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Le manquement à l’obligation de loyauté du mandataire n’implique pas nécessairement concurrence déloyale

Samir Mérabet


1Si les faits du présent arrêt sont relativement classiques, l’issue du litige est pour sa part plus surprenante.

2En l’espèce, une agence immobilière avait conclu un contrat d’agence commerciale à durée indéterminée avec deux agents immobiliers, le 6 décembre 2010. La relation allait prendre fin le 10 septembre 2013 à l’initiative des deux mandataires. Pourtant, leur inactivité aura été de courte durée puisqu’ils allaient conclure le 23 septembre suivant un contrat d’agent commercial auprès d’une agence immobilière concurrente. Dès à présent, l’on pressent poindre un conflit entre les deux agents commerciaux et leur ancien mandant. Très rapidement, ce dernier va constater une perte de clientèle, au profit de l’agence concurrente, l’incitant à introduire une action en concurrence déloyale à l’encontre de son concurrent et des deux agents.

3L’existence d’un préjudice : l’évidente perte de clientèle. A priori, l’action litigieuse avait des chances de succès sur le terrain du préjudice. En effet, l’arrêt fait clairement état des conséquences préjudiciables subies par le mandataire à l’issue du départ de ses deux agents commerciaux. Ainsi, il est attesté que plusieurs propriétaires dont les dossiers étaient gérés par les anciens agents ont résolu les contrats de mandats qui les unissaient à l’agence immobilière les 26 septembre, 10 octobre et 23 octobre 2013 pour rejoindre l’agence concurrente. Le dommage est donc réel même s’il n’emporte aucune perte immédiate pour l’agence immobilière. Le préjudice s’analyse alors comme une perte de chance de conclure les contrats de vente en cause. Néanmoins, dans la mesure où l’agence n’avait pas de mandat exclusif, il est permis de penser que la réparation à laquelle elle pourrait prétendre aurait sans doute été limitée. En effet, la perte de chance ne permet d’obtenir qu’un pourcentage de l’avantage espéré et dépend notamment de la probabilité de réalisation de l’évènement. Or, en l’absence d’exclusivité, on comprend que la vente des biens immobiliers était d’autant moins certaine. En toute hypothèse, la question du préjudice n’avait pas véritablement lieu de se poser en l’espèce. En effet, c’est l’absence de faute qui a conduit à l’échec des prétentions du requérant.

4L’absence de faute : l’introuvable agissement déloyal. Les faits de la présente espèce révèlent l’existence de plusieurs comportements des agents commerciaux dont la légalité apparaissait a priori incertaine. Il apparait en effet que plusieurs offres de vente de biens appartenant à d’anciens clients de l’agence immobilière ont été mises en ligne sur le site de leur concurrent, entre le 2 octobre et le 6 octobre 2013, par les deux agents commerciaux. Or, leur préavis prenait fin le 10 octobre 2013. On pourrait penser que ces faits révèlent une déloyauté manifeste de la part des deux agents commerciaux. La cour d’appel pourtant va procéder à une analyse plus subtile. Elle juge en effet que « l’agent commercial commet une faute pour ne pas avoir informé son mandant de l’exercice au profit d’un concurrent d’une activité en tout point similaire ». Elle en déduit dès lors que ce comportement de l’agent commercial « caractérise un manquement à son obligation de loyauté ». L’affaire pourrait paraitre entendue. Pourtant, immédiatement, les juges d’appel précisent que les faits litigieux ne caractérisent pas « un comportement constitutif de concurrence déloyale si l’activité développée au profit du concurrent d’un mandant n’a pas été accompagnée de manœuvres destinées à détourner irrégulièrement la clientèle de ce dernier ou à désorganiser son entreprise ». On comprend dès lors que le manquement à l’obligation de loyauté sur le terrain contractuel n’emporte pas nécessairement une déloyauté sur le terrain délictuel. La concurrence déloyale suppose encore l’existence de manœuvre positive tendant à nuire à un tiers. La solution peut surprendre. Le démarchage de clients du mandant, à une époque où les agents commerciaux étaient encore contractuellement liés à lui constitue bien un comportement qui mérite d’être stigmatisé par les juges. Néanmoins, on peut comprendre la position retenue par les juges. Admettre un acte de concurrence déloyale en l’absence de toutes manœuvres contraires aux usages du commerce serait trop attentatoire à la liberté du commerce et de l’industrie. En ce sens, la rigueur des juges dans la caractérisation des agissements de concurrence déloyale doit être approuvée et ce d’autant plus que le requérant disposait de moyens lui permettant de se prémunir contre les comportements litigieux.

5L’alternative contractuelle : la stipulation de clause d’exclusivité et de non-concurrence. À l’étude, la solution rendue par la cour d’appel peut apparaitre bien peu protectrice des intérêts du mandant. La cour constate l’existence d’une perte significative de clientèle et caractérise un manquement des mandataires à leur obligation de loyauté sans pour autant admettre leur responsabilité. Si la cour d’appel se prononce en ce sens, on comprend également que c’est en raison des alternatives dont disposait le mandant pour éviter la situation litigieuse. En effet, la cour prend le soin de souligner que les contrats conclus entre le mandant et ses mandataires « ne stipulaient pas de clause d’exclusivité et de non-concurrence ». Ainsi, il était possible d’anticiper la concurrence des anciens mandataires par l’introduction de clause ayant pour objet de limiter le principe de libre concurrence. Si les parties avaient pris le soin de le faire, il est certain que les comportements litigieux auraient été sanctionnés non pas sur le terrain délictuel, mais sur un fondement contractuel qui aurait considérablement facilité la démonstration d’une faute. Cette espèce rappelle ainsi tout l’intérêt d’anticiper contractuellement les relations entre mandant et mandataire à l’issue de leur relation contractuelle.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 9 mai 2019, n° 17/05451



Citer ce document


Samir Mérabet, «Le manquement à l’obligation de loyauté du mandataire n’implique pas nécessairement concurrence déloyale», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2270.

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À propos de l'auteur Samir Mérabet

Maître de conférences en droit privé, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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