Prescription de l’obligation cautionnée : selon que vous serez … caution ou débiteur
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1L’intérêt de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 1er octobre 2020 est de rappeler la configuration dans laquelle une caution pourra se prévaloir de la prescription de deux ans instituée par le code de la consommation afin de se soustraire à son obligation de paiement. Le rappel est opportun car il intervient à la suite d’une évolution jurisprudentielle ayant bousculé les règles en la matière.
2Un prêt bancaire contracté par un couple marié avait été cautionné par une société. Il n’était pas contesté par les parties que ce prêt relevait des opérations soumises au code de la consommation. Les emprunteurs bénéficiaient dès lors d’une prescription abrégée par rapport à la prescription de droit commun de cinq années (art. 2224 C. civ.). L’article L. 218-2 du code de la consommation prévoit en ce sens que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Ce délai de deux ans était en l’espèce écoulé, ce qui là encore n’était pas contesté. La discussion s’était nouée autour d’une autre question : la caution pouvait-elle se prévaloir de cette prescription pour refuser d’honorer la dette du débiteur ?
3Malgré la prescription, la banque avançait que la caution était tenue d’exécuter son engagement et ne pouvait pas s’opposer à sa demande de paiement. Cette prétention était directement fondée sur une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation ayant affirmé que la prescription biennale prévue par le code de la consommation constitue une exception purement personnelle au débiteur, qui ne peut être invoquée par la caution (Cass. civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16147).
4Il faut rappeler que le cautionnement se distingue des autres sûretés personnelles - garantie autonome et lettre d’intention - par son caractère accessoire. La caution s’engage à exécuter l’obligation du débiteur, si ce dernier n’y satisfait pas (art. 2288 C. civ.). La caution et le débiteur sont donc engagés à la même obligation. En conséquence, la caution dispose de la possibilité d’opposer au créancier certains moyens de défense dont dispose le débiteur. L’article 2313 du Code civil affirme ainsi que « La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ». Le second alinéa de l’article 2313 précise toutefois que la caution « ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur ». Cette limite apparaît justifiée au regard de la signification du caractère accessoire du cautionnement. La possibilité pour la caution d’invoquer les moyens de défense du débiteur étant fondée sur l’identité de leurs obligations, les exceptions profitant à la caution ne peuvent être que celles qui se rapportent à la dette. La jurisprudence est cependant venue mettre à mal la cohérence d’ensemble de l’édifice en développant une interprétation pour le moins extensive de la notion d’exception purement personnelle au débiteur. Afin de préserver l’efficacité du cautionnement, la Cour de cassation a progressivement grignoté la catégorie des exceptions inhérentes à la dette, à tel point qu’il est désormais permis de se demander s’il reste encore des exceptions qui peuvent être qualifiées comme telles. Il a notamment été jugé que la nullité pour dol (Ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602) et la prescription biennale affectant l’obligation principale (Cass. civ. 1re, 11 déc. 2019 préc.) constituaient des exceptions purement personnelles au débiteur. Sur un plan conceptuel, cette qualification a largement été critiquée : la réduction à une portion congrue des exceptions inhérentes à la dette contredit le caractère accessoire du cautionnement, alors même qu’il constitue l’essence de cette sûreté. Si théoriquement la situation n’est pas satisfaisante, elle génère également des incohérences pratiques mises en lumière par la décision commentée.
5Pour s’opposer à la demande de paiement de la banque, la société caution avançait qu’elle pouvait se prévaloir de la prescription biennale de l’obligation principale. Sans contester le caractère purement personnel au débiteur de l’exception, la caution arguait que cette prescription devait lui profiter dès lors qu’elle avait été invoquée par les emprunteurs et non directement par elle. La cour d’appel fait droit à cette prétention et reconnaît infondée la demande de la banque. La conclusion du raisonnement est assez peu discutable au regard des textes en vigueur. La prescription constitue une cause d’extinction des obligations (ancien art. 1234 du C. civ., art. 219 C. civ.). L’obligation principale était donc assurément éteinte comme le souligne la cour d’appel. Or, « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable » (art. 2289 C. civ.) et il « (…) ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses » (art. 2290 C. civ.). La libération des emprunteurs par le jeu de la prescription bénéficie donc nécessairement à la caution et ce, selon les termes de la décision, « par l’effet du caractère accessoire du cautionnement ».
6Ainsi, selon la qualité de la personne qui invoque la prescription, la caution pourra ou ne pourra pas en profiter. Si c’est la caution elle-même qui invoque la prescription pour refuser de payer le créancier, le caractère accessoire du cautionnement ne développe pas ses effets et la prescription de l’obligation principale n’a pas d’incidence à l’égard de l’obligation de la caution. À l’inverse, si c’est le débiteur qui invoque la prescription, le caractère accessoire du cautionnement jouera à plein et la caution pourra se prévaloir de l’extinction de l’obligation principale. Ces subtilités, à la fois peu compréhensibles et peu justifiables, semblent, comme en atteste d’ailleurs ce litige, de nature à accroître le contentieux dans une matière qui n’en a définitivement pas besoin.
7La réforme prochaine du droit des sûretés pourrait permettre de remédier à ce désordre. L’avant-projet de réforme conçu par l’association Henri Capitant propose en effet de mettre fin à la distinction traditionnellement opérée entre les exceptions inhérentes à la dette et celles purement personnelles au débiteur. Il est en effet proposé d’insérer un nouvel article au sein du code civil prévoyant que « la caution peut opposer au créancier, toutes les exceptions inhérentes à la dette ou purement personnelles, qui appartiennent au débiteur ». Guidée par le souci de « de restaurer le caractère accessoire du cautionnement », la consécration d’une telle disposition aurait également pour vertu de simplifier la situation de la caution : elle pourrait se prévaloir de la prescription de l’obligation principale en toutes circonstances.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 1er octobre 2020, n° 18/00021
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Auteur
À propos de l'auteur Cécile Granier
Maître de conférences, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3