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Des limites à l’arme pénale dans les conflits de voisinage

Capucine Jacquin-Ravot


1Dans le cadre d’un conflit de voisinage de plusieurs années, M. X et Mme V. s’opposent à M. Z et Mme Y. Ces derniers déposent plusieurs plaintes pour atteinte à leur intimité, reprochant à M. X et Mme V. de les avoir filmés alors qu’ils se trouvaient dans leur jardin, et ce à plusieurs reprises du 1er mai 2013 au 7 avril 2015. Ces plaintes donnent lieu à la poursuite de M. X, uniquement.

2Par un jugement en date du 30 mai 2017, le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône condamne M. X à une amende de 1 000 euros avec sursis pour avoir porté atteinte à l’intimité de la vie privée de M. Z et Mme Y en captant, enregistrant, transmettant volontairement leur image pendant deux ans, sans leur consentement, alors qu’ils se trouvaient dans un lieu privé, sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal. M. X devra également s’acquitter de 500 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par M. Z, dont les enfants se sont constitués parties civiles en tant qu’ayant droit, et Mme Y, elle aussi partie civile. Le jugement est unanimement contesté par l’ensemble des parties. M. X soulève, avant tout débat sur le fond, une exception de nullité, fondée sur l’atteinte aux droits de la défense. L’atteinte à l’intimité n’étant pas caractérisée de manière précise – la citation visant une période de deux ans sans qu’il puisse connaitre exactement les faits incriminés – il ne pouvait se défendre efficacement. L’exception de nullité est rejetée par la cour d’appel de Lyon selon laquelle la citation faisait référence à sept plaintes datées, ce qui lui permettait d’organiser sa défense pour ces faits-là. Sur le fond, M. X argue sans surprise que la matérialité du délit est incertaine en l’espèce. Les plaintes déposées par M. Z et Mme Y visaient des faits dont sa femme était l’auteur, ou encore des faits de nuit qui ne permettaient pas d’en identifier précisément l’auteur. M. X conteste également la constitution d’un élément moral, faute d’intention de porter atteinte à l’intimité des plaignants. Il affirme à cet égard que l’objectif des enregistrements était de constituer une preuve des nuisances sonores et troubles anormaux dont il dit avoir été victime du fait des plaignants. Il ajoute que les plaignants avaient systématiquement vus qu’ils étaient filmés et l’avaient laissé faire, ce qui permet de présumer leur consentement à la captation, au sens du dernier alinéa de l’article 226-1 du Code pénal.

3Par un arrêt en date du 27 juin 2019, la cour d’appel de Lyon vient poser des limites à l’utilisation de l’arme pénale dans des conflits de voisinage en relaxant M. X. Chaque conflit ne doit donner lieu à des poursuites pénales et il est important que seuls les dossiers solidement constitués y conduisent. Il convient donc d’apprécier rigoureusement l’élément matériel de l’infraction (I) quitte à en délaisser l’élément moral (II).

I/ Une appréciation rigoureuse de l’élément matériel

4La cour d’appel réduit le champ des possibles à des voisins procéduriers qui ne s’astreindraient pas à la fourniture de preuves précises. La qualité ne peut être délaissée au profit de la quantité : un nombre de plaintes, bien que conséquent, ne peut suffire à prouver l’atteinte à l’intimité si les éléments qu’elles contiennent sont insuffisants. La cour d’appel rappelle à cet effet que l’atteinte à l’intimité est un délit instantané, qu’il convient de dater précisément, chose que l’autorité de poursuite et les premiers juges avaient manqué d’effectuer en désignant une période de deux ans sans préciser exactement la date des faits à l’origine des poursuites de M. X. La cour d’appel sanctionne également le fait que les plaintes au soutien des poursuites visent indifféremment Mme V et M. X, voire ne vise aucun d’entre eux. Or, la cour d’appel précise que l’atteinte à l’intimité privée implique que l’auteur soit précisément identifié. Si cette décision est louable en l’espèce, en ce qu’elle permet de limiter l’arme pénale dans des conflits de voisinage interminables, elle peut se révéler trop rigoureuse dans d’autres situations. Dans un contexte où les captations d’images sont de plus en plus réalisées à distance, grâce à des outils tels que les drones ou des logiciels permettant le hacking des caméras intégrées dans les ordinateurs, la rigueur dans l’identification de l’auteur de l’infraction pourrait être un réel obstacle à la poursuite des utilisateurs de ces techniques, pourtant très attentatoires à l’intimité.

II/ Une étude subsidiaire de l’élément moral

5Dès lors que la matérialité fait défaut, il ne parait pas nécessaire de s’intéresser aux motivations de M. X. En effet, l’argument de l’absence de dol spécial, soulevé par M. X, est laissé sans réponse par la cour d’appel de Lyon. Sur ce point, la cour d’appel de Riom (CA Riom, 20 juin 2019, JurisData n° 2018-011606) a tenu une approche différente la semaine précédant celle de l’arrêt commenté. La cour auvergnate a condamné un prévenu ayant braqué une caméra sur la porte d’entrée de ses voisins, entièrement vitrée, pour atteinte à l’intimité de la vie privée, en raison du fait que le prévenu savait qu’il portait atteinte à leur intimité. Le fait que ce dernier ait déjà été entendu par le tribunal correctionnel pour des faits de même nature constituait une preuve de cette intention. Pourtant, comme dans l’arrêt commenté, le prévenu soutenait avoir capté les images dans le seul but de constituer des preuves pour une action judiciaire future. Là où la cour d’appel de Riom s’est penchée sur l’argument de l’absence d’intention pour le rejeter, celle de Lyon l’a purement évincé. Elle ne s’est pas intéressée davantage à la constitution de la présomption de consentement des plaignants soulevée par M. X, faute de matérialité de l’infraction. La place de l’élément moral dans l’analyse de l’atteinte à l’intimité doit donc être clarifiée. Il ne reste qu’à souhaiter que la Cour de cassation en soit saisie.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 4e chambre, 27 juin 2019, n° 29/338



Citer ce document


Capucine Jacquin-Ravot, «Des limites à l’arme pénale dans les conflits de voisinage», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2191.

Auteur


À propos de l'auteur Capucine Jacquin-Ravot

Doctorante en droit pénal, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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