« (…)
Faits et procédure :
1. Selon l’arrêt attaqué (Fort-de-France, 18 janvier 2022), le 20 mars 2014, estimant que l’Etat français était responsable des crimes contre l’humanité que constituent la traite négrière et l’esclavage, quarante-huit personnes physiques, l’association Mouvement international pour les réparations (MIR), l’association Comité d’organisation du 10 mai, ainsi que le Comité international des peuples noirs (le CIPN), ont assigné l’agent judiciaire de l’Etat en réparation des préjudices subis par ces personnes physiques à titre personnel et en leur qualité d’ayants droit. L’Agent judiciaire de l’Etat leur a opposé la prescription de leur action.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
2. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Les associations MIR et Comité d’organisation du 10 mai, le CIPN et vingt-trois personnes physiques font grief à l’arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de réparation présentées par ces personnes en leur qualité d’ayants droit des victimes de faits d’esclavage, alors :
« 1°/ que, en premier lieu, conformément à l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ; qu’en l’espèce, en jugeant irrecevables comme prescrites au sens du texte précité les demandes présentées par les ayants droit des victimes de faits d’esclavage, sans rechercher, ainsi qu’elle y était pourtant invitée, à quelle date se situait le point de départ d’une telle action, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2224 du code civil ;
2°/ que, en deuxième lieu, conformément à l’article 1 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, sont prescrites, au profit de l’Etat toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ; qu’en l’espèce, en jugeant irrecevables comme prescrites au sens du texte précité les demandes présentées par les ayants droit des victimes de faits d’esclavage, sans rechercher, ainsi qu’elle y était pourtant invitée, à quelle date se situait le point de départ d’une telle action, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2224 du code civil ;
3°/ que, en troisième lieu, à titre subsidiaire, en jugeant irrecevables comme prescrites au sens du texte précité les demandes présentées par les ayants droit des victimes de faits d’esclavage à l’encontre de l’Etat, au motif que leur action est "en toutes hypothèses prescrite" après l’entrée en vigueur de la "loi Taubira", et ce au regard "des dispositions des articles 2224 du code civil, 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et 1 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968", lorsque, qualifiant de crime contre l’humanité les faits d’esclavage et de traite négrière, la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 ne saurait constituer le point de départ d’un quelconque délai de prescription, la cour d’appel a violé les textes précités, ensemble la loi n° 2008-561 du 18 juin 2008. »
Réponse de la Cour
4. La cour d’appel a retenu que, si l’esclavage avait été définitivement aboli par le décret provisoire de la République française du 27 avril 1848, les esclaves affranchis n’avaient pu avoir immédiatement ni la capacité ni la conscience de leur droit d’agir.
5. Elle en a déduit que la prescription n’avait commencé à courir qu’à compter du jour où les nations civilisées avaient reconnu la notion de crime contre l’humanité avec l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée par l’assemblée générale des Nations Unies du 9 décembre 1948 et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
6. Elle a estimé que les ayants droit des victimes avaient alors été à même d’apprécier les conséquences des atteintes résultant de l’esclavage et de la traite négrière, sans qu’il soit démontré qu’ils avaient été empêchés d’agir au-delà de cette période.
7. Elle a ainsi procédé aux recherches prétendument omises.
8. Abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, elle a légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. Les associations MIR et Comité d’organisation du 10 mai, le CIPN et vingt-trois personnes physiques font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes au titre du préjudice personnellement éprouvé, alors « que, défini comme un phénomène de transmission entre ascendants et descendants d’une violence sociale provoquant des conséquences traumatisantes sur les descendants, le préjudice transgénérationnel, tel que mis en lumière par les travaux scientifiques relatifs à l’épi-génétique, se déduit de la seule qualité de descendant d’un fait traumatique ; qu’en l’espèce, en retenant qu’à défaut de produire des "pièces suffisamment probantes de nature à établir souffrir individuellement d’un dommage propre", les exposants devaient être déboutés de leurs demandes d’indemnisation, lorsqu’elle constatait pourtant que ceux-ci étaient les descendants de "victimes de la traite et de l’esclavage", de sorte qu’elle n’avait d’autre choix que d’indemniser leur préjudice transgénérationnel, ainsi qu’il lui était demandé, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l’article 1240 du code civil, ensembles les articles 4 et 14 puis 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 1 du Protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir constaté qu’aucune des personnes physiques ne produisait de pièces établissant qu’elle souffrait individuellement d’un dommage propre rattachable de manière directe et certaine aux crimes subis par ses ascendants victimes de la traite et de l’esclavage, la cour d’appel a exactement retenu que les seules références, d’une part, à des travaux universitaires mettant en évidence des préjudices transgénérationnels liés à l’influence de l’environnement de l’homme sur la génétique et à l’existence de phénomènes de transmission de traumatismes collectifs historiques à caractère déshumanisant, d’autre part, à des préjudices matériels et moraux vécus par l’ensemble des descendants d’esclaves, ne caractérisaient pas l’existence d’un préjudice certain, direct et personnel en lien avec la traite négrière et l’esclavage.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi (…) ».