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L’intérêt d’un ordre de réparation dans l’établissement de la preuve en matière automobile

Bérengère Cagnon


1En matière de réparation automobile, l’établissement d’un ordre de réparation n’est pas obligatoire mais l’écrit étant la reine des preuves, un tel document s’avère bien utile devant les juges lorsqu’il faut prouver qu’un garagiste a – ou non – convenablement rempli ses obligations.

2Le 19 janvier 2007, une association confie son véhicule de marque Mercedes à la société Garage F. à cause d’un bruit provenant du moteur. Le garage procède au changement dudit moteur avant de demander à la société Mercedes-Benz de prendre en charge les frais liés à la réparation au titre de la garantie constructeur, frais s’élevant à 21 811,61 €.

3Celle-ci refuse la prise en charge. La société Garage F. adresse alors la facture à l’association qui refuse à son tour de payer au motif qu’elle n’avait pas donné son accord pour une telle intervention. La société Garage F. assigne alors l’association en paiement de cette somme devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne. Ce tribunal se déclare incompétent au profit du tribunal de grande instance de Saint-Étienne. Ce dernier, dans son jugement du 25 juin 2014, déboute la société Garage F. de l’ensemble de ses demandes et l’association de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et de sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile. La société Garage F. interjette alors appel.

4L’appelant demande à ce que l’association lui restitue le moteur sur le fondement des articles 2367 et suivants du Code civil en vertu d’une clause de réserve de propriété prévue dans l’ordre de réparation qu’elle a signé et subsidiairement, qu’elle soit condamnée à payer le montant de la facture sur le fondement des articles 1371 et 1650 et suivants du Code civil. Il demande aussi à ce que l’association soit condamnée pour procédure abusive et sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

5L’intimée quant à elle souhaite que le jugement soit confirmé, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et de sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile ; elle reforme une demande dans ce sens. Elle estime par ailleurs que la clause de réserve de propriété invoquée par l’appelant lui est inopposable et qu’elle n’a pas donné son accord pour que le garage procède aux réparations faites, ni pour leur montant.

6Le présent arrêt illustre l’intérêt d’établir un ordre de réparation signé entre les parties et apporte des précisions quant à l’obligation de conseil auquel le garagiste – comme tout professionnel – est tenu.

7Tout d’abord, l’arrêt illustre l’intérêt que présente un ordre de réparation : bien que ce document ne soit pas obligatoire, une fois signé il a valeur de contrat entre les parties et permet de fournir une preuve écrite en cas de litige. En l’espèce, le garagiste demande à ce que le moteur lui soit restitué puisque l’association refuse d’en payer le prix au titre d’une réserve de propriété insérée dans l’ordre de réparation et conformément à l’article 2367 du Code civil qui autorise cette sûreté réelle. Les magistrats ne contestent pas qu’une telle clause puisse être stipulée dans un ordre de réparation (dans le même sens, Cass. com., 19 novembre 2003, n° 01-01137), cependant, en l’espèce, la démonstration n’est pas faite que cette clause existait bien dans le document au moment de sa signature par l’association. La société Garage F. produit en effet un écrit en affirmant qu’il s’agit du recto de l’ordre de réparation signé par l’intimée, sans toutefois en apporter la preuve. C’est donc faute de preuve que la demande de l’appelant est rejetée.

8Ensuite, les magistrats examinent la demande subsidiaire : la société Garage F. demande à ce que l’association soit condamnée à payer les frais de réparation du véhicule au motif que le garage a respecté son obligation de résultat et a informé l’association du remplacement du moteur. Cependant les juges se réfèrent encore une fois à l’ordre de réparation dans lequel aucune mention n’est faite du changement du moteur. Le garagiste ne peut donc pas rapporter la preuve de l’accord de l’association de procéder aux réparations, et pour les magistrats, cela est un manquement à l’obligation de conseil à laquelle le garagiste est tenu. Cette obligation implique en effet – entre autres – que le professionnel n’effectue pas de réparations coûteuses sans avoir obtenu l’accord préalable du propriétaire du véhicule (Cass. civ. 1re, 7 juin 1989, n° 87-16937, inédit). C’est donc à nouveau du fait de l’absence de preuve que la demande de l’appelant ne peut être satisfaite.

9Enfin, les juges tirent les conséquences logiques de cette situation, en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 24 mai 2005, n° 03-13534 ; Cass. civ. 1re, 6 janvier 2004, n° 00-16545) : en l’absence de preuve que l’association avait accepté les réparations et leur montant, le garage ne peut se prévaloir d’un appauvrissement qui lui est imputable. L’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut donc pas être admise.

10Il convient de noter que l’appelant a fondé cette action sur l’article 1371 du Code civil mais que, suite à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, cet article ne porte plus sur les quasi-contrats, fondement qu’avait utilisé la Cour de cassation pour bâtir sa jurisprudence en matière d’enrichissement sans cause (Cass. Req., 15 juin 1892, Boudier), mais sur les actes authentiques. Une telle action devra à l’avenir se fonder sur le nouvel article 1303 du Code civil en vertu duquel « En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement. »

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre civile 1, section A, 23 juin 2016, n° 14/05971, n° JurisData 2016-015448



Citer ce document


Bérengère Cagnon, «L’intérêt d’un ordre de réparation dans l’établissement de la preuve en matière automobile», BACALy [En ligne], n°9, Publié le : 20/11/2016,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=553.

Auteur


À propos de l'auteur Bérengère Cagnon

Doctorante, Université Jean Moulin Lyon 3


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