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1Absent du Code civil, le tour d’échelle n’en finit pas d’interroger la doctrine et la jurisprudence en quête, désespérées, d’une justification juridique.

2Pour cause : si le législateur ne juge pas nécessaire de (re)créer une disposition permettant le passage « à titre de réparation  » sur le terrain voisin, il n’est pas rare en pratique que la remise en état d’une construction privative érigée en limite séparative de fonds impose d’effectuer les travaux depuis la propriété voisine. Or lorsqu’elle n’est pas autorisée par voie amiable ou conventionnelle, cette pratique est illicite. En effet, on ne saurait, fût-ce temporairement, pénétrer sur le fonds voisin sans porter atteinte à l’exclusivisme du droit de propriété.

3Pour autant, face à l’urgence et à la nécessité, le bon sens et l’équité exigent parfois de faire fi de la lettre du droit positif (en ce sens, voir A-F. Debruche, « La restauration de l’intégrité du droit positif français à l’épreuve du tour d’échelle : une nécessité ? », RTDCiv 2000, p. 507). C’est pourquoi, à défaut d’entente entre propriétaires voisins, le tour d’échelle peut être autorisé de façon prétorienne. Une telle prérogative n’est cependant accordée par les juges que dans le strict respect de certaines conditions, comme ne manque pas de nous le rappeler la décision présentement étudiée.

4Le litige à l’origine de l’affaire opposait une SCI à un couple de particuliers. La première, ayant fait bâtir une maison d’habitation contre un mur ancien lui appartenant et séparant son fonds de la propriété voisine, escomptait, pour pouvoir achever son entreprise, accéder au terrain adjacent afin de réaliser trois types de travaux : le crépissage de la façade nord, la pose d’un chéneau d’évacuation des eaux de pluie et des taches de zinguerie. C’était toutefois sans compter sur le refus des voisins.

5Face à la faible coopération de ces derniers et après une première tentative de conciliation échouée, la SCI a saisi le juge en référé. Celui-ci a fait droit à sa demande et l’a autorisée à pénétrer sur la propriété pour procéder aux dits travaux, à charge pour elle de respecter diverses obligations (faire établir un constat d’huissier avant et après les travaux, prévenir les voisins de la date de début des travaux une semaine à l’avance, cantonner la réalisation des travaux à certains jours et certains horaires, ne pas déposer du matériel autre que strictement nécessaire sur la propriété voisine et procéder à la remise en état intégrale de la parcelle).

6Acculés, les voisins ne renoncent pas pour autant à l’absolutisme de leur propriété. Ils font appel et sollicitent, à titre principal, l’infirmation de l’ordonnance, et à titre subsidiaire, la condamnation de la société au payement de la somme provisionnelle de 300 euros par jour à compter du premier jour des travaux et jusqu’à la constatation de la fin de travaux en réparation du préjudice lié à l’exécution des travaux.

7Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir d’une part que la servitude de tour d’échelle ne s’applique qu’aux travaux d’entretien et non aux travaux liés à une construction ; d’autre part, que les pièces produites par leurs voisins ne prouvent pas en quoi les travaux sont nécessaires et impossibles à réaliser autrement qu’en passant par chez eux. Ils affirment, rapport d’expert à l’appui, que d’autres solutions, bien que moins esthétiques, sont envisageables pour réaliser les travaux sans occuper leur terrain.

8L’intimé, quant à elle, insiste sur la nécessité du tour d’échelle. Elle soutient, comme c’est le cas en l’espèce, qu’une telle prérogative est possible en matière de construction dès lors qu’elle n’est utilisée que pour les finitions et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de ses voisins. Elle prétend également prouver, grâce aux conclusions de son maître d’œuvre, que les solutions proposées par l’expert privé des voisins ne sont pas réalisables. Elle forme ce faisant un appel incident par lequel elle réclame, entre autres, la confirmation de l’ordonnance.

9La cour d’appel lui donne raison. Elle confirme l’ordonnance rendue par le juge des référés et autorise le tour d’échelle dans une décision intéressante au regard tant de la nature que du régime du tour d’échelle.

10En approuvant le tour d’échelle, par usage de son pouvoir d’appréciation souverain, alors même que la Cour de cassation a souvent déclaré que la servitude de tour d’échelle ne peut être établie que par titre (Cass. civ. 3e, 30 oct. 1978, n° 77-11072), la cour d’appel ré affirme, implicitement, que le tour d’échelle, à défaut de titre conventionnel ou légal, s’entend parfois comme une simple prérogative (Cass. civ., 14 déc. 1955, D. 1956, jur. p. 283). S’inspirant sans doute de la décision rendue par la 3chambre civile de la Cour de cassation le 26 mars 2020 (Cass. civ. 3e, 26 mars 2020, n° 18-25.996 ; voir à ce propos W. Dross, « La servitude de tour d’échelle est-elle soluble dans l’abus de droit ? », RTD Civ. 2020, p. 651), elle n’a, au demeurant, pas jugé nécessaire de préciser le fondement de cette prérogative. Elle se contente en effet de signaler, faute d’assise, que « le tour d’échelle n’est pas une servitude légale et qu’aucun texte n’en prévoit l’existence ni n’en organise les modalités », laissant, une fois encore, les juristes en recherche de justification sur leur faim…

11Quant au régime, la cour ne manque pas de rappeler que l’établissement temporaire du tour d’échelle ne peut être octroyé que dans les limites du respect de trois conditions, qui sont fonction de la nature, de l’objet et de l’importance des travaux à exécuter. Les travaux doivent en effet être nécessaires et impossibles à réaliser autrement qu’en passant sur le fonds voisin (Cass. civ. 3e, 15 février 2012, n° 10-22899). Ils ne doivent par ailleurs pas occasionner une gêne et un préjudice disproportionnés. Enfin, à propos de la question qui déchirait les parties, de l’application de cette prérogative aux constructions nouvelles, la Cour énonce qu’«  elle est destinée à permettre l’entretien et la réparation de construction existante, mais doit, toutefois également s’appliquer à une construction nouvelle sous respect des règles rappelées ci-dessus  ». Si cette position s’inscrit dans la lignée de décisions plus anciennes (voir CA Douai, 3e ch., 11 avr. 2013, JurisData n° 2013-007852 ou encore CA Paris, Pole 1, 2e ch., 6 juin 2012) l’argument n’était toutefois pas dénué de sens dans la mesure où une réponse ministérielle de 2007 invite à suivre la voie inverse (Rep. Min. n° 75162, Vincent : JOAN Q 9 janv. 2007, p. 391). On doute toutefois qu’il eût pu prospérer en l’espèce, car, comme n’a pas manqué de le rappeler la SCI, la servitude de tour d’échelle n’exclut pas la simple finition d’ouvrage récent (voir en ce sens CA Nîmes, 1re ch. civ., sec. B., 4 sept. 2014 : jurisData n° 2014-026415).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. A, 19 novembre 2020, n° 20/02601



Citer ce document


Marie Potus, «Tour d’échelle», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2685.

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À propos de l'auteur Marie Potus

Doctorante en droit du patrimoine et droit des contrats, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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