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Application de la règle en « fait de meuble possession vaut titre »

Antoine Nallet


1Selon les dispositions de l’article 2276 du Code civil, est propriétaire du meuble celui qui le possède. L’ambiguïté de la formulation pousse à l’ellipse (W. Dross, « Le singulier destin de l’article 2279 du Code civil », RTD civ., 2006 p. 27). En effet, les termes « vaut » et « titre » permettent une dualité d’interprétation. Ainsi, soit la possession permet, comme un titre (instrumentum), de prouver la propriété, parce qu’elle la fait présumer. Soit la possession est un titre de propriété (negotium) et devient dès lors un mode d’acquisition instantanée d’un meuble appartenant à autrui. Aujourd’hui, l’article 2276 alinéa 1 recouvre cette double signification.

2L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon rend compte des difficultés relatives à cette dualité d’interprétation et de surcroit, il est une nouvelle illustration de l’importance des règles de preuve liées au contentieux de la propriété mobilière. Dans les faits, un couple acquiert un véhicule au cours de leur concubinage. Le certificat d’immatriculation du véhicule est au nom des deux protagonistes. À la suite de la rupture de leur vie commune, la concubine reprend la possession du véhicule. Le concubin saisit alors le tribunal d’instance pour obtenir la condamnation sous astreinte de la concubine à lui restituer le véhicule ainsi que le certificat d’immatriculation. Le tribunal a jugé qu’à défaut de rapporter la preuve de l’achat exclusif du concubin, le certificat d’immatriculation fait présumer une propriété indivise. Aucun des deux protagonistes ne peut donc prétendre à une propriété exclusive du véhicule. En conséquence, le tribunal condamne la personne en possession du bien (la concubine) à payer la moitié de la valeur du véhicule.

3La concubine interjette appel de la décision. Cette dernière fait valoir, au fond, son droit de propriété exclusif sur le véhicule en vertu des dispositions des articles 544 et 2276 du Code civil. Au visa de ces articles, il faut en déduire que la possession du véhicule par la concubine permet, comme un titre, de prouver sa propriété sur ce dernier. Le possesseur est donc dispensé d’apporter une quelconque preuve des conditions dans lesquelles il était entré en possession du bien (Cass. civ. 1re, 11 juin 1991, n°89-20.422, Bull. civ. I, n° 199) puisque sa seule possession vaut titre de propriété. Le revendiquant n’a d’autre possibilité que de prouver que la possession ne présente pas toutes les qualités nécessaires à l’application de la règle. En retour, les conclusions de l’intimé tendent à obtenir la restitution sous astreinte du véhicule au motif qu’il est seul à en avoir payé le prix.

4La cour d’appel rejette les prétentions de l’appelante au motif que la possession de l’article 2276 du Code civil suppose l’absence d’équivocité et un exercice à titre de propriétaire. Depuis la réforme de la prescription en matière civile (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008), l’exigence de non équivocité de la possession trouve un meilleur fondement textuel. En effet, l’article 2276, en tant que règle relative à la prescription acquisitive mobilière, est soumis explicitement aux conditions générales de cette prescription (C. civ., art. 2261), au titre desquelles figure le caractère non équivoque de la possession.

5« C’est à la possession que l’équivoque doit une triste notoriété en même temps qu’une reconnaissance juridique » (G. Nicolau, « l’équivoque entre vice et vertu », RTD civ., 1996, p. 57). Il s’agit en effet du vice de la possession le plus fréquemment invoqué devant les tribunaux notamment lorsque l’article 2276 a une fonction probatoire.

6La possession non équivoque est celle dans laquelle le possesseur agit sans ambiguïté conformément à la qualité à laquelle il prétend. Il faut qu’elle révèle clairement l’animus du possesseur. À l’opposé, la possession équivoque est celle dans laquelle le possesseur accomplit des actes qui ne manifestent pas son animus et qui peuvent s’expliquer autrement que par la prétention d’un droit sur la chose (F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, Précis Dalloz, n°180). En l’espèce, pour déclarer la possession de la concubine équivoque, la cour d’appel raisonne de la manière suivante : le sort du véhicule n’a pas été traité par les concubins et le certificat d’immatriculation est au nom des deux, on ignore donc à quel titre elle possède, dès lors, il y a une présomption de propriété indivise.

7La solution retenue ici par la cour d’appel paraît contestable. Le caractère équivoque de la possession se déduit-il du concubinage ou du certificat d’immatriculation ? S’il est fréquent pour les juges du fond de considérer une possession équivoque lorsqu’un véhicule a été acquis pour l’utilité commune des concubins (CA Toulouse, 1er ch., 16 janv. 1990, JurisData n° 1990-050815), ou encore en tenant compte des conditions conflictuelles de la rupture (CA Caen, 1er ch., 27 nov. 2007, JurisData n° 2003-250261), la Cour de cassation en revanche (Cass. civ. 1er, 24 oct. 2012, n° 11-16.431), dans une affaire similaire, juge les mentions du certificat d’immatriculation (établi au nom des deux concubins) comme source insuffisante d’équivocité. Cette solution constitue un principe corollaire de celui fixé de longue date selon lequel la carte grise n’est pas un titre de propriété (Cass. civ. 1er, 25 févr. 1958, Bull. civ. I, n° 114). En effet, le commerce des biens meubles est pour l’essentiel dépourvu de support de preuve écrite ou de formalité de publicité. À cet égard, le droit fait preuve de réalisme en protégeant le possesseur. La présence des deux noms sur le certificat d’immatriculation ne peut suffire à établir la preuve d’une indivision, l’immatriculation n’étant qu’une formalité de police dépourvue d’effets civils (T. civ. Seine, 25 févr. 1948, JCP G, 1949, II, 4719).

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre civile 6, 17 octobre 2013, n° 12/04463



Citer ce document


Antoine Nallet, «Application de la règle en « fait de meuble possession vaut titre »», BACALy [En ligne], n°4, Publié le : 13/02/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1148.

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Doctorant contractuel


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