le long terme, tout en tenant compte du caractère dynamique de chacune d’elles.

Quel positionnement pour les bibliothécaires ?

La question du niveau de spécialisation à atteindre dans un domaine n’est finalement qu’un dérivé de la question de la légitimité. S’il ne s’agit pas d’un questionnement propre aux projets open access, le phénomène semble accentué par la plus grande diversité des profils des acteurs et par le type de collaborations induites. En effet, si des liens entre unités de recherche et bibliothèques existent déjà (notamment dans le domaine de la politique documentaire et des services), il ne s’agit plus, dans le cadre de projets open access, de consulter régulièrement les chercheurs, mais d’aboutir à une collaboration directe.

Or le positionnement du service documentaire dépend plus fortement encore des forces en présence parmi les services partenaires. Il n’est pas possible de livrer une réponse univoque, mais les outils et la méthodologie du marketing des services documentaires, tels que définis par Jean-Michel Salaün2, constituent autant de ressources. Le propos n’est pas de circonscrire les enjeux liés aux actions open access à des questions de communication, mais les outils issus du marketing peuvent faciliter le processus d’analyse du service documentaire et, de fait, l’aider à clarifier son positionnement par rapport aux services partenaires au sein et à l’extérieur de l’établissement.

La question des compétences s’inscrit au cœur des problématiques d’organisation du travail et a également un impact fort en termes de positionnement par rapport aux services partenaires impliqués dans les projets open access. L’acquisition de compétences spécialisées, qu’elles soient plus ou moins « innovantes », constitue un challenge pour les bibliothécaires et repose sur la capacité à les organiser au sein d’un service afin de tenir compte de leur caractère plastique et de positionner l’ensemble d’une structure documentaire au sein d’un établissement, de réseaux nationaux, voire internationaux.

1 Dominique Cotte, Dominique Lahary, Françoise Genova, Fabien Gandon, Jean Dufour, Christophe Willaert, et al., « Les métiers, entre traditions et

2 Florence Muet, Jean-Michel Salaün, Stratégie marketing des services d’information – Bibliothèques et centres de documentation, Éditions du Cercle

Notes

1 Dominique Cotte, Dominique Lahary, Françoise Genova, Fabien Gandon, Jean Dufour, Christophe Willaert, et al., « Les métiers, entre traditions et modernité », Documentaliste-Sciences de l’Information, vol. 50 (2013), p. 42–59.

2 Florence Muet, Jean-Michel Salaün, Stratégie marketing des services d’information – Bibliothèques et centres de documentation, Éditions du Cercle de la Librairie, 2007.

Illustrations

Marco Fieber / Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Citer cet article

Référence papier

Sabrina Granger, « Open access : une révolution dans les compétences des bibliothécaires ? », Arabesques, 79 | 2015, 12-13.

Référence électronique

Sabrina Granger, « Open access : une révolution dans les compétences des bibliothécaires ? », Arabesques [En ligne], 79 | 2015, mis en ligne le 07 août 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=805

Auteur

Sabrina Granger

Responsable de l’Urfist de Bordeaux

sabrina.granger@u-bordeaux.fr

Autres ressources du même auteur

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0