Précisions sur l’évaluation des pertes de gains professionnels actuels en cas d’embauche d’un remplaçant

Civ. 2e, 25 juin 2020, n° 19-18.263

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Mots-clés

réparation intégrale, pertes de gains professionnels actuels, évaluation

Rubriques

Victime directe blessée : préjudices patrimoniaux

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 24 avril 2019), le 22 avril 1997, M. W…, qui pilotait une motocyclette, a été blessé après avoir percuté un taureau qui divaguait sur la chaussée.

2. Par jugement du 29 septembre 1998, un tribunal de grande instance a déclaré M. H… responsable du préjudice subi par M. W… sur le fondement de l’article 1385 du code civil, alors applicable, a dit qu’il serait tenu de réparer les conséquences dommageables de cet accident, solidairement avec son assureur, la société caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire, dite Groupama Loire Bretagne (la société Groupama Loire Bretagne), et a ordonné une expertise médicale. Le juge de la mise en état a ordonné par la suite de nouvelles expertises, notamment pour tenir compte de l’aggravation de son état alléguée par M. W…

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Énoncé du moyen

4. M. W… fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement et de fixer son préjudice avant aggravation pour la tierce personne temporaire à la somme de 16 408 euros et de lui refuser ainsi toute assistance par une tierce personne après le 30 juillet « 2008 », date de la reprise de ses activités professionnelles alors « que le poste de préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne indemnise la perte d’autonomie de la victime restant atteinte, à la suite du fait dommageable, d’un déficit fonctionnel permanent la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne ; que ce poste recouvre tous les actes de la vie courante que la victime est empêchée de faire par suite de l’accident et ne se confond pas avec le déficit fonctionnel permanent, même si ce dernier est indispensable pour l’allocation d’une indemnité tierce personne ; que M. W… avait sollicité l’indemnisation de l’assistance tierce personne dont il avait eu besoin – assistance qui s’était prolongée au-delà de la reprise d’activité professionnelle en juillet 1998 en raison de la limitation fonctionnelle des deux poignets qui rendait M. W… incapable de porter des charges et de faire des mouvements forcés des poignets et qui se ressentait dans la vie quotidienne – ; que la cour a relevé que « l’expert avait constaté la nécessité d’une aide humaine jusqu’au mois de juillet 1998, date de reprise de ses activités professionnelles par M. W… et que la persistance des gênes fonctionnelles douloureuses des deux poignets revendiquée par M. W… au soutien de sa demande d’allocation d’indemnité tierce personne à vie sont prises en compte dans le déficit fonctionnel permanent, mais n’étaient pas de nature à rendre M. W… incapable d’accomplir seul, sans l’aide d’une tierce personne, certains actes essentiels de la vie, à savoir ceux permettant l’autonomie locomotive, l’alimentation et son élimination, ou tributaire d’une aide pour restaurer sa dignité ou suppléer sa perte d’autonomie » ; qu’elle en a déduit que le besoin d’assistance par une tierce personne était à retenir jusqu’au 30 juillet 1998 et selon le nombre d’heures non contesté retenu par le tribunal ; qu’en statuant de la sorte, quand le poste d’assistance tierce personne vise à réparer le besoin qu’éprouve une personne d’une aide humaine pour exécuter les actes de la vie courante quels qu’ils soient et non pas seulement pour marcher, exagérément restrictive, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 1382 ancien du Code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

5. Ayant relevé que la persistance des gênes fonctionnelles douloureuses des deux poignets et du coude droit invoquées par M. W… au soutien de sa demande d’allocation d’une indemnité pour l’aide par une tierce personne n’était pas de nature à le rendre tributaire d’une aide pour restaurer sa dignité ou suppléer sa perte d’autonomie, la cour d’appel qui, en dépit d’une maladresse d’expression, n’a pas limité l’indemnisation de ce poste de préjudice à l’impossibilité d’accomplir certains seulement des actes de la vie courante, a souverainement estimé qu’aucune indemnisation n’était due à ce titre pour la période postérieure au 30 juillet 1998.

6. Le moyen n’est dès lors pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Énoncé sur moyen

7. M. W… fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement et de fixer son préjudice avant aggravation pour la perte de gains professionnels actuels à la somme de 58 506 euros, alors « que les pertes de gains professionnels actuels correspondent aux pertes de revenus éprouvées par la victime jusqu’au jour de sa consolidation ; qu’elles sont indemnisées sur la base des revenus salariaux ou tirés de l’activité professionnelle libérale, commerciale ou artisanale et appréciées en valeur nette hors incidence fiscale ; que la cour d’appel n’a pourtant accordé à M. W…, au titre des pertes de gains professionnels actuels, que l’indemnisation du surcoût engendré par l’embauche d’un mécanicien pour le remplacer, après déduction des charges sociales et fiscales, soit la somme de 58 506 euros ; qu’en procédant à une telle déduction, que le tribunal n’avait pas faite, la cour d’appel a violé les dispositions de l’ancien article 1382 du Code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

8. Pour fixer le préjudice avant aggravation au montant de 58 506 euros pour la perte de gains professionnels actuels, l’arrêt, après avoir relevé que M. W… avait repris son activité professionnelle au sein de la société en nom collectif dont il détenait 50 % du capital, mais cantonnée à la partie administrative alors qu’avant l’accident il assurait principalement les travaux de mécanique, énonce qu’il convient de retenir la somme de 58 506 euros correspondant à la perte de revenus liée à l’embauche d’un mécanicien pour remplacer la victime, après déduction des charges sociales et fiscales.

9. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que ces charges, assumées pour pourvoir au remplacement de la victime, étaient en lien direct avec l’accident, la cour d’appel a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l’arrêt attaqué fixant à la somme de 58 506 euros la perte de gains professionnels actuels entraîne, par voie de conséquence, celle des dispositions fixant les préjudices avant aggravation de M. W… au montant total de 158 466,05 euros et condamnant solidairement M. H… et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire, dite Groupama Loire Bretagne, à payer à M. W… la somme de 167 726,90 euros ainsi que des dispositions relatives au recours de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants de Bretagne en sa qualité de tiers payeur, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il fixe le préjudice avant aggravation de M. W… au montant de 58 506 euros pour la perte de gains professionnels actuels, fixe les préjudices avant aggravation de M. W… au montant total de 158 466,05 euros, condamne solidairement M. H… et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire, dite Groupama Loire Bretagne, à payer à M. W… la somme de 167 726,90 euros, condamne solidairement M. H… et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire, dite Groupama Loire Bretagne, à payer à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants de Bretagne la somme de 150 783,86 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 février 2015 et la somme de 1 037 euros sur le fondement de l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, l’arrêt rendu le 24 avril 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

Citer cet article

Référence électronique

« Précisions sur l’évaluation des pertes de gains professionnels actuels en cas d’embauche d’un remplaçant », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 19 mars 2021, consulté le 17 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1424

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