BACALy

Conditionnement du remboursement d’un compte courant d’associé : une exception d’interprétation stricte

Pablo Guédon


1Si le compte courant d’associé est une technique de financement social intéressante, la double qualité d’associé-créancier du prêteur rend parfois délicate la situation au moment du remboursement. Cette difficulté est aggravée lorsque les relations entre les associés ne se trouvent pas au beau fixe. Dans le cas d’espèce, une des trois associés d’une SARL, a sollicité auprès de la société le remboursement immédiat de son compte courant. Cette sollicitation intervient dans un contexte de relations détériorées entre deux des associés mariés et le troisième par ailleurs gérant de la société. Ces relations conflictuelles ont donné lieu à une expertise de gestion ordonnée par le président du tribunal de commerce de Lyon le 11 décembre 2017 à la demande de l’un des époux. L’expert a déposé son rapport le 5 avril 2019. N'ayant obtenu aucune réponse à sa sollicitation, l’associée créancière a fait assigner la société débitrice devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon en vue d’obtenir une provision de 48 071,81 euros correspondant au remboursement du solde créditeur de son compte courant. Ce dernier relève l’existence d’une contestation sérieuse au sens de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile. Il juge alors que les demandes formulées excèdent les pouvoirs du juge des référés et renvoie donc la requérante à mieux se pourvoir devant le juge du fond si elle l'estime nécessaire.

2Appel est alors interjeté par la requérante. Elle fait valoir au soutien de son recours qu'en l'absence de clauses statutaires particulières, le compte courant d'associé dans une SARL est un prêt dont le remboursement peut être exigé à tout moment auprès de la société. Elle ajoute qu'en droit comptable, il figure au passif du bilan et constitue donc une dette de la société vis-à-vis de l'associé et qu’en l’espèce il figure au passif de la société une dette non sérieusement contestable à hauteur de la somme de 48 071,81 euros correspondant au compte courant d’associé. En défense, la société estime, notamment, que les statuts soumettent le remboursement du compte courant d'associé à certaines conditions et à un certain formalisme, faisant du remboursement du compte courant une simple faculté pour la société et non une obligation et que, dans tous les cas, il n’appartient pas au juge des référés d’interpréter les clauses statutaires. Par ailleurs la société soutient que cette créance est entachée de contestation sérieuse, la requérante étant dans l’incapacité de justifier du montant exact des sommes apportées et son époux ayant soutenu devant une autre juridiction qu’il était lui-même l’apporteur desdits fonds.

3La cour infirme l’ordonnance litigieuse au motif que sauf disposition conventionnelle ou statutaire contraire, le titulaire d'un compte courant d'associé peut en exiger le remboursement à tout moment. Or, les dispositions statutaires invoquées en défense par la société ne nécessitent aucune interprétation et n'ont pas pour effet de faire obstacle, ni de réduire le droit pour l'associé d'obtenir à sa demande le remboursement de son compte courant. Compte tenu de cette constatation, le bilan montre que la requérante est titulaire d'un compte courant d'associé figurant au passif de la société pour un montant de 48 071,81 euros. Le rapport rendu par l’expert dans le cadre de l’expertise de gestion demandées suite aux relations conflictuelles entre deux des associés dont l’associé créancier et le gérant de la société fait également figurer l’existence d’un compte courant d’associé pour la même somme. Les faits permettant donc d’établir une créance non sérieusement contestable, la cour fait droit à la demande de provision. Pour autant cet arrêt n’est pas tant intéressant pour la décision de provision rendue in fine que pour la lecture faite de la clause statutaire en question.

4Le principe de remboursement en matière de compte courant d’associé est la conséquence directe de la thèse dualiste qui prévaut à l’heure actuelle (V. par ex. : Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-20.056). Les associés, dans l’hypothèse d’un prêt en compte courant d’associé, ont la qualité de prêteur, de créancier et donc de cocontractant. En application du respect du principe de l’autonomie de la volonté contractuelle, et conformément à la qualification de contrat de prêt, en l’absence de terme convenu l’associé peut demander le remboursement des sommes prêtées à la société à tout moment (C. civ. art. 1899). Plus encore, en matière de compte courant d’associé, la Cour de cassation exclut l’application des dispositions de l'article 1900 du Code civil, qui offrent au juge la possibilité de fixer un délai pour la restitution d'un prêt. La seule voie permettant de déroger au principe de remboursement sur demande et à tout moment, tout en respectant l’autonomie de la volonté de l’associé partie à la convention de compte courant d’associé est d’avoir prévu de telles conditions dans les statuts de la société ou dans la convention de compte courant (V. par ex. Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-18.749).

5En l’espèce, la cour d’appel juge que la clause statutaire invoquée par la défenderesse (« les comptes courants ne doivent jamais être débiteurs et la société à la faculté d'en rembourser tout ou partie après avis donné par écrit un mois à l'avance, sauf stipulation contraire ») ne s’oppose pas au principe de remboursement du compte courant lors de la demande formulée à tout moment par l’associé préteur. Il est possible de s’interroger sur la qualité de la rédaction – on passera l’étrange remplacement du verbe « avoir » par la préposition « à » – de cette clause statutaire et sur la volonté des associés lors de son édiction. Hormis la procédure d’un mois, cette stipulation statutaire ne semble pas ajouter de condition substantielle à l’obligation de remboursement de principe. Aussi, l’on est en droit de se demander si la volonté des associés n’aurait pas été de fixer un régime du type « la société a seule la faculté de décider du remboursement d’un compte courant d’associé ». Si cette hypothèse s’était rencontrée, la validité d’une telle clause aurait été certainement remise en question. Le compte courant d’associé est un contrat de prêt par lequel l’emprunteur, la société, est tenu de rendre les choses prêtées au terme convenu (C. civ. art. 1901) lequel étant un évènement futur et certain (C. civ. art 1305). Ce n’est pas le cas d’une simple faculté de remboursement accordée à discrétion de l’emprunteur comme semble le soutenir la défenderesse lorsqu’elle soutient que « le remboursement du compte courant par la société n'est qu'une simple faculté et non une obligation pour cette dernière ». En tout état de cause, l’analyse littérale de la clause de l’espèce ne conduit pas à ce régime contrairement à ce qui est soutenu par la société. La cour d’appel fait ainsi une interprétation stricte de la clause statutaire dérogeant au principe général selon lequel le remboursement doit être effectué dès que l’associé en fait la demande. Elle ne recherche à aucun moment quelle fut réellement l’intention des parties lors de son édiction contrairement à la règle en matière de droit des obligations (C. civ. art. 1188). La défense de la société, dont le gérant est par ailleurs associé majoritaire, soutient que la clause fait obstacle au remboursement du compte courant d’associé sur simple demande de l’associé créancier concerné et à tout moment. Il n’est dès lors pas totalement incongru de se demander si les associés, lors de la constitution de la société, avaient souhaité déroger au principe de remboursement sur demande et à tout moment du compte courant d’associé. La cour n’a cependant pas interprété la stipulation en ce sens. Cette absence d’interprétation pourrait s’expliquer par le fait que cette décision soit rendue par le juge des référés. La cour d’appel ne s’estime cependant pas incompétente pour interpréter la clause litigieuse mais juge qu’elle ne nécessite aucune interprétation et s’en tient dès lors à la lettre des statuts conformément à la règle pour les clauses claires et précises (C. civ. art. 1192). L’analyse littérale suivie conduit finalement à ne conférer aucun effet substantiel à la clause. Cela pourrait paraitre être en contradiction avec l’article 1191 du Code civil selon lequel une clause qui est susceptible de deux sens, doit être interprétée dans le sens de celui qui lui confère un effet et non dans celui qui ne lui en fait produire aucun. La réalité est que la lecture minutieuse de la clause en question ne conduit pas à en dégager deux sens différents. La décision de la cour est donc rendue à bon droit et l’on devrait plutôt mettre en cause la solidité des arguments de la défense. Il n’est pas inutile de rappeler que cette demande de remboursement intervient dans un contexte de tension entre l’associée créancière et l’associé gérant. Ce dernier fait peut-être par conséquent une lecture un peu extensive de la clause litigieuse pour nuire aux intérêts de l’associée créancière. En tout état de cause, cet arrêt rappelle aux concepteurs de telles dispositions qu’ils doivent être rigoureux dans leur rédaction si les parties souhaitent déroger au principe de remboursement du compte courant sur demande, et à tout moment, de l’associé créancier, ce qui n’est déjà pas un moindre mérite.

Arrêt commenté:
CA Lyon, 8
e ch., 12 mai 2020, n° 19/04596



Citer ce document


Pablo Guédon, «Conditionnement du remboursement d’un compte courant d’associé : une exception d’interprétation stricte», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2699.

Auteur


À propos de l'auteur Pablo Guédon

Doctorant en droit de l’entreprise, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


BACALy