Notes de la rédaction

À l’occasion de la parution d’un ouvrage écrit en commun avec Annik Houel et Helga Sobota, Crimes passionnel, crime ordinaire (Paris, PUF), Canal Psy a rencontré et interviewé Patricia Mercader. Interview réalisée par Noëlle D’Adamo et Anne-Claire Froger.

Texte

Canal Psy : À quelle filiation peut-on dire que votre ouvrage appartient ? Où s’inscrit cette recherche dans les champs des théories ?

Patricia Mercader : Je pourrai citer deux filiations essentielles. La première est l’ensemble des recherches portant sur la question du genre c’est-à-dire sur la situation dissymétrique faite aux hommes et aux femmes dans les sociétés en général et la société occidentale en particulier. Ces recherches ont été, depuis les années soixante, surtout des recherches historiques et sociologiques. Il y a eu moins de travaux en psychologie parce que la psychologie, par rapport à cette question, est dans une situation particulière puisque du côté qui confine à la sociologie on pense qu’il y a des déterminations acquises et liées à l’inégalité des sexes qui entraînent des comportements sexués particuliers.

Et d’un autre côté, dans la pensée clinique et notamment en ce qu’elle touche avec la pulsion aux confins du somatique, on a tendance à penser plutôt que les dissymétries entre hommes et femmes sont liées à des déterminants inconscients et notamment à des problématiques infantiles qui sont articulées autour de la confrontation à la différence des sexes et des générations.

Donc, la psychologie se trouve dans une situation un peu ambiguë, en difficulté en tout cas par rapport à cette question. Il n’empêche qu’il y a eu toute une série de travaux sur ces questions en général et en particulier autour des représentations sociales des hommes et des femmes et de leur fonction dans la société. J’aurai volontiers dit qu’une « grande mère » de notre travail est Françoise Héritier, l’anthropologue avec tout ce qu’elle a fait sur la pensée de la différence dans toutes sortes de sociétés.

Il y a aussi une lignée analyse de discours : toute une série de travaux qui portent sur les discours, les discours sociaux. Je citerai Foucault avec sa notion de construit social, de condition de production du discours, d’épistémè. Et puis Greimas avec sa notion d’analyse structurelle du récit et Roland Barthes et aussi, bien sûr, les travaux de Serge Moscovici et Denise Jodelet sur les représentations sociales.

C’est au croisement de ces deux grandes lignées que nous avons réalisé ce travail. Il faut savoir que ça n’est pas le seul de nos travaux qui s’inscrit dans cette ligne : Annik Houel a fait des études de textes sur la question de l’adultère et de l’amour. Soit de textes populaires avec le roman rose, soit de texte de la littérature féminine plus reconnue. J’ai fait dans mon étude sur le transsexualisme plusieurs études de textes soit juridiques, soit autobiographiques, soit théoriques. C’est quelque chose qui est dans nos pratiques habituelles.

Canal Psy : Et quels ont été les moteurs de cette recherche ?

Patricia Mercader : C’est toujours très compliqué. Devereux a dit : « la recherche est un aveu autobiographique ». En fait, nous sommes une équipe qui travaille depuis longtemps ensemble. Ça n’est pas notre premier livre ensemble : on a fait des actes de colloques il y a longtemps et aussi nous avons participé à une recherche qui s’appelait : Chronique d’une passion, histoire du mouvement des femmes à Lyon.

Et vous pouvez voir que le terme de passion est déjà là : la passion nous intéresse. Et nous avions envie de continuer à travailler ensemble. Et cette question de la passion traverse les réflexions de chacune de nous trois de même que la question du passage à l’acte : Annik Houel a travaillé sur l’amour et notamment l’adultère avec lequel le lien avec le crime passionnel est évident, j’ai travaillé sur le changement de sexe avec le passage à l’acte et l’atteinte à la chair, Helga Sobota s’est beaucoup investie dans la recherche sur le mouvement des femmes du côté politique et sociologique. Ce livre s’inscrit donc dans une trajectoire à la fois individuelle et commune.

Souvent, lorsqu’on nous pose la question de ces moteurs on répond par une pirouette : « avec cette recherche, on protège nos conjoints… Que lasublimation évite le passage à l’acte. »… On pourrait se demander jusqu’à quel point le sadisme est un moteur de la recherche !

Canal Psy : Le lien est tout fait avec la question suivante ! Quels en ont été les freins ?

Patricia Mercader : Les freins et les moteurs sont pratiquement les mêmes. Il y a eu d’abord un grand frein : le temps, la charge de travail ! Nous sommes toutes les trois des femmes bien occupées : Annik Houel et moi-même sommes enseignantes ce qui représente une charge de travail considérable, Helga Sobota est directrice des affaires culturelles à la ville de Grenoble, ce qui représente pas mal de travail aussi. Donc cette question du temps est extrêmement forte. Elle est d’autant plus forte à cause de la généalogie mi-chercheurs mi-militantes de ce groupe et de cette recherche : on a un peu tendance à faire comme si c’était un travail de loisir. Pendant très longtemps, nous avons travaillé le week-end, toutes ensemble dans ma maison à la campagne avec nos conjoints.

Et cela est certainement historiquement lié au statut ambigu de ce travail de recherche pour nous : ce groupe a commencé ce travail de recherche comme une suite du militantisme.

Canal Psy : Cela crée un ancrage dans la réalité.

Patricia Mercader : Nous l’espérons ! Et puis il y a aussi une rencontre avec l’obstacle épistémologique : nous sommes dans une position épistémologique extrêmement compliquée : nous sommes deux psychologues et une sociologue. Donc nous avons sur les réalités liées à la question des rapports entre hommes et femmes des points de vue qui sont souvent convergents mais aussi parfois qui ne se croisent pas complètement, comme parallèles. Cette conflictualité est aussi interne pour chacune d’entre nous. Et puis par ailleurs il y a aussi une conflictualité interne liée à l’articulation recherche et engagement. J’ai écrit un article : « Une recherche féministe est-elle possible ? » : ça n’est pas évident du tout. Donc l’interprétation sociologique, l’interprétation dans le sens de la confrontation à la différence des sexes rendent ce travail compliqué, très intéressant mais compliqué. Cela crée d’innombrables débats…

Canal Psy : Oui, car vous avez écrit le livre d’une seule voix.

Patricia Mercader : Oui, les chapitres ont été écrits par l’une puis corrigés par une autre, etc. C’est un livre vraiment très commun.

Canal Psy : Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par crime passionnel et quelle conséquence cette définition a-t-elle sur l’orientation de votre recherche ?

Patricia Mercader : Il faut se souvenir que ce livre est un objet fini mais qu’il n’est qu’une partie d’une recherche beaucoup plus vaste. En fait, il n’est presque qu’un à côté. Notre vrai projet de recherche que nous sommes en train de terminer est de comprendre pourquoi on tue son conjoint, son rival… Bref, c’est de comprendre le crime dans l’amour, dans la relation amoureuse passionnelle.

Donc, nous avons commencé à construire l’objet et on s’est alors aperçu que « crime passionnel » ne voulait absolument rien dire à cette étape. On avait en effet commencé à dépouiller les faits divers, ça a été notre matériel de base : on a réuni 550 articles concernant 337 affaires. Et au moment où on réunissait ces articles on devait se demander chaque fois s’ils entraient ou pas dans le corpus. C’est là que nous avons construit un objet : à ce moment-là nous avons décidé qu’entraient dans le corpus toutes les affaires impliquant des personnes liées par une relation sexuelle ou amoureuse ou conjugale y compris si la relation sexuelle était seulement envisagée et non pas aboutie. Ce qui nous a induites à prendre entre autres choses des situations que nous avons appelées : le « crime soupirant-dulcinée ».

Et puis par ailleurs, on a quelques cas limites où nous avons admis des crimes qui ne sont pas des meurtres. Par exemple violer une femme prise au hasard, pour se venger contre les femmes en général, du fait d’avoir été quitté par sa petite amie. C’est un cas unique mais nous sommes à la limite. Du coup, nous avons été amenées à admettre les tentatives de meurtre, les cas que la presse ne présente jamais comme crime passionnel mais plutôt comme suicides élargis : le cas où un homme (c’est toujours un homme) tue sa femme ses enfants et se suicide lui-même. On a été amenées à admettre aussi le cas où quelqu’un tue le rival et toute la famille du rival ou bien le partenaire et toute la famille du partenaire…

Et donc plusieurs définitions du crime passionnel se sont mises en place successivement : à un moment donné, on disait le crime passionnel est le crime à cause d’une atteinte à un lien amoureux, sexuel, conjugal, effectif ou envisagé ; aujourd’hui on dirait plutôt que l’on parle de « crimes dits passionnels » et on dirait aujourd’hui : un crime lié à la nature psychopathologique du lien.

Dans ce livre la question de la définition se pose autrement : est passionnel tout crime qu’un journaliste décide de qualifier comme tel. Or, et le titre le dit bien, quand les journalistes qualifient un crime de passionnel, ils le qualifient en même temps comme ordinaire, sans intérêt. Et ça, c’était une de nos questions de départ : est-ce que vraiment le crime passionnel est un crime banal, de tout un chacun ou est-ce qu’il y a des profils ? Des profils de personnalités ou des profils de liens ? Et aujourd’hui, dans ce livre, on analyse l’idée de crime passionnel, crime ordinaire en termes de représentations sociales et dans notre travail clinique nous pensons que c’est seulement quelques types de liens particuliers qui peuvent conduire au crime conjugal dit passionnel.

Canal Psy : Crime passionnel et fantasmes originaires : pouvez-vous nous rappeler le lien que vous faites dans votre ouvrage ?

Patricia Mercader : Il y a une belle étude de Sophie Mijolla-Mellor sur Agatha Christie. Dans ce livre, elle dit que tous les romans d’Agatha Christie développent un fantasme qu’elle situe comme peut-être originaire ou en tout cas comparable au fantasme freudien « un enfant est battu », et elle dit : « un cadavre est trouvé ». Et l’on pourrait dire que, peut-être, si la littérature de faits divers existe, c’est qu’elle plaît. Tout le monde la méprise mais tout le monde la lit. Qu’est-ce qui plaît sinon un fantasme de ce type-là qui tourne autour du meurtre de l’objet d’amour. Et à l’issue de la rédaction du livre, j’ajouterai quelque chose : dans notre livre, ce que l’on démontre, c’est que dans ces faits divers, derrière une façade très surmoïque qui prône l’égalité entre hommes et femmes, en fait il y a un fond extrêmement puissant d’attachement à l’inégalité. Et au fond, on se disait que peut-être nous sommes très attachés à l’inégalité en tant que jouissance du rapport de force, que nous sommes très attachés à être des frères de la horde – tous autant que nous sommes, les hommes et les femmes – à l’emprise sur l’autre ; que reconnaître l’altérité, reconnaître l’humanité de l’autre, notamment quand on l’aime, c’est très difficile. Cela exige une maturation, un accès à la civilisation, pour parler comme Freud, extrêmement important. Et en fait, cette attitude très ambiguë que presque tout le monde a vis-à-vis du fait divers, à la fois fasciné et critique, témoigne d’un certain attachement honteux à l’inégalité et au meurtre et au rapport de force.

Canal Psy : Ce serait en lien avec la perversion ?

Patricia Mercader : Pas pour les lecteurs ! Ils ne sont attachés qu’au fantasme.

Canal Psy : Voulez-vous dire que ce qui tourne autour de l’amour est en lien avec une certaine violence fondamentale, tout au fond de nous, et que le crime passionnel met le doigt là-dessus et vient réveiller quelque chose qui n’est pas tout à fait réglé ?

Patricia Mercader : Non, ça n’est pas du tout ça. D’abord, je ne parle pas du crime passionnel car nous ne sommes plus du tout dans l’idée que tout le monde peut le faire, je ne parle que de la lecture. Je n’utilise pas le concept de violence fondamentale car il renvoie à l’idée d’instinct et je pense que l’espèce humaine est remarquablement pauvre en instincts.

Ce que je dirai, c’est que la reconnaissance de l’autre comme autre, la reconnaissance de l’altérité, de l’humanité de l’autre, ne se produit qu’au terme d’un processus de maturation et qu’il reste des filaments, des attaches à la relation d’emprise et à la réification de l’autre et que c’est cela qui fait que nous aimons ces textes et certainement ce qui fait le succès de la figure du serial-killer dans le roman policier américain.

Et ce sentiment est un sentiment très régressif, pas assez organisé pour être dans la perversion, car il est dans la sublimation. Et c’est du côté de cette régression qu’il existe un attachement à l’inégalité des sexes, en tant qu’inégalité.

Canal Psy : Pour concevoir l’autre comme égal, il faut pouvoir s’en détacher et maintenir l’inégalité, c’est maintenir l’emprise sur l’autre ?

Patricia Mercader : C’est ça.

Canal Psy : Que vient signifier la constance dans l’histoire de la place faites à ces articles dans la presse ?

Patricia Mercader : Je proposais jusque-là des hypothèses interprétatives du côté du fantasme. Dans cette question, il reste les hypothèses interprétatives du côté du sociologique. Les représentations mises en scène par la presse sont à la fois le témoin de l’état des représentations sociales et un outil crucial du contrôle social, donc du maintien des représentations sociales dans l’état. Et s’il y a une stabilité si grande dans le discours du fait divers depuis au moins XIXe siècle et peut-être avant, c’est qu’il y a une stabilité très forte des modèles de fonctionnement de la relation de couple. Le fait divers participe à la maintenance de ces modèles. Et il ne faut pas négliger cet aspect des choses.

Canal Psy : Comment le facteur genre influe-t-il sur cette thématique dans ce livre et dans l’ensemble de vos recherches ?

Patricia Mercader : On peut dire que la trame globale de tous ces faits divers consiste à départager des comportements légitimes et des comportements violents : il y a des meurtres « légitimes », dans le livre, nous avons dit « compréhensibles » au sens populaire (si je comprends, j’excuse) et des meurtres monstrueux. Il y a dans la vie quotidienne des couples des comportements légitimes et des comportements fautifs. Là où le genre intervient, c’est que la définition du compréhensif – légitime et du monstrueux – fautif n’est pas du tout la même pour les hommes et pour les femmes. Tout bêtement.

Canal Psy : Et vers quoi tendraient-elles ? Est-ce aussi caricatural que l’on peut l’imaginer ?

Patricia Mercader : Oui. On peut aller chercher deux trois exemples : côté homme, ce qui justifie le crime, c’est majoritairement l’idée que la femme est l’agent de sa propre mort : l’idée qu’elle a tout fait pour en arriver là : elle l’a frustré, humilié ; parce qu’elle est changeante, trop indépendante. L’exemple parfait est un article où d’un homme d’affaires qui avait tué sa femme, il est dit : « il avait peur de perdre au profit d’un autre quelque chose qui lui appartenait ».

Côté femme, ce qui les excuse, c’est la misère : « quand la misère tue », par exemple. Nous avons appelé ça : « c’est la vie »

Canal Psy : Est-ce que cela sous-entend qu’il faut être un peu dégradée, misérable financièrement ou culturellement pour pouvoir agir comme ça en étant femme ?

Patricia Mercader : Voilà, pauvre d’argent ou de culture.

Canal Psy : Et est-ce que vous différenciez les personnes qui ont été tuées : les conjoints ou les amants, les maîtresses par exemple ?

Patricia Mercader : Les argumentations se ressemblent.

Canal Psy : Finalement, ce qui est constant, c’est ce qui concerne l’auteur du crime ?

Patricia Mercader : Absolument. Sinon, pour les relations de couples, on voit très bien que les valeurs conjugales sont des valeurs de soumissions des femmes et que les violences conjugales qui ont été récemment bien étudiées dans une grande enquête de l’Enveff, sont finalement excusées d’une certaine manière. Même si elles sont condamnées ouvertement, il existe une complicité sous-jacente. Comme : « c’est pas nous qui frappons, c’est les étrangers ». Nous avons un exemple dans notre livre : « M. ne cessait de la harceler : coups de fil, visites impromptues. S’estimant importunée, Jocelyne, etc. etc. » : Vous voyez comment le mode aliénateur : « s’estimant importunée » transforme le point de vue ? Ou encore : « la scène ainsi racontée évoque une dispute certes effroyable mais conjugale [il y a eu 17 coups de couteau] Ce brave et laconique Bensé oublie simplement de dire que Ginette et lui étaient divorcés depuis plus d’un an » Le crime aurait-il été légitime s’ils avaient été mariés ? Ou encore dans l’histoire de Jean-Charles et Nelly : Nelly a quitté Jean-Charles. « Ce jour-là, alors qu’elle rentrait chez elle avec un autre jeune homme, il l’avait contrainte à monter dans la voiture et l’avait emmenée dans la campagne environnante. Relation sexuelle puis strangulation par deux fois. Après l’avoir câlinée pour tenter de lui rendre la vie, il se résigna à la transporter dans le coffre de sa voiture. Mais elle ouvrit les yeux et il la ramena chez lui où ils passèrent la nuit ensemble. » Voyez-vous l’ambiguïté extraordinaire du discours ? Comment la terminologie de la violence et celle de l’amour s’intriquent perpétuellement ? C’est ce qu’on appelle la complicité latente des journalistes, hommes ou femmes. On trouve cela tout le temps au niveau de l’analyse du discours.

Canal Psy : C’est l’idée d’un droit sur l’autre inégale selon le genre qui serait inconsciemment au fond de nous et qui se retraduit dans les termes journalistiques ?

Patricia Mercader : Absolument : d’un droit des hommes sur les femmes. L’amour donne un droit sur l’autre.

Canal Psy : Y a-t-il des liens possibles entre ces crimes et l’amour ? Et si oui, lesquels ? Pouvez-vous nous dire quelque chose de votre recherche en cours ?

Patricia Mercader : D’un point de vue plus clinique, les histoires que nous travaillons à partir des dossiers d’instruction, une cinquantaine d’affaires, il s’agit de liens amoureux (ces gens-là le vivent comme de l’amour, donc, on dira amoureux) extrêmement fusionnels indifférenciés ou au mieux anaclitiques, et encore. Le lien fusionnel est vraiment le lien qui domine : au sens, « l’autre est tout, mon couple me comble ou me détruit ». Ce sont des liens d’emprise, pas du tout des liens génitaux.

Canal Psy : Le crime devient-il parfois un geste de survie dans le sens d’un geste de décollement ?

Patricia Mercader : Non, ça n’est pas du tout un geste de décollement : la définition de Claude Balier est vraiment très juste et très parlante : « c’est un acte fou pour éviter d’en devenir fou ». Les crimes se produisent essentiellement dans des moments d’effondrements internes, par rapport à des vécus de catastrophe extrêmement archaïques liés à la fonction contenante.

Canal Psy : Est-ce que le crime est là pour ramener l’autre à soi dans un moment où on l’a senti se décoller et/ou est-ce que la seule manière paradoxale de ne pas mourir dans cette fusion étouffante est de tuer l’autre ?

Patricia Mercader : On a fait une étude statistique d’abord et une étude clinique ensuite. Dans l’étude statistique, on a compté les mobiles avancés par les gens d’après les articles, c’est-à-dire ce qui les fait souffrir, ce dont ils se plaignent. Si on s’en tient à ce niveau d’analyse, on a une très grande différence entre les hommes et les femmes : 75 % des hommes tuent une femme qui les abandonne ou qui va les abandonner, ou qui les trompe ou qui va les tromper ou dont ils ont peur qu’elle les trompe… Un tiers des femmes tue des hommes violents qui les tyrannisent, un autre tiers des hommes qui font obstacle à leur projet et un autre tiers pour des intérêts personnels. On arrive ainsi à « les hommes tuent plutôt pour garder les femmes et les femmes tuent plutôt pour se débarrasser des hommes ». Mais quand on va dans la clinique des dossiers, cette différence est pulvérisée : on n’est plus au niveau de ce dont les gens se plaignent mais au niveau de la structuration du lien. Et celle-ci est exactement la même : elle est faite d’emprise, de dépendance et de fusion, dans les deux cas. Et dans les deux cas, quelque chose occasionne ce vécu de catastrophe interne. Notre prochain ouvrage sera une sociologie clinique du crime conjugal.

Citer cet article

Référence papier

Patricia Mercader, Noëlle D’Adamo et Anne-Claire Froger, « Interview », Canal Psy, 58 | 2003, 9-12.

Référence électronique

Patricia Mercader, Noëlle D’Adamo et Anne-Claire Froger, « Interview », Canal Psy [En ligne], 58 | 2003, mis en ligne le 02 septembre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=973

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Patricia Mercader

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