CA Paris, 20 décembre 2023 (affaire du Médiator)

Paris, le 20 décembre 2023

En novembre 2010, plusieurs patients consommateurs du MEDIATOR, un médicament commercialisé depuis 1976, déposaient plaintes, faisant valoir qu’il existerait un lien entre la prise de ce médicament et la survenance de valvulopathies et/ou hypertension artérielle pulmonaire (ci-après HTAP), deux maladies potentiellement mortelles.

A la suite de l’enquête préliminaire puis de l’information confiée au pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Paris, les juges d’instruction en charge du dossier décidaient, en août 2017, le renvoi devant le tribunal correctionnel de quatorze personnes physiques, dont l’ancien président opérationnel du groupe SERVIER, Jean Philippe SETA et de onze personnes morales à savoir l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ci-après AFSSAPS) et dix sociétés du groupe SERVIER, pour tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires aggravées, obtention frauduleuse de documents administratifs, escroqueries ainsi que divers délits d’atteintes à la probité.

A l’issue des audiences tenues courant 2019 et 2020, le tribunal judiciaire de Paris, par jugement en date du 29 mars 2021, considérait que le délit d’obtention frauduleuse de documents administratifs était prescrit et que le délit d’escroquerie n’était pas constitué. Il entrait en voie de condamnation pour les délits de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires aggravées, ne retenant cependant pas, pour cette seconde infraction la circonstance aggravante de manquement délibéré à une obligation de sécurité.

Du fait des appels du ministère public, de six sociétés du groupe SERVIER et de plusieurs parties civiles, la cour d’appel de Paris était saisie de l’examen des infractions de tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires aggravées, obtention frauduleuse de documents administratifs et escroqueries.

Sur l’action publique, à l’issue de 99 audiences de débats et l’audition de 4 experts et 69 témoins, dans un arrêt rendu ce jour, la cour d’appel de Paris a estimé que le MEDIATOR présentait bien des propriétés anorexigènes faibles mais indiscutables et que celles-ci avaient été sciemment dissimulées tant au moment de la mise sur le marché que tout au long de la commercialisation. Elle a également estimé que les responsables de la commercialisation du médicament ont fait en sorte de dissimuler aux patients et aux médecins les points communs existant entre la métabolisation du benfluorex, la molécule du MEDIATOR, et les fenfluramines, des anorexigènes mis en cause dans la survenance de valvulopathie et d’HTAP.

La cour a par ailleurs estimé que dès 1995 pour les HTAP, et a fortiori dès 1997 pour les valvulopathies, compte tenu de la proximité chimique des molécules qui appartenaient toutes à la famille des fenfluramines, le groupe SERVIER aurait dû, a minima, informer l’AFSSAPS, les médecins et les patients de l’existence d’un risque et préconiser des restrictions d’usage du MEDIATOR.

Compte tenu des dissimulations retenues par la cour, celle-ci a estimé que l’autorisation initiale de mise sur le marché, en 1974, et les renouvellements successifs intervenus jusqu’en 2007, avaient été obtenus frauduleusement et que la prescription, pour des motifs de droit, n’était pas acquise.

La cour a également estimé que, du fait de ces nombreuses dissimulations, les responsables de la commercialisation du MEDIATOR ont obtenu son inscription comme médicament du métabolisme et obtenu, en fraude, des conditions de remboursement propre à cette catégorie de médicament puis des remboursements effectifs sur cette base jusqu’en 2009, caractérisant ainsi des manœuvres frauduleuses constitutives d’une escroquerie commise au préjudice des organismes de sécurité sociale. Elle a cependant estimé que cette infraction ne pouvait être reprochée qu’aux six sociétés appelantes et non à Jean Philippe SETA relaxé de ce chef.

La cour a donc, concernant ces deux infractions, infirmé la décision des premiers juges.

Elle a, en revanche, confirmé les termes de la décision attaquée en ce qui concerne les infractions de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires, en ne retenant pas comme le tribunal, l’existence d’un manquement délibéré à une obligation particulière de sécurité.

La cour a condamné, en tenant compte de la situation de chacune d’entre elles, les six sociétés appelantes à payer, au total, 9 173 000 euros d’amendes.

Jean Philippe SETA a, pour sa part, été condamné à 4 ans d’emprisonnement dont un an ferme aménagé ab initio sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique et 3 ans assortis du sursis outre, au total, à 89 100 euros d’amendes.

Sur le plan civil, la cour a, s’agissant des dommages intérêts alloués sur le fondement de la tromperie aggravée et des homicides et blessures involontaires, retenant les mêmes principes indemnitaires que les premiers juges, pour l’essentiel confirmé la décision de première instance.

S’agissant des caisses d’assurance maladie et des mutuelles constituées sur le fondement de l’escroquerie, la cour a condamné les six sociétés du groupe SERVIER à leur verser la somme globale de 415 592 372,40 euros au titre du préjudice financier et 1 047 123,01 euros au titre du préjudice de désorganisation outre plus de 5 millions d’euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale (frais d’avocat).

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Référence électronique

« CA Paris, 20 décembre 2023 (affaire du Médiator) », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 27 mai 2024, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1842

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