Une SCI ne peut se prévaloir de l’obligation aux dettes sociales qui ne profite qu’aux tiers

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Mots-clés

obligation aux dettes, contribution aux pertes, créanciers sociaux, appel de fonds

Rubriques

Droit des sociétés

Texte

La distinction entre contribution aux pertes et obligation aux dettes dans les sociétés est bien connue. Chaque associé est tenu de contribuer aux pertes à proportion de sa part dans le capital social et ce quel que soit le type de société concernée (art. 1832 al. 3 C. civ.). Les associés de sociétés à risque illimité, telles que les sociétés civiles, sont également tenus par les dettes de la société au cours de la vie sociale (art. 1857 C. civ.). Si la contribution aux pertes intéresse les rapports entre associés, voire avec la société, l’obligation aux dettes ne concerne que les rapports entre associés et créanciers sociaux au sens strict.

C’est cette distinction et l’identité des intéressés qu’est venue rappeler la cour d’appel de Lyon dans un arrêt en date du 28 juillet 2020. Une SCI constituée en vue de l’achat d’un bien immobilier avait contracté un prêt bancaire pour financer l’opération. Deux ans plus tard, une des deux associés de la SCI cesse d’honorer le versement de la part de mensualités du prêt lui incombant. La SCI l’assigne devant le juge des référés sur le fondement de l’article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile afin qu’il lui accorde une provision au titre des arriérés de remboursement, l’existence de l’obligation n’étant pas sérieusement contestable. Le juge des référés considère néanmoins qu’il n’y a pas lieu à référé, l’existence de l’obligation étant sérieusement contestable.

La SCI relève appel de cette ordonnance, estimant que l’associée est tenue aux dettes sociales comme dans toute société civile et comme le précisent les statuts.

La cour d’appel de Lyon confirme l’ordonnance du juge des référés. Elle rappelle que l'obligation aux dettes sociales, telle qu’édictée par les statuts, est instituée au profit des tiers à la société, qualité dont ne peut ainsi se prévaloir la SCI. Elle en déduit que la SCI ne peut invoquer cette obligation à l’encontre de sa propre associée, si bien que l’existence de l’obligation est sérieusement contestable par l’associée et conduit à rejeter la demande de référé.

La solution de la cour d’appel ne surprend pas. En effet, il est bien établi que l’obligation aux dettes sociales ne profite et ne protège que les créanciers sociaux et leur permet d’agir contre les associés de cette dernière, en cas de poursuites vaines auprès de la société (art. 1858 C. civ.). La requête de la SCI ne pouvait donc convaincre puisqu’elle méconnaissait à la fois le sens de l’obligation aux dettes mais aussi son régime. Plus encore, la requête conduisait à une situation ubuesque puisque la société se plaçait en situation « d’auto-créancière ». Seule la banque, créancière sociale, pourrait donc profiter de l’obligation aux dettes des associés, sachant que chacun contribuera à proportion de sa participation dans le capital social (art. 1857 C. civ.).

Cette application du principe de l’obligation aux dettes permet de se pencher sur les moyens dont dispose une société pour demander des fonds à ses associés, et ce particulièrement quand ces fonds sont nécessaires à la réalisation de son objet social, voire à sa survie. Deux solutions sont envisageables mais doivent être prévues en amont. La première est celle de la contribution aux pertes qui peut exceptionnellement, en cas de stipulation statutaire, avoir lieu en cours de vie sociale (v. en ce sens Cass. com., 9 juin 2004, n° 01-12.887, Bull. 2004 IV n° 122 p. 125). Cette solution n’aurait cependant été d’aucun secours en l’espèce puisque si les arriérés avaient été passés en pertes, il y aurait eu une répartition à proportion de la participation de chaque associé, ramenant le problème à son point de départ : l’absence de contribution d’un seul des associés.

La seconde solution, que certains auteurs qualifient de contribution aux pertes anticipées (v. en ce sens M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 33e édition, 2020, n° 254, p. 90 contra T. Massart, « Contrat de société », rép. soc., n° 92) et déjà admise par les juridictions, est l’appel de fonds. Néanmoins, cet appel doit être envisagé par les statuts de la société ou, dans le cas contraire, accepté par l’associé, celui-ci ne pouvant être forcé à augmenter son engagement en vertu de l’article 1836 alinéa 2 du Code civil (Cass. com., 07 mars 1989, pourvoi n° 87-12882, Bull. civ. 1989 IV n°81 p. 54 ; Cass. com., 10 juill. 2012, 11-14.267 Bull. 2012 IV, n° 156 ; v. cependant art. L. 211-3 et L. 212-3 du CCH sur les sociétés civiles constituées en vue de la vente ou de l’attribution d’immeubles où les associés sont tenus de répondre aux appels de fonds). C’est sans aucun doute cet appel de fonds qui aurait pu permettre à la SCI de s’assurer du remboursement du prêt, et ce par la seule associée n’ayant pas contribué au préalable. Si dans notre espèce, la SCI s’est aventurée sur le terrain de l’obligation aux dettes, c’est sans doute parce que ses statuts ne contenaient pas de clause d’appel de fonds. Face à un tel schéma de financement de la société, il aurait été plus prudent d’insérer une telle clause dans les statuts. À défaut de stipulation statutaire, la possibilité d’un appel de fonds pourrait figurer dans un pacte d’associés. La sanction du manquement contractuel prenant la forme d’une exécution forcée ou de dommages et intérêts serait satisfaisante. En effet, la société qui n’est pas partie au pacte mais qui en a pris connaissance (v. sur ce point B. Dondero, « Le pacte d'actionnaires signé par la société », Rev. soc., 2011, p. 535), pourrait invoquer le manquement contractuel de l’associée récalcitrante pour engager sa responsabilité civile délictuelle (Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n°9 ; Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963).

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon est donc éclairant, non pas tant sur l’obligation aux dettes mais sur l’utilité de prévoir, en amont, la possibilité pour la société de procéder à des appels de fonds.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 8e ch., 28 juillet 2020, n° 9/06570

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Citer cet article

Référence électronique

Brune-Laure Dugourd, « Une SCI ne peut se prévaloir de l’obligation aux dettes sociales qui ne profite qu’aux tiers », Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2694

Auteur

Brune-Laure Dugourd

Doctorante en droit de l’entreprise, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3

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