Cass. 2e Civ., 24 novembre 2022, n° 21-20.442 (calcul du recours des tiers payeurs)

Abstract

« L’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée, et [qu’]il en résulte que, dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ». Dès lors, « le droit de préférence de la victime sur la caisse impliquait de fixer l’indemnité allouée au titre du poste de chaque préjudice sans tenir compte des prestations versées par cette dernière, de déterminer la dette du tiers responsable en faisant application du partage de responsabilité, puis d’allouer à la victime ce qui lui restait dû, poste par poste, après déduction des prestations ayant partiellement réparé chacun de ces postes mais dans la limite des indemnités mises à la charge du tiers responsable, et enfin d’accorder le solde, le cas échéant, à la caisse. »

[...]

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Besançon, 20 avril 2021), M. [E] a été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré par la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (l’assureur). Un tribunal de grande instance a liquidé son préjudice en retenant qu’en raison de sa faute, son droit à indemnisation était limité à 60 %.

2. Alléguant une aggravation de son état de santé, M. [E] a assigné l’assureur, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Saône (la caisse), devant un tribunal de grande instance afin d’obtenir la réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen, le quatrième moyen, pris en sa troisième branche et le sixième moyen, réunis

Énoncé des moyens

3. Par son premier moyen, pris en sa première branche, M. [E] fait grief à l’arrêt de lui allouer, au titre des dépenses de santé actuelles, la seule somme de 4 980,74 euros, et, en conséquence, de limiter l’indemnité globale lui revenant au titre de son préjudice d’aggravation à la somme de 101 776,07 euros, alors « que, selon l’article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, les recours subrogatoires des tiers payeurs contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge à l’exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l’article 1252 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeant, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie ; qu’en ce cas, cette dernière peut exercer ses droits contre le responsable par préférence au tiers payeur subrogé ; qu’il en résulte que, dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ; que, pour fixer à la somme de 4 980,74 euros le montant de l’indemnisation revenant à M. [E] au titre des dépenses de santé actuelles, l’arrêt a retenu qu’étaient justifiées les seules dépenses au titre de la franchise à hauteur de 72,50 euros et au titre des cannes et de la prothèse à hauteur de 18 788,24 euros, que devait être imputée sur le montant total de ces dépenses les débours exposés pour le compte de la victime par la caisse primaire d’assurance maladie soit la somme de 10 559,50 euros, ce dont elle a déduit qu’après application du partage de responsabilité, la somme revenant à M. [E] s’élevait à 4 980,74 euros (8 301,24 x 60 %) ; qu’en statuant ainsi, en appliquant la limitation du droit à indemnisation de la victime sur le solde resté à sa charge après déduction des prestations versées par la caisse primaire d’assurance maladie, la cour d’appel a méconnu le droit de préférence de la victime et, par conséquent, violé l’article 31, alinéa 2, de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi du 21 décembre 2006. »

4. Par son deuxième moyen, M. [E] fait grief à l’arrêt de refuser de lui allouer une somme au titre de la perte des gains professionnels actuels, et, en conséquence, de limiter l’indemnité globale lui revenant au titre de son préjudice d’aggravation à la somme de 101 776,07 euros, alors « que, selon l’article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, les recours subrogatoires des tiers payeurs contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge à l’exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l’article 1252 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie ; qu’en ce cas, cette dernière peut exercer ses droits contre le responsable par préférence au tiers payeur subrogé ; qu’il en résulte que, dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ; que, pour refuser d’allouer une somme à M. [E] au titre de la perte de gains professionnels actuels, l’arrêt a retenu que ce poste de préjudice s’élevait à la somme de 18 078,13 euros, qu’après partage, il devait être fixé à 10 846,88 euros et qu’il y avait donc lieu d’imputer sur cette dernière somme le montant de 15 541,36 euros correspondant au total des indemnités journalières reçues de la caisse primaire d’assurance maladie, ce dont elle a déduit que M. [E] n’était légitime à percevoir aucune somme au titre de ce poste ; qu’en accordant ainsi la priorité au tiers payeur sur l’indemnité due par l’assureur quand elle était au contraire tenue, en vertu du droit de préférence de la victime, d’attribuer à celle-ci la part de préjudice non réparé par les indemnités journalières nonobstant la limitation de son droit à indemnisation dans la seule limite de l’indemnité due par l’assureur, la cour d’appel a méconnu l’article 31, alinéa 2, de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi du 21 décembre 2006. »

5. Par son quatrième moyen, pris en sa troisième branche, M. [E] fait grief à l’arrêt de refuser de lui allouer une somme au titre des dépenses de santé futures, et, en conséquence, de limiter l’indemnité globale lui revenant au titre de son préjudice d’aggravation à la somme de 101 776,07 euros, alors « que selon l’article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, les recours subrogatoires des tiers payeurs contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge à l’exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l’article 1252 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie ; qu’en ce cas, cette dernière peut exercer ses droits contre le responsable par préférence au tiers payeur subrogé ; qu’il en résulte que, dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ; que, pour refuser d’allouer une somme à M. [E] au titre des dépenses de santé futures, l’arrêt a retenu que ce poste de préjudice s’élevait à la somme de 375 862,72 euros, qu’après partage, il devait être fixé à 225 517,63 euros et qu’il y avait donc lieu d’imputer sur cette dernière somme le montant de 253 974,92 euros correspondant au total des débours définitifs avancés par la caisse primaire d’assurance maladie, de sorte que M. [E] n’était légitime à percevoir aucune somme au titre de ce poste ; qu’en accordant ainsi la priorité au tiers payeur sur l’indemnité due par l’assureur quand elle était au contraire tenue, en vertu du droit de préférence de la victime, d’attribuer à celle-ci la part de préjudice non réparé par les prestations sociales nonobstant la limitation de son droit à indemnisation dans la seule limite de l’indemnité due par l’assureur, la cour d’appel a méconnu l’article 31, alinéa 2, de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi du 21 décembre 2006. »

6. Par son sixième moyen, M. [E] fait grief à l’arrêt de refuser de lui allouer une somme au titre de l’incidence professionnelle, et, en conséquence, de limiter l’indemnité globale lui revenant au titre de son préjudice d’aggravation à la somme de 101 776,07 euros, alors « que, selon l’article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, les recours subrogatoires des tiers payeurs contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge à l’exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l’article 1252 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie ; qu’en ce cas, cette dernière peut exercer ses droits contre le responsable par préférence au tiers payeur subrogé ; qu’il en résulte que, dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ; que, pour refuser d’allouer une somme à M. [E] au titre de l’incidence professionnelle, l’arrêt a retenu que ce poste de préjudice s’élevait à la somme de 150 000 euros, qu’après partage, il devait être fixé à 90 000 euros et qu’il y avait donc lieu d’imputer sur cette dernière somme le montant de 91 088,84 euros correspondant à la rente viagère servie par la caisse primaire d’assurance maladie, de sorte que M. [E] n’était légitime à percevoir aucune somme au titre de ce poste ; qu’en accordant ainsi la priorité au tiers payeur sur l’indemnité due par l’assureur quand elle était au contraire tenue, en vertu du droit de préférence de la victime, d’attribuer à celle-ci la part de préjudice non réparé par les prestations sociales nonobstant la limitation de son droit à indemnisation dans la seule limite de l’indemnité due par l’assureur, la cour d’appel a méconnu l’article 31, alinéa 2, de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi du 21 décembre 2006. »

Réponse de la Cour

Recevabilité des moyens

7. L’assureur conteste la recevabilité des moyens. Il soutient que les critiques sont contraires à la thèse soutenue par M. [E] devant la cour d’appel.

8. Cependant, M. [E] n’ayant pas invoqué devant la cour d’appel les modalités de calcul du recours de la caisse, les moyens ne peuvent pas être contraires à la thèse soutenue devant les juges du fond.

9. Les moyens sont, dès lors, recevables.

Bien-fondé des moyens

Vu les articles 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l’article 25, IV, de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 :

10. Selon ces textes, les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l’article 1252, devenu 1346-3, du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales. En ce cas, l’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée, et il en résulte que, dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat.

11. En premier lieu, pour retenir que la somme revenant à la victime au titre des dépenses de santé actuelles s’élève à 4 980,74 euros, l’arrêt énonce que ce poste de préjudice doit être fixé à la somme de 18 788,24 euros, dont il convient de déduire les débours exposés par la caisse, soit la somme de 10 559,50 euros.

12. Il fait ensuite application du partage de responsabilité sur le solde, soit sur la somme de 8 301,24 euros.

13. En second lieu, pour refuser d’allouer à la victime une somme au titre de la perte des gains professionnels actuels, des dépenses de santé futures et de l’incidence professionnelle, l’arrêt constate que ces postes de préjudice doivent être fixés aux sommes respectives de 18 078,13 euros, 375 862,72 euros et 150 000 euros.

14. Il énonce, encore, qu’en application du partage de responsabilité, le préjudice de la victime s’élève, pour ces trois postes, aux sommes respectives de 10 846,88 euros, 225 517,63 euros et 90 000 euros.

15. Il déduit ensuite de ces sommes, poste par poste, la totalité des débours définitifs de la caisse qui s’élèvent aux sommes respectives de 15 541,36 euros, 253 974,92 euros et 91 088,84 euros.

16. Il en conclut qu’il ne revient aucune somme à la victime au titre de ces trois postes de préjudice.

17. En statuant ainsi, alors que le droit de préférence de la victime sur la caisse impliquait de fixer l’indemnité allouée au titre du poste de chaque préjudice sans tenir compte des prestations versées par cette dernière, de déterminer la dette du tiers responsable en faisant application du partage de responsabilité, puis d’allouer à la victime ce qui lui restait dû, poste par poste, après déduction des prestations ayant partiellement réparé chacun de ces postes mais dans la limite des indemnités mises à la charge du tiers responsable, et enfin d’accorder le solde, le cas échéant, à la caisse, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 avril 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon [...] ».

References

Electronic reference

« Cass. 2e Civ., 24 novembre 2022, n° 21-20.442 (calcul du recours des tiers payeurs) », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 24 | 2022, Online since 16 mars 2023, connection on 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1641

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