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La liberté d’entreprendre malmenée par l’obligation de loyauté ! Gravité de la faute pour actes de concurrence

Annabelle Turc

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1La jurisprudence sur la liberté d'entreprendre a évolué au cours de ces dernières années. Ces fluctuations portent sur le degré de protection que les juges doivent lui apporter et sur les restrictions qu’ils doivent poser. Ces limites sont notamment celles visées dans les faits de l’espèce, puisque la liberté du travail doit cohabiter avec le respect de l’obligation de loyauté, dont le salarié est tenu envers son employeur.

2Rappelons que le Code civil, en son article 1134, dispose que « les conventions doivent être exécutées de bonne foi ». A fortiori, le contrat de travail étant une convention, cette obligation générale, s'impose à l'employeur comme au salarié. Le Code du travail prévoit d’ailleurs en son article L 1222-1, que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». En outre, l’article L 1222-5 dispose que « le salarié reste soumis à l'obligation de loyauté à l'égard de son employeur », s’il reprend ou crée une entreprise.

3Le salarié a donc une obligation de loyauté, qui se traduit notamment par l’interdiction d’agir dans l’intérêt contraire de l’entreprise, et de ne pas porter concurrence à son employeur. Aussi, le contrat de travail comporte des obligations et implications particulières, même en l’absence de clause expresse, et dont les principes sont souvent jurisprudentiels.

4Pourtant, en dépit de ces obligations précitées, une salariée d’une étude d’office notariale de l’Ain, embauchée sous CDI à temps partiel, en 2006, comme clerc de notaire, puis affectée en sus aux services des négociations immobilières en 2007, a créé une société immobilière avec son compagnon en 2010, dans le même secteur géographique que l’étude et de ses annexes, et ce, sans avertir son employeur.

5Non sans surprise, ce dernier le découvrit dans le journal d’annonces légales, et décida de licencier la salariée pour faute grave, avec les conséquences que cette procédure disciplinaire implique, à savoir, dispense de préavis et privation du droit à l’indemnité de licenciement.

6La salariée contesta son licenciement et saisit le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse, aux fins de faire reconnaître le mal fondé de ce premier. La juridiction prud’homale jugea que la cause était bien réelle et sérieuse, l’obligation de loyauté ayant été violée par la salariée, mais écarta la faute grave.

7Déception pour la salariée qui souhaitait voir son licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Celle-ci interjette donc appel.

8La cour d’appel de Lyon rend un verdict autrement plus sévère que celui des juges du fond, car elle retient la gravité des faits fautifs reprochés à la salariée.

9Les juges ont donc eu à s’interroger sur le point de savoir, si le fait pour une salariée de créer une société ayant une activité concurrente à celle de son employeur, de surcroît dans le même secteur, et sans l’en informer au préalable, constitue, d’une part une violation de l’obligation de loyauté qui lui incombe (I), et d’autre part une faute grave, rendant impossible le maintien du contrat de travail (II).

I. Sur la violation de l’obligation de loyauté

10La solution rendue par cet arrêt de la CA de Lyon s’inscrit notamment dans la continuité d’une décision rendue par la Cour de cassation en 1997, (Cass. soc., 14 mai 1997, n° 94-43.625) car il a été jugé que « la dissimulation à l’employeur, par le salarié, de sa participation dans une société directement concurrente est constitutive d’un manquement à l’obligation de loyauté ».

11En outre, une affaire similaire pourrait se rapprocher des faits de l’espèce, puisque la violation de l’obligation de loyauté est caractérisée, lorsque « le salarié participe à l’activité d’une société concurrente, créée et dirigée par des membres de sa famille proche » (CA Versailles 18 juin 2010, n° 08/02226, 17e chambre).

12Il n’est donc pas surprenant que les juges retiennent également le non-respect de l’obligation de loyauté de la salariée, dans la mesure, où en tant que gérante, elle exerçait une activité avec son compagnon, ayant un objet identique à ses fonctions salariales.

13La cause du licenciement est bien réelle et sérieuse, la cour d’appel confirme ainsi le jugement rendu par le conseil de prud’hommes.

II. Sur la qualification de la faute grave

14Rappelons en premier lieu qu’elle « rend impossible le maintien du contrat de travail » et c’est ce que retiennent les juges dans cette affaire. En effet, les relations contractuelles ne pourront plus se dérouler dans un « climat de confiance et de sérénité », compte tenu des agissements de la salariée. Par ailleurs, les juges ont retenu la faute grave pour des faits similaires (Cass. soc. 25 novembre 1997, n° 94-45.437), à savoir, la création d’une société directement concurrente de celle de l’employeur, « sans en avoir informé » ce dernier. À la différence, que dans cette affaire, le salarié avait détourné des clients.

15En second lieu, nous pouvons nous interroger sur la sévérité ou non de cet arrêt. En effet, considérant l’arrêt précité, la faute grave a déjà été retenue, en cas de détournement de clientèle avéré, mais ce n’est pas, à notre connaissance, le cas ici, puisque les juges précisent que « l’activité n’en était qu’à ses débuts ».

16Pour autant, le Code du travail restreint la liberté du travail et du libre établissement, puisque l’ancien salarié qui créé son activité, après la rupture de son contrat de travail, en l’absence d’une clause de non concurrence, est lui-même soumis à l’obligation de l’exercer dans des conditions loyales.

17En conséquence, l’arrêt rendu par les juges d’appel apparaît donc comme justifié. La salariée a manqué à son devoir de loyauté, alors même que son contrat était en cours d’exécution. La salariée est ainsi déboutée.

18La liberté d’entreprendre, en cours d’exécution du contrat de travail, une activité concurrente à celle de son employeur, commence donc par une information claire et expresse à celui-ci, ainsi que par une autorisation, et s’arrête là où s’exerce celle d’autrui !

Arrêt commenté :
CA Lyon, 17 janvier 2013, n° 11/07128



Citer ce document


Annabelle Turc, «La liberté d’entreprendre malmenée par l’obligation de loyauté ! Gravité de la faute pour actes de concurrence», BACALy [En ligne], n°3, Publié le : 03/07/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1281.

Auteur


À propos de l'auteur Annabelle Turc

Juriste droit social, doctorante-chargée d’enseignement Université Jean Moulin Lyon 3


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