(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 20 mai 2021), Mme [V], victime de faits de viol lors d’un séjour en Guinée-Bissau ayant entraîné une infection par le virus de l’immunodéficience (VIH) a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) aux fins d’indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident formé par Mme [V], ci-après annexé
2. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen du pourvoi principal formé par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions
Enoncé du moyen
3. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (le FGTI) fait grief à l’arrêt d’allouer à Mme [V] la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d’établissement alors « que le préjudice d’établissement consiste en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap ; qu’en jugeant que Mme [V] aurait subi un tel préjudice dès lors que « le syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme [V] et sa grande difficulté à renouer une relation avec un homme, en raison tant des réminiscences des viols qu’elle a subi que de sa contamination par le VIH » cependant qu’il résultait de ses propres constatations que Mme [V] avait pu fonder une famille et avait eu plusieurs enfants, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir rappelé que le préjudice d’établissement consiste en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, la cour d’appel a constaté que le syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme [V] et sa grande difficulté à renouer une relation avec un homme, en raison tant des réminiscences des viols qu’elle a subis que de sa contamination par le VIH lui causent un préjudice spécifique d’établissement.
5. Elle a ainsi, sans méconnaître le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, souverainement mis en évidence l’existence de ce préjudice résultant de l’impossibilité de fonder une nouvelle vie de couple.
6. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal formé par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions
Enoncé du moyen
7. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (le FGTI) fait grief à l’arrêt d’allouer à Mme [V] la somme de 375 753,62 euros au titre de l’aide par tierce personne, alors « que le poste de préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne indemnise la perte d’autonomie de la victime restant atteinte, à la suite du fait dommageable, d’un déficit fonctionnel permanent la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne ; qu’en jugeant que Mme [V] nécessiterait l’assistance d’une tierce personne en raison de ce qu’elle aurait eu, jusqu’au 5 mars 2017, « besoin d’être accompagnée par un tiers dans des circonstances particulières pour elle angoissante et qui réactivaient son syndrome anxio-dépressif » et qu’elle ne pourrait en outre, depuis les faits et pour l’avenir, « plus conduire de véhicule automobile en raison de la prise de psychotropes », cependant qu’il résultait de ses propres constatations que « Mme [V] pouvait accomplir seule tous les actes de la vie courante réalisables à son domicile, où elle se sentait en sécurité, et qu’elle était aussi en mesure d’effectuer seule des sorties pour des courses, mais aussi des voyages lointains, puisqu’elle avait pu se rendre à la Réunion pour y voir son fils », ce dont se déduisait l’absence de nécessité de recourir à un tiers pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. L’insuffisance de motifs équivaut à l’absence de motifs.
9. L’arrêt refuse d’abord d’écarter des débats le rapport de l’expert judiciaire qui ne retient pas de besoin en tierce personne après consolidation, et indique qu’il convient d’en apprécier la pertinence au regard des autres éléments médicaux produits.
10. Il rappelle ensuite les doléances de Mme [V] formulées dans un texte rédigé en vue de l’expertise. Il relève que le médecin psychiatre traitant Mme [V] depuis 2004 a établi deux certificats dans lesquels il indique qu’elle est vulnérable psychologiquement, qu’il lui est impossible de sortir seule de chez elle, uniquement pour ses besoins vitaux et que la prise de psychotropes rend la conduite automobile dangereuse. Il énonce ensuite que Mme [V] pouvait accomplir seule tous les actes de la vie courante réalisables à son domicile et qu’elle était aussi en mesure d’effectuer des sorties pour des courses, mais aussi des voyages lointains, puisqu’elle avait pu se rendre à la Réunion pour y voir son fils.
11. Il ajoute que Mme [V] a besoin d’être accompagnée par un tiers dans des circonstances particulières angoissantes pour elle, qu’elle ne peut plus conduire de véhicule automobile en raison de la prise de psychotropes et que le maintien de son autonomie commandait l’assistance d’un tiers conducteur.
12. Il relève ensuite que Mme [V] ne produit pas de pièces médicales pour la période commençant le jour de la consolidation, excepté le certificat de son psychiatre mentionnant la prise d’un traitement psychotrope ce qui implique un besoin d’assistance pour la conduite automobile, pour les besoins de la vie courante et ceux des loisirs et des vacances et retient un besoin en tierce personne de deux heures par jour du 4 mars 2009 au 5 mars 2017 et d’une heure par jour après consolidation.
13. En statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser les besoins en tierce personne de Mme [V], la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu’il alloue à Mme [V] la somme de 375 753,62 euros au titre de l’aide par tierce personne, l’arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ;
Remet sur ce point l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ; (…) ».