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Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 17 mars 2021), le 3 décembre 1988, M. [D] a été victime d’un accident de la route alors qu’il était passager d’un véhicule, assuré par la société Gan assurances (l’assureur), conduit par M. [S].
2. Par jugement du 11 octobre 1991, décision irrévocable, un tribunal de grande instance a accordé à M. [D] diverses sommes au titre de l’indemnisation de ses préjudices. M. [D], invoquant une aggravation de son préjudice, a saisi un juge des référés lequel a ordonné une mesure d’expertise.
3. Le rapport d’expertise, déposé le 20 octobre 2014, a constaté que l’aggravation de l’état de santé de M. [D] était la conséquence de l’accident de la circulation du 3 décembre 1988. La nouvelle date de consolidation a été fixée au 4 mars 2016 après la réalisation de deux nouvelles mesures d’expertises ordonnées par décisions des 26 juin 2015 et 1er juillet 2016.
4. Le 7 juin 2018, M. [D] a assigné devant un tribunal de grande instance l’assureur et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aveyron aux fins d’indemnisation de l’aggravation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le cinquième moyen
Énoncé du moyen
5. M. [D] fait grief à l’arrêt de rejeter la demande au titre du préjudice d’agrément, alors « que le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé qu’« il n’est pas contesté que le préjudice d’agrément existait déjà avant l’aggravation de 2012 mais il est également admis par l’assureur, ainsi que le retient l’expert que, privé avant 2012 de l’exercice d’activités sportives, à l’exception du vélo, M. [D] se voit désormais privé depuis l’aggravation de son état de ses activités quotidienne[s] de loisirs comme le jardinage, la marche la pétanque » ; que dès lors, en retenant, pour rejeter la demande de M. [D] au titre du préjudice d’agrément, que « ce préjudice qui touche finalement à ses conditions d’existence se trouve déjà indemnisé par l’indemnité allouée au titre du DFP », cependant qu’il ressortait de ses propres constatations que M. [D] se trouvait, à la suite de l’aggravation de son état de santé, dans l’impossibilité de continuer à pratiquer des activités spécifiques sportives ou de loisirs, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
6. L’arrêt relève que, depuis l’aggravation de son état, M. [D] se voit désormais privé de ses activités quotidiennes de loisirs comme le jardinage, la marche, la pétanque.
7. L’arrêt retient que s’il ne peut être contesté que l’aggravation de son état a une répercussion sur des activités de plein air non spécifiques qui sont celles auxquelles tout un chacun s’adonne de sorte que M. [D] n’a pas à en justifier particulièrement, ce préjudice qui touche finalement à ses conditions d’existence se trouve déjà indemnisé par l’indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent.
8. De ces constatations et énonciations la cour d’appel, qui a souverainement retenu que M. [D] ne rapportait pas la preuve d’une impossibilité à continuer, depuis l’aggravation, la pratique d’une activité spécifique, sportive ou de loisirs, en a exactement déduit que son préjudice d’agrément n’était pas établi.
9. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Énoncé du moyen
10. M. [D] fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement ayant fixé à la somme de 3 107,15 euros la condamnation de l’assureur au titre du préjudice professionnel temporaire, alors « que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu’en affirmant, s’agissant de l’activité d’auto-entrepreneur créée par M. [D] à compter de juillet 2014, que « s’il n’a pas perçu de revenus, ce qui est généralement la situation en matière de création d’entreprise, cela ne peut être mis en relation avec une aggravation de son état de santé », après avoir pourtant constaté qu’« il ne peut être contesté le retentissement des douleurs sur l’activité professionnelle du sujet, l’expert retenant clairement une dégradation de l’état de santé de M. [D] en raison des douleurs qu’il subit et retient « leur incidence permanente sur son activité de micro-entreprise », ce dont il résultait que l’aggravation de l’état de santé de M. [D] avait entravé l’exercice de son activité d’auto-entrepreneur et était donc la cause de son absence de revenus, la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de motifs, en violation de l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.
12. Pour fixer le préjudice de perte de gains professionnels actuels de M. [D], l’arrêt retient que seul l’arrêt effectif de toute activité entraînant cessation de revenus peut être indemnisé, qu’il n’est justifié que de 5 mois d’arrêt effectif du 5 octobre 2015, date à laquelle M. [D] a cessé son activité d’auto-entrepreneur, jusqu’au 4 mars 2016.
13. L’arrêt énonce, qu’au contraire, en juillet 2014, M. [D] n’a pas cessé toute activité mais a décidé de créer sa propre entreprise, ce qui ne peut être assimilé à un arrêt d’activité en lien avec l’aggravation de son état de santé, de sorte que s’il n’a pas perçu de revenus, ce qui est généralement la situation en matière de création d’entreprise, cela ne peut être mis en relation avec une aggravation de son état de santé.
14. En statuant ainsi, en subordonnant l’indemnisation de M. [D] au titre de la perte de gains professionnels actuels à l’arrêt effectif de toute activité et, en retenant, par ailleurs, que la perte de revenus ne pouvait être mise en relation avec l’aggravation de son état de santé, après avoir constaté que selon l’expert, « il ne pouvait être contesté le retentissement des douleurs sur son activité professionnelle et leur incidence sur son activité de micro-entreprise », la cour d’appel s’est contredite et a violé le texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen
Énoncé du moyen
15. M. [D] fait grief à l’arrêt de limiter à la somme de 5 540,87 euros la condamnation de l’assureur au titre de l’assistance temporaire d’une tierce personne, alors « que le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a écarté la majoration de 10 % pour charges patronales aux motifs propres que « M. [D] ne justifie pas avoir eu à l’acquitter, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge l’a écartée », et aux motifs adoptés que « s’agissant d’une aide familiale, il n’y a pas lieu en revanche de majorer cette somme de 10 % » ; qu’en excluant ainsi de l’indemnisation allouée à M. [D] les charges patronales, aux seuls motifs que la tierce personne qui l’avait assistée étant une aide familiale, il ne justifiait pas avoir eu à les acquitter, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
16. Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives.
17. Pour fixer l’indemnisation relative à l’assistance par tierce personne l’arrêt retient que M. [D] ne justifie pas avoir acquitté la majoration de 10 % pour charges patronales, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge l’a écartée.
18. En statuant ainsi, en excluant de l’indemnisation allouée à la victime les charges patronales au motif que la tierce personne qui l’avait assistée avant sa consolidation était une aide familiale, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Sur le troisième moyen
Énoncé du moyen
19. M. [D] fait grief à l’arrêt de limiter à la somme de 86 899,40 euros la condamnation de l’assureur au titre de l’assistance définitive d’une tierce personne, alors « que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu’en affirmant d’une part que « le taux horaire devait être plus justement fixé à 22 euros correspondant mieux aux besoins de M. [D] tels que définis par l’expertise » pour en déduire le calcul suivant « [(22 x 3 x 412) x 26,951]x6/46 », et d’autre part que le capital alloué s’élève à la somme de 86 899,40 euros en « tenant compte d’un besoin de 3 heures par jour sur une base de 412 jours au taux horaire de 20 euros », la cour d’appel s’est contredite et a violé l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 455 du code de procédure civile :
20. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.
21. Pour fixer le montant de l’assistance définitive par tierce personne l’arrêt retient que le taux horaire devait être fixé à 22 euros correspondant mieux aux besoins de M. [D] tels que définis par l’expertise, puis il prend en compte un taux horaire de 20 euros pour procéder au calcul du préjudice résultant de l’aggravation.
22. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est contredite, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen
Énoncé du moyen
23. M. [D] fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande au titre de la perte de retraite incluse dans le poste de perte de gains professionnels futurs, alors « que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l’insuffisance des preuves fournies par une partie ; qu’en retenant, pour rejeter la demande de M. [D] au titre de la perte de retraite, que « s’agissant des droits à retraite, M. [D] qui a été débouté de sa demande en première instance à défaut de donner aucune indication quant à son activité professionnelle antérieure et d’apporter le moindre élément d’évaluation de celle-ci, demeure défaillant devant la cour alors qu’il ne saurait comme il le prétend bénéficier d’une indemnisation forfaitaire de ce chef » et, par motifs adoptés, que « la perte de retraite alléguée par M. [D] apparait en l’espèce insuffisamment démontrée au regard de son parcours professionnel, de l’absence de toute simulation et des lois applicables en la matière », cependant qu’elle relevait que M. [D], âgé de 51 ans au jour de la consolidation, avait subi un retentissement professionnel en lien avec l’aggravation de l’état de santé, qu’il était incontestable que l’arrêt de son activité professionnelle était en relation avec l’aggravation de son état de santé et retenait qu’il avait subi une perte de gains professionnels, indemnisée à hauteur de 67 398,32 euros, jusqu’à l’âge de 65 ans auquel il aurait pris sa retraite si l’accident ne s’était pas produit, ce dont il résultait qu’il avait nécessairement subi une diminution de ses droits à la retraite, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations et a violé l’article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
24. La société Gan assurances conteste la recevabilité du moyen. Elle allègue que devant la Cour de cassation, M. [D] ne soutient plus qu’il n’était pas possible d’évaluer le préjudice dont il demandait réparation, ainsi qu’il le faisait valoir devant la cour d’appel, et reproche à l’inverse aux juges du fond de n’avoir pas procédé à cette évaluation. Elle en déduit que le moyen est irrecevable, comme étant incompatible avec les conclusions d’appel du demandeur au pourvoi.
25. Cependant, M. [D] invoquait tant devant les juges du fond que devant la Cour de cassation que le préjudice de perte de droits à la retraite était fondé en son existence et ce n’est qu’en ses méthodes d’évaluation que son argumentation a évolué. Le moyen soulevé devant la Cour de cassation n’est pas incompatible avec les conclusions d’appel.
26. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l’article 4 du code civil :
27. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l’insuffisance des preuves fournies par une partie.
28. Pour rejeter la demande formée au titre de la perte de droits à la retraite, l’arrêt énonce que M. [D] qui a été débouté de sa demande en première instance à défaut de donner aucune indication quant à son activité professionnelle antérieure et d’apporter le moindre élément d’évaluation de celle-ci, demeure défaillant devant la cour alors qu’il ne saurait comme il le prétend bénéficier d’une indemnisation forfaitaire de ce chef.
29. En statuant ainsi, alors qu’elle relevait qu’il était incontestable que M. [D] avait subi un retentissement professionnel en lien avec l’aggravation de l’état de sa santé, que sa faible capacité de travail résiduelle quasi insignifiante ne lui avait pas permis de maintenir son activité d’auto-entrepreneur et retenait qu’il avait subi une perte de gains jusqu’à l’âge de 65 ans, ce dont il résultait, en l’absence d’éléments contraires, qu’il avait nécessairement subi une diminution de ses droits à la retraite, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations et a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné la compagnie Gan assurance au titre de l’aggravation à la somme de 5 540,87 euros, au titre de l’assistance temporaire d’une tierce personne, à la somme de 3 107,15 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, à la somme de 86 899,40 euros au titre de l’assistance définitive d’une tierce personne et à la somme de 67 398,32 euros le poste de perte de gains professionnels futurs, l’arrêt rendu le 17 mars 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; [...]