« Avant le langage, communication et développement cognitif du petit enfant »

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Editor's notes

Marie-Paule Thollon-Behar, Docteur en psychologie, chercheur au Laboratoire de psychologie génétique de terrain de l’Université Lumière Lyon 2, enseigne la psychologie aux professionnels « petite-enfance » à l’école Rockefeller de Lyon. Son livre est édité chez L’Harmattan, 1997. Propos recueillis par Monique Charles.

Text

Canal Psy : Comment êtes-vous venue à poser la question des relations existant entre le développement cognitif du petit enfant et la communication ?

Marie-Paule Thollon-Behar : En lisant la littérature, je me suis rendu compte qu’il y avait peu de choses sur cette question. Des travaux existaient sur la communication du point de vue linguistique mais on avait peu exploré la communication du point de vue cognitif. On s’était posé la question du moment où la communication devient intentionnelle mais on n’avait pas étudié l’évolution de la communication dans le cadre de la vie quotidienne de l’enfant…

Canal Psy : Quelles hypothèses ont initié votre recherche ?

Marie-Paule Thollon-Behar : L’hypothèse est que le lien entre le développement cognitif et la communication est double. D’une part, il faut que l’enfant ait atteint un certain niveau de développement cognitif. Cette question avait déjà été étudiée. En revanche, l’autre hypothèse était que le développement de la communication avait un impact sur le développement cognitif et cet aspect avait été peu considéré. L’enfant construit aussi ses connaissances par l’intermédiaire des communications.

Canal Psy : Quelle méthode de recueil de données avez-vous utilisée ?

Marie-Paule Thollon-Behar : C’est une méthode qui n’est pas très à la mode en ce moment. Elle consiste en une observation longitudinale d’enfants dans le cadre de leur vie quotidienne par l’intermédiaire de leur mère. J’ai choisi cette méthode parce que les travaux de laboratoire que l’on trouve transmis par la littérature renvoient toujours à des situations où l’enfant est en train de lire un livre avec sa mère, on est en train de jouer. En fait, je me suis rendu compte que cela introduisait un biais : on observe toujours le même type de communication. Les situations de la vie quotidienne comme les situations de séparation ou relatives à la nourriture impliquent d’autres choses que ce qui se passe dans le cadre des jeux.

Canal Psy : Relativement à Piaget, Vygotski, comment vous situez-vous ?

Marie-Paule Thollon-Behar : J’espère avoir pu compléter les théories de Piaget par l’introduction de l’axe de la communication. C’est quelque chose qu’on lui reproche beaucoup de ne pas avoir étudié. Par rapport à Vygotski, j’ai essayé de montrer qu’il faut aussi prendre en compte les facteurs internes à l’enfant. Il n’est pas uniquement le récepteur d’une certaine culture qu’il s’approprie mais il joue un rôle actif qui ne passe pas uniquement par la communication. Il y a d’autres voies d’accès au développement cognitif. Ce n’est pas uniquement par le langage que l’enfant construit sa pensée.

Canal Psy : Quels rôles attribuez-vous à ce que vous désignez comme « schèmes sociaux » ?

Marie-Paule Thollon-Behar : La notion de schème social a été construite pour conceptualiser un certain type de conduites. Elles renvoient concrètement à des sons, des gestes, des mots. Le terme de schème signifie que ces conduites sont bien des actions et même des abstractions par rapport à l’activité des enfants. Ces schèmes sont créés par l’enfant ou tirés du répertoire de l’adulte. Je parle de schème social parce que, contrairement au schème de Piaget, leur signification se construit dans l’interaction. Alors que dans le schème d’action, la signification se construit par rapport au réel.

Canal Psy : Il y a donc une interaction entre le développement du cognitif et la communication. Est-ce que ce fait remet pour vous en question l’approche de Piaget ?

Marie-Paule Thollon-Behar : C’est compliqué. Piaget, en fait, à mon avis et en le relisant régulièrement, n’a jamais nié le rôle de l’interaction. Piaget a étudié les interactions avec le milieu et le milieu comporte des personnes. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de n’avoir pas étudié spécifiquement le rôle des personnes. Je pense que les personnes jouent un rôle particulier dans cette interaction.

Canal Psy : Est-ce que votre approche donne de nouveaux aperçus sur les relations entre le développement cognitif et affectif de l’enfant ?

Marie-Paule Thollon-Behar : Il faudrait approfondir ces questions-là. Mon propos était d’étudier le développement cognitif. Mais les situations que j’ai repérées correspondent à des thèmes qui marquent de façon importante le développement affectif. La séparation, le non, la nourriture renvoient chaque fois à une dimension affective. Je rejoindrais la question de l’affectivité par le biais de la théorie de Bion : l’importance de l’interprétation des affects de l’enfant se retrouve dans mon approche, mais au niveau conscient. J’ai étudié cette dimension alors que l’affectif reconduit aussi à tout un registre inconscient.

Canal Psy : Comment voyez-vous les retombées concrètes de votre travail ?

Marie-Paule Thollon-Behar : En collectivité, l’enfant n’est pas assez perçu comme objet, on se centre sur le groupe. Mettre les professionnels de la petite enfance en situation d’observation de la communication serait un moyen de leur faire prendre conscience de l’existence de cette communication et de sa portée dans le développement cognitif.

References

Bibliographical reference

Marie-Paule Thollon-Behar and Monique Charles, « « Avant le langage, communication et développement cognitif du petit enfant » », Canal Psy, 32 | 1998, 16.

Electronic reference

Marie-Paule Thollon-Behar and Monique Charles, « « Avant le langage, communication et développement cognitif du petit enfant » », Canal Psy [Online], 32 | 1998, Online since 16 juillet 2021, connection on 24 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2236

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Marie-Paule Thollon-Behar

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