Cass. 2e Civ., 6 avril 2022, n° 21-12.825 (anormalité)

Résumé

« Les conséquences de l’acte médical peuvent être notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement si les troubles présentés, bien qu’identiques à ceux auxquels il était exposé par l’évolution prévisible de sa pathologie, sont survenus prématurément. Dans ce cas, une indemnisation ne peut être due que jusqu’à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l’absence de survenance de l’accident médical. »

Index

Mots-clés

anormalité

[...]

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 22 octobre 2020), le 20 juin 2012, [E] [P], qui présentait une claudication intermittente due à une courte occlusion de l’artère fémorale superficielle droite, a subi une chirurgie carotidienne sous anesthésie loco-régionale, réalisée par M. [U], et est demeuré hémiplégique à la suite de la survenue, au cours de l’intervention, d’une crise convulsive généralisée. Il est décédé le 7 novembre 2016.

3. Les 24, 27 et 28 février 2017, [T] [V]-[C], son épouse, et MM. [Z] et [K] [P] [V] et Mme [D] [P] [V], ses enfants, agissant à titre personnel et en qualité d’ayants droit, ont assigné en responsabilité et indemnisation M. [U] et son assureur, la société MACSF, ainsi que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) et ont mis en cause la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 7] (la caisse) qui a sollicité le remboursement de ses débours. A la suite du décès d’[T] [V]-[C], survenu le 12 mai 2020, MM. [Z] et [K] [P] [V] et Mme [D] [P] [V] (les consorts [P] [V]) sont intervenus volontairement à l’instance en qualité d’ayants droit de celle-ci.

4. La responsabilité de M. [U] a été écartée et les demandes formées à l’égard de celui-ci et de la société MACSF par les consorts [P] [V] et la caisse ont été rejetées.

Examen du moyen

Énoncé du moyen

5. Les consorts [P] [V] font grief à l’arrêt de mettre hors de cause l’ONIAM et de rejeter leurs demandes à son encontre, alors « que la condition d’anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que sont anormaux les troubles, entraînés par un acte médical, survenus chez un patient de manière prématurée, alors même que l’intéressé aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l’évolution prévisible de sa pathologie ; qu’en retenant que la condition d’anormalité du dommage n’était pas remplie, tout en constatant que l’intervention médicale et la survenue de l’accident neurologique avaient entrainé une accélération du processus d’involution cérébrale, que ces événements conjoints ont été responsables d’une aggravation significative de l’état fonctionnel de M. [P] plus précocement qu’elle ne serait spontanément survenue en l’absence de tout événement et que la détérioration et l’incapacité fonctionnelle qui en résultent ont été accélérées d’environ trois ans par rapport à ce qui aurait été l’évolution spontanée de la pathologie, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et méconnu l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique :

6. Il résulte de ce texte que la condition d’anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement et que, dans le cas contraire, les conséquences de l’acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

7. Les conséquences de l’acte médical peuvent être notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement si les troubles présentés, bien qu’identiques à ceux auxquels il était exposé par l’évolution prévisible de sa pathologie, sont survenus prématurément. Dans ce cas, une indemnisation ne peut être due que jusqu’à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l’absence de survenance de l’accident médical.

8. Pour mettre hors de cause l’ONIAM et rejeter les demandes d’indemnisation formées à son encontre, après avoir relevé que, selon les experts, l’état de santé d’[E] [P] lors de leur examen était la conséquence de l’évolution prévisible de la pathologie qu’il présentait antérieurement, que l’hospitalisation, l’intervention et la survenue de l’accident neurologique avaient été conjointement responsables d’une accélération du processus d’involution cérébrale liée à la démence vasculaire déjà présente avant les faits, que ces événements conjoints avaient été responsables d’une aggravation significative de son état fonctionnel plus précocement qu’elle ne serait spontanément survenue en l’absence de tout événement et que la détérioration et l’incapacité fonctionnelle qui en étaient résultées avaient été accélérées d’environ trois ans par rapport à ce qu’aurait été l’évolution spontanée de la pathologie, l’arrêt retient qu’en l’absence d’ambiguïté de leurs conclusions sur l’évolution spontanée de la pathologie vasculaire dont souffrait [E] [P] vers l’état de détérioration intellectuelle et de dépendance qui était le sien après l’intervention, la preuve de l’anormalité du dommage n’est pas rapportée.

9. En se déterminant ainsi, sans prendre en compte le fait que l’intervention avait entraîné de manière prématurée la survenue des troubles auxquels [E] [P] était exposé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Mises hors de cause

En application de l’article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [U] et la société MACSF, dont la présence n’est pas nécessaire devant la cour d’appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il met hors de cause l’ONIAM et rejette les demandes d’indemnisation à son encontre, l’arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Paris [...] ».

Citer cet article

Référence électronique

« Cass. 2e Civ., 6 avril 2022, n° 21-12.825 (anormalité) », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 16 mars 2023, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1632

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