La fixation de l’indemnité de garantie d’actif et de passif peut-elle être infectée par le « virus fiscal » ?

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Mots-clés

garantie d’actif et de passif, dette fiscale, interprétation du contrat

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Droit des sociétés

Texte

Si la doctrine s’est intéressée de façon abondante aux conséquences fiscales des conventions de garantie relatives aux cessions de droits sociaux, tant du côté du cédant que du cessionnaire (P. Coudin, « Sur certains aspects fiscaux des conventions de garantie dans les cessions de droits sociaux », JCP E 1990, 1, 15691. ; J. Turot, « Le traitement fiscal des conventions de garantie de passif », RJF 10/91, p. 687 s. et RJF 11/91, p. 775 s. ; J.-C. Parot, « Plus-values sur valeurs mobilières et droits sociaux : l’exécution des conventions de garantie de passif - La nouvelle donne fiscale », Dr. fisc. 2002, n° 21, p. 790 et s.), c’est sous un prisme inversé que s’est posée, devant la cour d’appel de Lyon, la question de la relation entretenue par les garanties d’actif et de passif avec le droit fiscal : le contentieux indemnitaire peut-il être infecté par le « virus fiscal », selon l’expression de Cozian (M. Cozian, « Arbitrage et fiscalité des garanties de passif : l'arbitre doit-il prendre en compte la rétroactivité de la loi fiscale ? », JCP E 1998, 1023) ?

La cour d’appel de Lyon, par une décision du 24 septembre 2020 (CA Lyon, 3ch. A, 24 sept. 2020, n° 18/00799) rendue sans audience en application des dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire (ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, art. 8), se prononce par la positive, en admettant que l’incidence fiscale du paiement du passif chez la société cédée modifie l’étendue du montant de l’indemnité de passif mise à la charge du garant.

En l’espèce, M. X a cédé la totalité du capital d’une société dont il était gérant à la société Y par un acte du 28 novembre 2012. Un mois plus tard, il consent une garantie d’actif et de passif au bénéfice de l’acquéreur. Suite à cela, la société cédée, engagée dans deux procédures judiciaires, se voit condamnée au paiement d’une somme d’argent par un jugement du tribunal de grande instance réitéré en appel. L’acquéreur, entendant activer sa garantie, assigne le cédant en paiement de la somme d’argent à laquelle a été condamnée la société cédée. Par un jugement du 8 décembre 2017, le tribunal de commerce de Lyon déclare la demande de garantie fondée et déboute M. X de sa demande de déchéance de la garantie d’actif et de passif. Ce dernier, condamné au paiement de la somme d’argent ayant fait l’objet de la condamnation de la société cédée, relève appel de ce jugement.

Dans le cadre du litige opposant le cédant (garant) et le cessionnaire (bénéficiaire), s’est posée la question de l’impact de l’incidence fiscale du paiement du passif par la société cédée sur l’étendue de la garantie due par le cédant. En effet, le requérant invoquait le plafonnement de la garantie après déduction de l’impôt sur les sociétés, soit la prise en compte de l’avantage fiscal ou de la réduction d’impôt dont avait pu bénéficier la société cédée au titre du paiement du passif.

La cour d’appel accueille positivement cette demande en procédant de la façon suivante (les chiffres suivants ont été arrondis) : selon la cour, il est démontré que la société cédée a versé un montant de 90 244 euros au titre de ses condamnations, représentant le passif, auquel doit être déduite la somme de 11 740 euros correspondant au versement effectué par la société d’assurance au bénéfice de la société cédée au titre de sa couverture responsabilité civile. Le montant de base de la garantie est donc de 78 504 euros. À ce montant, la cour applique une « moins-value fiscale » de 33,33 % (correspondant au taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés à l’époque de l’évènement couvert par la garantie, en 2016), soit 26 165 euros. En conclusion, la somme due au titre de la garantie d’actif et de passif par le garant s’élève à 52 339 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure. Concernant ce raisonnement, plusieurs observations peuvent être formulées :

D’une part, cette décision s’inscrit à rebours de la position communément admise par la doctrine et la jurisprudence selon laquelle ne peut être déduite du montant de la garantie due par le garant la minoration d’impôt sur les sociétés dont pourrait bénéficier la société cédée, en application des règles fiscales, à la suite du paiement par celle-ci du passif (CA Paris, 8 sept. 1982 : BRDA 2/1983, p. 19. Plus largement, la cour de cassation admet que « les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et sur le calcul de l'indemnisation des victimes », en ce sens : Cass. 2e civ., 16 nov. 1994 : Bull. civ. II, n° 233 ; Juris-Data n° 002111, cité par M. Cozian, précit.). Il convient par ailleurs de préciser qu’une telle solution n’est envisageable qu’en présence d’un passif déductible pour la détermination du bénéfice imposable de la société cédée. Le passif admis en déduction vise classiquement les dépenses de frais généraux se traduisant par une diminution de l’actif net de l’entreprise, exposées dans l’intérêt de l’exploitation, régulièrement comptabilisées et appuyées de pièces justificatives (art. 39, 1 du Code général des impôts ; BOI-BIC-CHG-10). Par exemple, face à une sanction pécuniaire infligée par l’AMF à la société cédée, celle-ci n’étant pas admise en déduction du résultat fiscal (BOI-BIC-CHG-60-20-20, n° 50), la question de l’incidence fiscale de son paiement par la société cédée sur l’étendue de l’indemnité de passif ne se posera pas, faute pour elle d’exister.

D’autre part, par cette décision, la cour d’appel de Lyon se positionne au sein d’un débat existant en jurisprudence concernant les garanties de passif ayant stipulées en leur sein une clause d’économie d’impôt. Il oppose la prise en compte de l’économie d’impôt éventuelle à l’économie d’impôt effective (en faveur de la première thèse : CA Paris, 30 janv. 2004 : RJDA 2004, n° 570. En faveur de la seconde thèse : Cass. com., 17 déc. 2002 : Bull. Joly Sociétés 2003, p. 287, note G. Fréchet. Concernant une créance de carry-back : CA Paris, 13 nov. 1997 : JurisData n° 1997-210140 ; RJDA 1998, n° 867 ; Bull. Joly Sociétés 1998, p. 226, § 87, note J.-C. Bouchard). En effet, par une formulation pour le moins timorée, la cour d’appel de Lyon semble se positionner en faveur de la première option, soit la prise en compte d’une économique d’impôt théorique, en indiquant que « la moins-value fiscale de 33,3 % alléguée (…) suppose que la société (…) ait eu à couvrir au titre de l'année fiscale 2016 un montant d'impôt sur les sociétés d'un montant au moins équivalent, mais le silence opposé par la société intimée doit conduire à déduire cette incidence fiscale » (nous avons souligné l’extrait). En effet, pour retenir une solution conforme à la thèse de l’économie d’impôt effective, il aurait suffi pour la juridiction judiciaire d’initier une mesure d’instruction, laquelle lui aurait permis de connaître la réduction fiscale réellement procurée par le paiement du passif chez la société cédée dans le cadre de sa déclaration des bénéfices au titre de l’année 2016.

Enfin, l’intervention du juge s’imposait-elle ? La réponse à cette question dépend éminemment de la rédaction de la clause relative à la détermination du passif garanti, laquelle n’est pas reproduite dans la décision commentée. Deux éléments de réponse peuvent donc être apportés :

D’abord, selon les principes directeurs de l’interprétation des conventions, un contrat négociable ou négocié entre les parties s’interprète, en cas de doute, en faveur du débiteur (art. 1190 du Code civil, reprenant un principe non codifié sous l’ancien droit). Le doute trouvant sa source dans une rédaction floue, imprécise, voire contradictoire invite donc le juge à intervenir dans le cadre de son office. Ensuite, la force obligatoire du contrat et le respect de la volonté des parties s’oppose à ce que le juge « ajoute » au contrat (art. 1103 du Code civil, art. 1134 ancien du Code civil applicable à la présente convention soumise à l’ancien droit). En présence d’une clause dont la rédaction serait élémentaire (par exemple, visant « tout élément de passif non révélé… », avec une mention sommaire du passif garanti, des passifs éventuellement exclus par domaine et d’une délimitation temporelle), qui n’aurait pas prévu l’idée d’une indemnisation compensant le préjudice réellement subi et notamment, aucune clause sur la prise en compte de l’incidence fiscale au niveau de la société cédée du supplément de passif, l’intervention du juge deviendrait critiquable. En d’autres termes, l’intervention du juge sera guidée par le « tout ou rien », mais la simple idée de compensation pourrait la légitimer.

La solution développée par le juge judiciaire méritera d’être surveillée par les praticiens. Côté bénéficiaire, l’indemnité « nette d’impôt » aboutie à une solution défavorable. En effet, si dans la solution développée, le passif est identique chez la société cédée et la société garante (pour reprendre l’exemple chiffré précédent, il s’élève au montant de 52 339 euros net d’impôt), la compensation auprès de la société bénéficiaire ne sera pas atteinte, celle-ci se trouvant à son tour soumise à l’impôt sur cette indemnité (dans notre exemple, en prenant le taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés applicable à l’époque des faits de 33,33 %, soit 17 445 euros, l’indemnité nette reçue s’élèvera à un montant de 34 894 euros). Côté garant, malgré une solution favorable émise par la cour d’appel, il demeure dans son intérêt de prévoir, parmi la panoplie des clauses usuelles de garanties d’actif et de passif, la rédaction de clauses dites d’« économie d’impôt ». Celles-ci permettront de déterminer par avance le montant des sommes dues au titre de la garantie après déduction des économies, réductions ou remboursements d’impôts dont a bénéficié la société cédée et imputables aux évènements couverts par la garantie (JCI. Commercial, Groupes de sociétés, Cession de contrôle, Conventions de garantie, Fasc. 1110, n° 50 ; H.-L. Delsol, « Rédiger et négocier les conditions de mise en œuvre d’une garantie d’actif et de passif » : Dr. Sociétés 2011, fiche pratique 2. ; JCl. Sociétés Formulaire, Fasc. Q-24 : Garantie d'actif et de passif, n° 63), et sécuriseront l’étendue de leur engagement.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3
e ch. A, 24 sept. 2020, n° 18/00799

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Citer cet article

Référence électronique

Sonia Boufeldja, « La fixation de l’indemnité de garantie d’actif et de passif peut-elle être infectée par le « virus fiscal » ? », Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2689

Auteur

Sonia Boufeldja

Doctorante en droit de l’entreprise, équipe de recherche Louis Josserand, Jean Moulin Lyon 3

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