Solidarité et déclaration de créances

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La solidarité prévue par les articles 1200 à 1216 du Code civil est courante dans la pratique des affaires, puisque nul n’ignore qu’en matière commerciale, celle-ci se présume. Nombreux sont les arrêts ayant statué sur les exceptions qui pouvaient être opposées par les codébiteurs poursuivis en paiement. En revanche, l’hypothèse où plusieurs codébiteurs solidaires font l’objet d’une procédure collective est rarement abordée en jurisprudence. L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 18 juin 2012 est l’occasion de rappeler l’articulation des dispositions des procédures collectives avec les règles civiles applicables à la solidarité.

En l’espèce, un créancier avait contracté avec trois codébiteurs solidaires, qui sont placés simultanément en sauvegarde. Le créancier déclare au passif des trois sociétés une créance identique correspondant à l’intégralité des sommes dues par les codébiteurs solidaires. Cette créance est admise au passif d’un des codébiteurs. La créance déclarée au passif du deuxième codébiteur fait l’objet d’une contestation aux motifs qu’il n’y aurait pas trois codébiteurs solidaires, mais un seul débiteur et, subsidiairement, que l’existence de plusieurs codébiteurs solidaires n’autoriserait pas à déclarer plusieurs fois la même créance au passif de chacun des codébiteurs, ce qui permettrait d’être payé plusieurs fois de la même créance. Le juge-commissaire rejette la créance déclarée au passif du deuxième codébiteur solidaire et la cour d’appel réforme, admettant au passif du deuxième codébiteur solidaire la même créance que celle admise au passif du premier.

Par cet arrêt, la cour d’appel de Lyon, après avoir écarté le premier moyen consistant à soutenir qu’il n’y avait qu’un seul débiteur, fait une exacte application des articles L. 622-31 et L. 622-32 du Code de commerce, qui ne font que reconduire la célèbre « théorie des coobligés ».

Le principe est que, dans l’hypothèse où plusieurs codébiteurs solidaires font l’objet d’une procédure collective, le créancier peut déclarer l’intégralité de ses créances au passif de chacun des codébiteurs, transposant ainsi l’article 1204 du Code civil, qui prévoit que « les poursuites faites contre l’un des débiteurs n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres ».

La cour précise que l’admission de la créance au passif d’un codébiteur ne fait donc obstacle ni à une déclaration ni à une admission de la même créance au passif d’un autre codébiteur.

Ensuite, la cour tire les conséquences des montants déclarés et de l’absence de contestation de ces derniers, pour en conclure à l’admission de la créance, en précisant, que l’admission de la même créance au passif de trois codébiteurs solidaires placés en sauvegarde « ne signifie pas que la société pourrait être payée trois fois dans le cadre d’un plan de sauvegarde desdites sociétés ».

Le débiteur soutenait qu’admettre la même créance, qui avait été admise au passif de son codébiteur solidaire, conduirait à un enrichissement du créancier, qui percevrait dans le cadre des plans de sauvegarde, le paiement de sa créance autant de fois qu’il y a de codébiteurs.

Tel n’est pas le cas, quand bien même l’article L. 622-32 du Code de commerce pose comme principe qu’« aucun recours pour les paiements effectués n’est ouvert aux coobligés soumis à une procédure de sauvegarde les uns contre les autres ». En effet, si cette règle déroge au droit commun de la solidarité, issu de l’article 1214 du Code civil, qui prévoit que le codébiteur solidaire, qui a payé l’intégralité d’une dette, peut répéter à l’encontre des autres codébiteurs, pour leurs parts et portions respectives, l’article L. 622-32 du Code de commerce poursuit, par une exception, en précisant « à moins que la réunion des sommes versées en vertu de chaque procédure n’excède le montant total de la créance, en principal et accessoire ; en ce cas, cet excédent est dévolu, suivant l’ordre des engagements, à ceux des coobligés qui auraient les autres pour garants ».

Concrètement, l’admission au passif de plusieurs codébiteurs solidaires de la même créance, en intégralité, ne peut conduire à un enrichissement du créancier. Lorsque le créancier est intégralement désintéressé, l’excédent des dividendes versés dans le cadre des plans de sauvegarde est restitué aux codébiteurs solidaires, afin de s’assurer que ces derniers ont réglé la dette, à concurrence de leurs parts et portions respectives.

Le recours ne se fait donc pas entre codébiteurs solidaires, comme c’est le cas, lorsqu’ils sont in bonis, mais par prélèvement sur les dividendes versés par chaque codébiteur dans le cadre de son plan de sauvegarde, afin de concilier :

- d’une part, les garanties apportées par le mécanisme de la solidarité, au bénéfice du créancier,

- d’autre part, l’absence d’enrichissement sans cause du créancier.

Cet arrêt peut être rapproché de la solution dégagée par le médiatique arrêt Belvédère (Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10.25633, n° 10.25731, n° 10.25908) en matière de solidarité active. Plusieurs créanciers solidaires d’une même obligation peuvent déclarer chacun l’intégralité de la créance au passif du même débiteur. La créance n’en sera pas pour autant payée plusieurs fois, les versements effectués dans les mains de l’un étant opposables à tous (L. D’Avout, N. Borga, « Les ‘‘dettes parallèles’’ de droit étranger reconnues dans la faillite française », D. 2011, p. 2518).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 18 juin 2012, n° 11/03225

Citer cet article

Référence électronique

Charles Croze, « Solidarité et déclaration de créances », Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon [En ligne], 2 | 2012, mis en ligne le 17 janvier 2013, consulté le 17 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1509

Auteur

Charles Croze

Avocat au barreau de Lyon

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