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Hospitalisation sous contrainte : la valeur du déni

Clara Delmas


1Au cours de ces six derniers mois, quatre arrêts de la cour d’appel de Lyon ont alimenté la jurisprudence lyonnaise en matière d’hospitalisation sous contrainte. Ces quatre affaires concernaient la contestation en appel d’ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention, statuant sur le maintien de mesures d’hospitalisation complète sans consentement au-delà d’une période de douze jours (pour un retour doctrinal sur les conditions de ce maintien, v. I. Maria, « Des conditions du maintien de l’hospitalisation sans consentement », Dr. Fam. 2016, n° 4, comm. 92).

2Parce qu’elle a pour effet de restreindre la liberté individuelle du patient, toute mesure d’hospitalisation complète sans consentement fait l’objet d’un contrôle systématique exercé par le juge des libertés et de la détention relativement à son bien-fondé, voire à son maintien. En vertu de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique, il appartient ainsi au juge judiciaire de s’assurer que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles du patient, que constituent les mesures d’hospitalisation sans consentement, sont « adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ».

3Le bien-fondé de la mesure doit, en outre, être apprécié au regard des certificats et avis médicaux communiqués. Ils prennent alors une place toute particulière dans le processus décisionnel des juges dès lors que ces derniers ne peuvent substituer leur avis à l’évaluation médicale des troubles du patient (sur ce point, v. I. Maria, « Juge et certificat médical : les liaisons dangereuses », Dr. fam., 2017, n° 11, comm. 232). Si, en la matière, l’appréciation judiciaire repose substantiellement sur l’appréciation médicale, celle-ci n’est toutefois pas dénuée de tout contrôle. Il est en effet de jurisprudence constante que le médecin peut engager sa responsabilité contractuelle à raison des inexactitudes présentes dans un certificat médical (v. par ex. : Caen, 16 janv. 1901 : DP 1904. 2. 370 ; S. 1904. 2. 172 ; Nîmes, 3 juill. 1911 : S. 1913. 2. 177, note Perrau, DP 1914. 2. 85, note Legris ; Grenoble, 13 mars 1931 : Gaz. Pal. 1931. 2. 776 ; Nîmes, 6 juin 1955 : D. 1956. 473, note Prévault ; JCP 1956. II. 9038). Partant, si l’appréciation judiciaire repose entièrement sur la production de ces certificats médicaux, leur qualité peut être contestée et contrôlée lorsque sont alléguées des inexactitudes ayant généré un préjudice.

4Chacune des quatre affaires soumises à la cour d’appel de Lyon repose ainsi sur des constats effectués dans des certificats et avis médicaux. Dans la première affaire par exemple, les juges ont retenu que constitue des troubles mentaux justifiant le maintien de l’hospitalisation complète sous contrainte, le fait pour la patiente d’être suivie depuis plusieurs années pour une pathologie psychiatrique, de présenter actuellement un « rationalisme morbide important, des idées délirantes de persécution et un déni de la nécessité de soins » mais aussi une « désorganisation psychique avec des persévérations idéiques ». Dans la deuxième affaire, la décision est appuyée par cinq certificats médicaux faisant état du risque grave pour l’intégrité de la patiente en raison de son état délirant, de son déni total du caractère pathologique de ses troubles actuels et du fait qu’elle ait déjà interrompu son traitement.

5Néanmoins, un point commun attire l’attention : celui de l’importance qu’accordent juges et médecins à la conscience du patient de son état psychologique et de son intention de suivre un traitement médical. Sans surprise, tout indique que la conscience de ses troubles psychiatriques par le patient est un élément déterminant dans l’appréciation du caractère proportionné de son maintien en hospitalisation sous contrainte. La première chambre civile de la Cour de cassation a en effet déjà eu l’occasion de valider la décision d’un premier président de cour d’appel qui avait relevé le déni de reconnaissance par le patient de ses troubles psychologiques et son refus de suivre un traitement pour justifier le maintien de son hospitalisation complète sans consentement (Cass. 1re civ., 10 févr. 2016, n° 14-29.521). La cour d’appel de Lyon s’inscrit dans la même logique.

6Dans la première affaire, les juges relèvent ainsi que la patiente contestait être atteinte de troubles psychiatriques et n’entendait pas non plus prendre son traitement ni voir son médecin. Dans le deuxième arrêt, la patiente contestait elle aussi être atteinte de troubles psychiatriques. Ce déni constitue d’ailleurs un élément déterminant de la décision de maintien de son placement en hospitalisation sous contrainte. Dans la troisième affaire, le maintien en hospitalisation sous contrainte de la patiente bipolaire est notamment appuyé par l’absence de conscience de sa pathologie et de la nécessité de se soumettre à un traitement à long terme. Dans la quatrième affaire, la décision est appuyée par trois certificats médicaux relatant notamment l’absence de conscience, par le patient, de ses troubles et son opposition aux soins se traduisant par une mauvaise qualité de l’observance médicamenteuse, voire par l’interruption de son traitement. Pour la cour d’appel de Lyon, le fait pour le patient de rester dans un tel déni des soins psychiatriques – eux-mêmes de nature à compromettre la sécurité des personnes – et d’avoir mis en échec son programme de soin justifie son hospitalisation complète sans son consentement.

7Par ces quatre arrêts, la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans une jurisprudence en vertu de laquelle le refus de tout traitement par le patient qui ne reconnait pas l'existence de ses troubles rend son hospitalisation complète incontournable. Une telle position s’explique notamment par le fait que les pathologies psychiatriques ont souvent pour particularité de compromettre la capacité de l’individu à raisonner et à prendre des décisions conformes à son intérêt, notamment celle de se soigner. Le « déni » de la pathologie est d’ailleurs souvent institué en psychiatrie comme un critère éminent du trouble mental. Sur le plan axiologique, une telle position peut toutefois laisser perplexe en ce qu’elle impose juridiquement une hospitalisation sous contrainte au motif précisément que cette hospitalisation n’est pas voulue par le patient.

Arrêts commentés :
CA Lyon, premier président, 19 août 2019 – n° 19/05829
CA  Lyon, premier président, 30 septembre 2019 – n° 19/06516
CA  Lyon, premier président, 3 octobre 2019 – n° 19/06630
CA  Lyon, premier président, 28 novembre 2019 – n° 19/08031



Citer ce document


Clara Delmas, «Hospitalisation sous contrainte : la valeur du déni», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2207.

Auteur


À propos de l'auteur Clara Delmas

Docteure en droit privé, chercheuse au Centre de droit de la famille, université Jean Moulin Lyon 3
ATER à l’université Paris V – Paris Descartes


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