Bibliothèques garanties 100 % open access

DOI : 10.35562/arabesques.804

p. 10-11

Plan

Texte

Le développement des archives ouvertes signe une étape clé dans les relations entre le monde de la recherche et celui des bibliothèques. Décryptage.

La contribution des bibliothèques à l’open access est une activité encore assez récente qui s’intègre dans une démarche plus générale d’extension du périmètre de l’action des bibliothèques : le mouvement de fond qui opère le passage de l’activité d’acquisition de documents produits par le système éditorial traditionnel à celle de collecte de matériaux pour la recherche et de gestion des productions intellectuelles de l’Université est un déplacement tectonique qui redessine les périmètres et les modalités d’action de la bibliothèque comme la hiérarchie de ses priorités et de ses compétences.

Quand on fera l’histoire de cette transition permise par le numérique – encore à ses débuts, nous le voyons bien – il est possible que l’on date ce passage lors de la mise en place des archives ouvertes et du rôle nouveau que les bibliothèques y ont pris, pratiquement dès le début. De fait, le moment cardinal de cette transition n’est pas, comme on pourrait le penser, l’irruption et le développement rapide des ressources électroniques, même si la constitution de cette offre a profondément modifié le rapport à la collection. Observons que rien ne change vraiment dans le modèle ; les bibliothécaires font ce qu’ils savent faire : acquérir une documentation sur la base d’abonnements, forfaitaires le plus souvent, qu’ils délivrent à la communauté de leurs usagers. Une chose, néanmoins, change radicalement et fait vaciller le système : les bibliothèques ne sont plus propriétaires de ces ressources, mais titulaires d’un droit d’accès et d’usage, ce qui fragilise leur base traditionnelle.

Une initiative de la recherche relayée par les bibliothèques

Mais le vrai changement de posture vient de la contribution à la collecte, au signalement, à la diffusion, promotion et conservation des produits de la recherche au premier rang desquels figurent les publications. L’initiative en la matière ne vient pas, en France, du monde des bibliothèques, mais de celui de la recherche et de ses services d’appui. Le Centre de communication scientifique directe (CCSD / CNRS) prend rapidement une avance dans ce domaine en visant, dès le début, la création d’une application de niveau national, à la différence de ce qui se passe dans pratiquement tous les pays étrangers. Il est sain que l’initiative soit issue des milieux de la recherche, même si le dépôt des publications dans des répertoires d’archives ouvertes progresse lentement dans le milieu des chercheurs souvent sceptiques, sinon méfiants, à l’égard des grands outils collectifs et de tout ce qu’ils assimilent – à tort en l’occurrence quand il s’agit de déposer leurs articles dans celles-ci – à du travail « administratif ». Les bibliothécaires ont vite vu l’intérêt des archives ouvertes et le rôle qui pouvait être le leur. Souvent, les premières initiatives sont parties du corpus des thèses, publications directement gérées par les bibliothèques et pour ainsi dire « à leur main » ; les premiers répertoires d’archives ouvertes gérées par les bibliothèques étaient des répertoires de thèses, ce qui n’était pas la meilleure façon d’aborder le monde des chercheurs tant la thèse peut être méjugée par eux qui n’ont d’yeux que pour l’article paru dans une revue à comité de lecture. Comme souvent à chaque étape de la relation chercheur/bibliothécaire, nous nous heurtons à une différence d’approche fondamentale, le bibliothécaire parlant « collectif, transversal et partagé » au chercheur qui lui répond « singulier, communautaire et spécifique ». Le bibliothécaire doit donc apprendre à « débrayer » ses outils pour coller aux attentes et pratiques.

En France, les répertoires d’archives ouvertes sont de deux types : il s’agit soit de « vues » sur Hal1 (la grande majorité), soit de plateformes indépendantes, les archives ouvertes d’établissement (AIE) comme en gèrent Dauphine, Sciences Po, l’Institut national polytechnique de Toulouse, l’Ifremer, etc. Dans le deuxième cas, les établissements ont fait le choix de gérer en direct leur archive ouverte et de l’adapter aux besoins de la politique éditoriale de leurs institutions comme aux priorités des chercheurs. Ainsi, l’archive ouverte Spire2 de Sciences Po est-elle capable de réaliser, pour chaque centre de recherche, l’extraction automatique des listes de publications demandées par les organismes d’évaluation.

Image

WordShore / Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Un protocole d’accord à consolider

Le protocole d’accord sur les archives ouvertes, signé en septembre 2012 entre universités et organismes de recherche, comprend plusieurs éléments importants : il affirme la volonté de développer et promouvoir l’open access en France au travers d’un outil à vocation nationale ; il souligne la responsabilité des chercheurs dans la construction d’un nouveau dispositif de communication scientifique (scholarly communication) ; il reconnaît enfin la pluralité du paysage en matière d’archives ouvertes, c’est-à-dire la capacité des établissements d’enseignement et de recherche à construire leur propre archive ouverte et à pousser leurs publications dans le répertoire national.

Trois ans après, le constat est amer : Hal n’a pas obtenu les moyens humains nécessaires à son développement ; les outils de structuration et de régulation des rapports entre les producteurs/clients de l’archive sont encore à construire (cf. le rapport Bauin3). Le système marche difficilement et les archives ouvertes d’établissement se développeront très certainement à l’avenir pour de multiples raisons, notamment pour leurs capacités à s’adapter aux critères locaux d’éditorialisation et valorisation.

La « voie dorée » en questions

Nous n’avons évoqué ici que ce qu’il est convenu d’appeler « la voie verte » (green open access) qui consiste à collecter et diffuser des publications – preprints et postprints – en leur appliquant les règles d’embargo élaborées par les éditeurs.

Concernant l’autre manière de développer l’accès libre, la « voie dorée » (gold open access) s’accompagne des fameux APC (Article processing charges) à payer par l’auteur ou son institution pour une publication directe en open access via l’entremise d’un éditeur. La discussion fait rage autour de ce système qui, comme le fait remarquer très justement la Direction de l’Information scientifique et technique du CNRS dans un rapport récent4, n’est pas équivalente et interchangeable sans coût supplémentaire avec le modèle de l’abonnement. Dans le cadre de cette « voie dorée », la bibliothèque n’a quasiment aucune part et le chercheur gère en direct sa publication avec l’éditeur. Toutefois, les questions d’archivage pérenne et de stockage des publications demeurent posées. Il n’est pas du tout certain qu’à l’avenir ce modèle adopté par le Royaume-Uni et les Pays-Bas devienne majoritaire et moins encore qu’il devienne la modalité prépondérante de la communication scientifique en accès libre. Il semble que nous, chercheurs et bibliothécaires, avons été instruits des déboires liés à des situations de dépendance à l’égard de monopoles. L’Internet est d’abord le territoire du divers et du local réticulé. Ne nous fourvoyons pas dans de grands systèmes propriétaires et œuvrons plutôt pour le développement soutenable réparti et maîtrisé de la communication scientifique dans lequel les producteurs et leurs services de soutien conservent une capacité d’initiative et d’autonomie.

L’avenir du métier de bibliothécaire est dans la promotion de dispositifs de ce type auxquels les bibliothèques doivent contribuer par des campagnes de sensibilisation, des projets concrets impliquant des chercheurs et une expertise sans faille dans les modalités techniques et juridiques de gestion de tels systèmes.

Notes

1 Hal permet l’ouverture d’une page sous le label de l’institution qui fait les dépôts. Retour au texte

2 http://spire.sciencespo.fr Retour au texte

3 L’open access à moyen terme : une feuille de route pour Hal, rapport de Serge Bauin, chargé de mission pour le libre accès, DIST/CNRS, septembre 2014 : http://corist-shs.cnrs.fr/Rapport_HAL_DIST_2014 Retour au texte

4 Financer la publication scientifique : « le lecteur » et /ou « l’auteur », évolutions, alternatives, observations de la DIST : http://www.cnrs.fr/dist/z-outils/documents/Distinfo2/DISTetude3.pdf Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

François Cavalier, « Bibliothèques garanties 100 % open access », Arabesques, 79 | 2015, 10-11.

Référence électronique

François Cavalier, « Bibliothèques garanties 100 % open access », Arabesques [En ligne], 79 | 2015, mis en ligne le 07 août 2019, consulté le 06 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=804

Auteur

François Cavalier

Directeur de la Bibliothèque de Sciences Po Paris

francois.cavalier@sciencespo.fr

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