Le livre1 de Sidney Cohen, psychiatre et psychanalyste, nous fait vivre le suivi d’une patiente, Pauline, dont on sait dès les premières pages, qu’elle se suicide. Ce récit nous emporte en nous plongeant dans cet accompagnement, nourri d’espoirs, d’irritations, de découragements, d’enthousiasme. Au fil des pages, on se surprend à ressentir les émotions de l’auteur. Outre l’écriture captivante, l’auteur nous donne à lire un possible support pédagogique, qui fait la part belle à sa pratique professionnelle traversée par le doute, les questionnements, les remises en cause. Une posture éloignée de l’expertise, dont on nous rebat trop souvent les oreilles. Les premières lignes de son livre en donne le ton : « Comment suivre Pauline ? Suivre, on le dit d’un médecin pour son patient. Mais avec Pauline la suivre, cela voulait dire courir derrière elle ou s’accrocher à sa roue pour rester en sa compagnie, ne pas être lâché ni la lâcher sur le long parcours que nous avions entrepris de faire ensemble, un parcours frénétique, chaotique, à donner parfois le vertige ». Nous vous proposons un entretien avec cet auteur, qui fut pendant de nombreuses années, responsable d’une unité de psychothérapie psychanalytique de service public, le PARI, ou Pauline a été suivie.
Bruno Cuvillier
Jean-Marc Talpin : Vous présentez dans votre ouvrage dans une forme littéraire le suivi de cette patiente Pauline qui vous a particulièrement marqué. Ce suivi s’est réalisé il y a plus de 30 ans. Je souhaitais que vous puissiez nous éclairer sur l’envie ou le besoin que vous avez eu de revenir sur cet accompagnement ?
Sydney Cohen : Ce besoin est venu de deux choses. D’une part de la fin tragique de Pauline qui avait laissé en moi une trace vive et douloureuse, d’autre part du travail qui avait été fait avec elle qui m’était apparu comme vraiment riche. Il méritait d’être rapporté, je pense, autant pour sa difficulté, avec les nombreux écueils que nous avons rencontrés et la façon dont j’ai été mis fortement à l’épreuve, que pour l’intérêt que pouvait susciter la prise en charge d’une patiente comme elle à la personnalité si riche et si complexe. Elle présentait quelque chose de très paradoxal, avec d’un côté une grande instabilité, de l’autre elle m’apparaissait comme de grande intelligence et d’une grande finesse avec beaucoup de ressources et de potentialités. Cela a suscité chez moi des mouvements internes assez contradictoires. Comme je l’évoque dans le livre, j’étais au départ plutôt dans une sorte de tiédeur vis-à-vis de cette prise en charge. J’avais à l’époque un passé de psychiatre plus que de psychanalyste, et les patients de ce genre, toxicomaniaques, instables, constamment dans le passage à l’acte, j’en avais déjà une large expérience. On savait qu’on n’allait pas pouvoir faire grand-chose avec eux parce qu’ils ne faisaient que passer chez nous, on les voyait souvent vite disparaître, ils allaient parfois parcourir la France entière allant d’une institution à une autre. Au départ j’étais donc très sceptique sur une possibilité de prise en charge. Quand elle m’a annoncé qu’elle était professeure de lycée, ce qui ne correspondait pas du tout au reste du tableau qu’elle me donnait à voir, ce paradoxe m’a intéressé. Par la suite, un peu contrairement à mes attentes, la relation s’est installée et Pauline a suivi plutôt régulièrement ses séances. Le parcours a été très riche et j’ai vu s’opérer des changements importants. C’était une grande toxicomane, elle se piquait à l’héroïne régulièrement. Elle avait essayé tous les cocktails possibles et imaginables de drogue de la manière la plus violente et morbide. Au cours de notre travail elle a pu abandonner sa toxicomanie, ce qui est assez rare. Elle a tenté beaucoup de choses à ce moment-là pour en sortir, comme renouer avec ses parents avec lesquels elle avait rompu depuis très longtemps, se raccrocher autant qu’elle le pouvait à son travail, enfin s’arracher avec beaucoup de difficulté de la relation d’emprise dans laquelle elle était avec son compagnon. Je me sentais comme partie prenante de ce processus. Son suicide a été le seul suicide que j’ai connu dans toute ma carrière en cours de traitement.
À la suite de ce suicide, j’ai immédiatement eu l’idée qu’il fallait que j’en écrive quelque chose. J’avais écrit très vite la première page de ce livre, mais elle est restée en attente de sa suite pendant 30 ou 35 ans. Je ne suis pas allé plus loin, j’avais quelques notes que je prenais après nos séances. Pour les deux raisons que j’ai invoquées, l’idée d’en écrire quelque chose me trottait dans la tête mais ça n’allait pas plus loin. La première phrase du récit : « Pauline est morte. Certainement mais qui peut le savoir, elle était seule. » résume tout son drame. Ça attendait la suite… cette phrase est le début de cette sorte d’épilogue qui correspond à la page que j’avais pratiquement écrite d’emblée.
Pour raconter ce drame, j’avais plutôt envie de l’écrire sur un mode un peu littéraire, mais le temps passant, je n’y croyais plus beaucoup. Et puis à la fin de ma carrière, quand j’ai nettement réduit mon travail d’analyste, j’ai ressenti, dans cette période de bilan qu’elle constitue et pendant laquelle on prend ses distances, j’ai eu très envie de restituer quelque chose de ma pratique dans son ensemble, cette pratique qui m’avait beaucoup apporté.
Alors c’est Pauline qui s’est imposée à moi et je me suis lancé pendant plusieurs mois dans l’écriture. J’avais envie de rendre compte de cette pratique, en utilisant donc un langage qui soit lisible par tous, notamment par des personnes qui n’étaient pas psychanalystes. Il m’est arrivé de faire des interventions à l’université inter-âges, auprès des étudiants, des lycéens, j’ai alors eu beaucoup de plaisir à cela alors que ce n’était pas simple comme exercice. J’ai trouvé enrichissant d’essayer de rendre compte de ce qui généralement était travaillé au niveau de la théorie et de ses concepts souvent abstraits et ardus dans un langage audible par tout le monde. Je trouvais même que ce genre d’exercice était nécessaire pour un psychanalyste à la fois pour sa propre gouverne, clarifier par ce biais ses propres concepts implicites, et pour la transmission. Les psychanalystes ne l’ont pas suffisamment fait à mon sens. Je pense qu’ils le payent cher à présent. Ils ont pensé qu’il n’était pas nécessaire d’aller se faire comprendre ailleurs qu’entre eux. Si les autres voulaient comprendre, il fallait pénétrer leur domaine, « Faites-vous psychanalyser ! » disait-on, il y avait là beaucoup d’arrogance. Ou bien ça relevait de l’injonction religieuse, qui présuppose une pratique pour comprendre.
J-M. T. : Vous avez souhaité finalement vous adresser à des personnes qui n’étaient pas familière avec la psychanalyse en utilisant le langage pour rendre compte d’une pratique avec en même temps toute la rigueur nécessaire ?
S.C. : C’est à dire qu’en effet la référence implicite à la théorie n’est jamais abandonnée et j’essaie souvent d’expliciter en langage clair ce qui est si obscure, comme les notions de transfert, de pulsion, d’inconscient, etc., mais je trouve anormal qu’on ne puisse pas traduire tout cela dans un langage accessible à n’importe qui. La psychanalyse au fond n’est bien sûr qu’une expérience humaine et comme toutes les expériences humaines on doit pouvoir en rendre compte de façon compréhensible.
Elle a certes un caractère exceptionnel qui ne ressemble à rien d’autre, car elle se déroule dans un cadre qui met en scène 2 personnes de façon particulière. L’une va venir raconter toute son histoire, parler de tout ce qui lui passe par la tête et l’autre a le souci de ne travailler que son écoute. C’est quelque chose de tout à fait insolite. On l’a souvent comparé à la confession ou à une profonde confidence avec des amis de confiance. Mais si on y regarde bien, on est loin de cela, cette position nécessite beaucoup de travail finalement. Écouter sans jugement, sans critique, sans conseil, sans agir, une écoute qui se déleste de tous les à priori et qui ne se donne qu’un but : que tout reste ouvert vers ce qui est imprévisible ou inconnu au détour d’une pensée qu’on laisse librement vaquer. Cette position n’est pas facile à garder. Avec Pauline par exemple, c’était une situation limite, parce qu’elle me poussait sans cesse à sortir de cette position-là. Et la question était, comment la conserver sans tomber dans une raideur glaciale.
J-M. T. : Est-ce que cet assouplissement du cadre a pu avoir une influence sur votre position de thérapeute par la suite ?
S.C. : À l’époque de Pauline, la psychanalyse régnait sur de nombreux courants de pensée et nombreuses étaient les règles sur l’attitude que devait avoir le psychanalyste. Le dogme régnait. Il y avait toutefois des débats importants au sein de la psychanalyse sur la notion de silence de l’analyste, qui était, dans certaines écoles, une sorte de prescription quasi religieuse considérée comme incontournable. Elle a abouti à des pratiques où le psychanalyste pouvait rester silencieux pendant des mois, voire des années. Pour ma part j’ai toujours pensé qu’on ne pouvait soutenir longtemps une écoute véritable en restant silencieux. L’écoute doit se faire nécessairement dans une certaine tension, qui résulte de l’injonction interne qu’à un moment ou un autre il va falloir qu’on intervienne, qu’on trouve des liens, qu’on fasse écho à ce que le sujet est en train de dire. Si on n’a pas cette sorte d’injonction interne, si on se cantonne au silence, on n’écoute plus. On a plus aucune contrainte pour garder une certaine attention, ça me paraît tout à fait humain cette histoire-là.
Par ailleurs pour répondre à votre question, il nous faut parler du cadre dans lequel Pauline a été prise en charge. C’était une institution que l’on avait créée de toute pièce, et que nous avions appelé un peu par défi le PARI, Psychothérapie, Application, Recherche, Intersectorielle. Nous étions un groupe de jeunes psychologues ou psychiatres qui avaient une sensibilité analytique. Notre pari était de créer dans un cadre public les conditions de ce qui se pratique généralement en privé qui, lui, offre un cadre très intime, mais notamment de faire des psychothérapies psychanalytiques gratuites. On sait à quel point la question du paiement a été considérée comme importante pour le maintien d’un certain investissement, c’est le cas de le dire, j’en suis moi-même convaincu. Mais ma longue expérience de 35 ans dans ce service m’a tout autant convaincu que cette gratuité, si elle rendait les choses moins faciles, car le sujet n’est pas tenu par le paiement, n’était pas un obstacle rédhibitoire à partir du moment où une certaine accroche s’était faite avec le patient. C’est ce qui s’est passé avec Pauline, malgré son instabilité, malgré ses tendances au passage à l’acte, le lien qui s’est établi avait suffisamment de force pour se maintenir malgré tous les aléas, et ils étaient nombreux, et a permis de poursuivre assez longtemps ce travail.
Ajoutons au sujet du cadre un point : Pauline a dû avoir recours également à des hospitalisations et à des traitements, autant pour ses cures de désintoxication que par rapport à ses tentatives de suicide. Une prise en charge conjointe est aussi une expérience. Elle a été facilitée du fait qu’il s’agissait d’un rapport entre institutions. De plus, au sein de l’hôpital public, j’avais pour interlocuteur un médecin qui respectait grandement le travail de psychanalyse, ce qui a permis un fonctionnement plus fluide, moins de rivalité qui peut être ravageuse pour le patient. Au sein de ce cadre général malgré tous les événements qui ont émaillé la cure, je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup dérogé à ma position d’analyste. Je suis toujours resté dans une position privilégiant l’écoute, une position non prescriptive, celle-là je la laissais à d’autres. À propos de cette position, au passage, je ne fais pas trop de distinction entre ce qui est psychothérapie et ce qui est psychanalyse. Il s’agit de la même écoute.
Juste une petite digression qui m’écarte de Pauline. Je me souviens très bien d’un patient psychotique que j’avais suivi pendant longtemps, conjointement avec un psychiatre de secteur qui faisait les prescriptions médicamenteuses absolument nécessaires (neuroleptiques). Lors des visites chez moi, ce patient avait très bien compris la différence entre nous. Il savait très bien que j’étais là pour écouter tout ce qu’il pouvait me dire de ses fantaisies délirantes, en revanche avec le collègue il se gardait de dire les mêmes choses car il savait que ça allait occasionner plus de traitement !
C’est Pauline elle-même qui, un jour où elle était hospitalisée, même si elle était prise entre deux mouvements contradictoires, a préféré que je n’aille pas la voir, voulant sauvegarder notre cadre relationnel. Mais à côté de cela j’ai pu manifester soit une certaine empathie à des moments ou adopter des attitudes de fermeté à d’autres, notamment quand elle venait complètement imprégnée de drogue.
J-M. T. : Dans ce livre vous donnez accès à votre pratique de thérapeute, vos doutes, vos craintes, voire vos agacements par moment lors de cette prise en charge. C’est assez rare ce dévoilement chez un analyste. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller aussi loin dans le dévoilement ?
S.C. : Comme vous le constatez, ce dévoilement se fait au niveau de mes questionnements et des émotions que je livre dans l’écrit mais pas à Pauline bien sûr. C’est une différence parce qu’il y a pas mal de méthodes psychothérapeutiques, notamment aux États-Unis, où le thérapeute livre ses colères ou ses joies au patient en lui disant : « Ce que vous faites, ce que vous dites, voilà ce que ça me fait… » quitte à raconter sa vie ! L’un des motifs de ce dévoilement dans l’écriture avec le choix de Pauline, c’est que tout ce qui s’est passé avec elle l’a été dans l’excès, que ce soit chez elle ou chez moi. On pourrait dire que cette expérience avec elle constitue un fort grossissement de ce qui peut se passer dans tout travail de ce genre d’allure plus banal. Chez elle, comme il est poussé à l’excès, tout est plus visible. Je pense que tous ces questionnements et ces émois nous traversent tout le temps dans le travail, car c’est bien avec notre subjectivité que nous travaillons même si nous nous attachons à en diminuer les effets, sauf que ça prend des dimensions moins importantes et que ce sont des mouvements plus fugitifs. On ne s’attarde pas dessus mais ça existe et c’est certainement quelque chose qui influe sur notre façon d’écouter ou d’intervenir, d’où l’importance qu’il y a à en prendre conscience ; Pauline me donnait l’occasion de rendre compte de ça. Ce travail aux limites soulevait des questions fondamentales que l’on se pose toujours peu ou prou mais ici avec force. Il suscitait des doutes sur ce que je faisais : pourquoi vouloir faire progresser quelqu’un, le faire avancer quand en lui tant de forces s’y opposent. Où le mène-t-on ? Parce que malgré toute notre retenue sur ces intentions, elles sont là.
C’est également le cas, je pense, pour d’autres métiers de la relation, comme les éducateurs ou ceux qui interviennent dans le monde du travail. On se demande toujours à un moment ou un autre quel sens cela peut avoir de s’acharner à essayer d’aider quelqu’un, à le faire sortir de ses ornières, à désirer pour lui. Pauline me décourageait parfois complètement. Elle retombait dans les mêmes échecs, les mêmes difficultés et j’ai souvent eu l’impression de revenir à la case départ.
Mais, pour revenir à l’écrit, il faut convenir que la dimension légèrement romancée, un peu stylisée que j’ai adoptée a peut-être accentué les choses, c’est je crois le propre de toute écriture. Le simple fait de traduire en mots les choses vécues, ressenties, leur donne corps, les fixe alors qu’autrement elles seraient beaucoup plus fugaces, à peine perceptibles.
J-M. T. : Qu’est-ce que vous souhaitez ajouter à ce que vous avez pu dire ? Je me demandais pourquoi ce choix de Pauline car des patients vous avez dû en croiser beaucoup pendant 35 ans ?
S.C. : Pourquoi Pauline ? J’ai effectivement croisé beaucoup de patients, certains pour lesquels j’ai écrit des articles pour des revues, ou encore fait des exposés cliniques. Comme je l’ai dit c’était le seul suicide de ma carrière, elle a donc laissé une marque particulière avec la nécessité d’y revenir pour y réfléchir encore et encore. Cela ne m’avait pas lâché. Avouons-le, la fin tragique d’une histoire nous capte, nous tient car elle nous ramène à nos questions fondamentales sur notre condition. Je le reconnais un peu à la fin du livre. C’est ce qui fait le succès du théâtre tragique, il nous prend davantage qu’une pièce légère. Il y a eu dans cet accompagnement un mouvement, une oscillation entre espoir et désespoir. C’était aussi le drame que je vivais avec elle. Je crois qu’on le retrouve dans le livre et ça participe du suspens qu’il y a. Cela m’a beaucoup accroché pour écrire. Beaucoup de personnes qui ont lu ce livre m’ont fait cette remarque : « On savait que Pauline était morte mais plus on avançait dans ton livre et plus on se disait que peut-être que cela n’allait pas se passer comme c’était annoncé ». Je me suis laissé prendre aussi au jeu de l’écriture et je vous avoue qu’à un moment je n’avais pas envie de finir ce livre car je n’avais pas envie d’en arriver à parler de sa mort. L’annonce de sa mort est faite au début presque pour m’en débarrasser dans l’histoire, mais plus j’avançais dans l’écriture et plus j’avais besoin de repousser la fin de ce livre, comme si c’était pour la faire vivre encore. Ça donne toute la mesure de l’attachement que j’ai éprouvé, je l’avoue, pour elle.
J-M. T. : Comment vous aimeriez que votre livre soit reçu ?
S.C. : Bien ! Évidemment ! Mais au-delà de cela, ce qui m’a fait le plus plaisir dans les témoignages que j’ai pu recevoir, ce sont ceux des enseignants qui m’ont dit qu’ils voulaient le faire travailler avec leurs étudiants. C’est une motivation que je n’avais pas au départ. J’avais seulement envie de restituer quelque chose de ma pratique comme je l’ai dit. Mais cette idée de la transmission m’est apparue comme vraiment essentielle. C’est finalement l’objet principal de ce travail : trouver le langage de la transmission. La psychanalyse est menacée, elle a perdu beaucoup de son aura et de terrain dans le champ intellectuel universitaire. On peut dire qu’elle l’a un peu cherché du fait de son caractère un peu hautain et hermétique, du fait qu’elle n’a pas cherché à se mettre à la portée des gens. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, comme c’est le cas actuellement. Je trouve que c’est injuste. La psychanalyse a inauguré un type d’écoute que j’estime unique et qui ouvre d’immense possibilité pour entendre la douleur et la souffrance intime. C’est ce qu’il y a à garder de la psychanalyse et à quoi je tiens beaucoup. On a aussi un peu vite oublié que la psychanalyse a rendu d’immenses services à la psychiatrie en étant à la pointe des réflexions qui ont été portée sur ce qu’on a appelé la psychothérapie institutionnelle et qui a fait sortir la psychiatrie de son archaïsme.
Il faut d’un autre côté qu’elle évolue, notamment que le psychanalyste sorte de sa tour d’ivoire. Je crois que c’est ce que j’ai essayé à mon modeste niveau en tentant de livrer ma part intime et en montrant que l’analyste est comme tout le monde. Montrer ce qu’il peut vivre ne nous discrédite en rien, bien au contraire. En revanche, chercher à protéger une image de neutralité à toute épreuve nous pénalise car on en perd un peu de notre dimension simplement humaine.
Enfin j’ai conscience qu’en choisissant un cas à l’issue aussi tragique j’ai pris le grand risque de discréditer cette approche, mais j’ai aussi voulu soulever de front la difficile question de l’échec thérapeutique. Celui-ci peut paraitre évident en regard de l’issue. Il l’est beaucoup moins au vu de tout ce que Pauline a pu réaliser au cours de ces quatre années de travail psychothérapique, elle qui venait de très loin. Elle partait d’une situation de désastre total dans sa vie (vie familiale et vie relationnelle ravageuses, toxicomanie grave, instabilité destructrice, etc.). La question des pouvoirs et limites de l’action thérapeutique, dans son ensemble d’ailleurs, rappelons qu’elle a été conjointe entre les actions médicale, sociale et psychothérapique, cette question capitale est ainsi posée.