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L’inopportune assimilation de l’obligation aux dettes sociales des associés de société civile à l’engagement d’une caution

Jordi Mvitu Muaka


1Lorsque l’on analyse les caractères de l’engagement aux dettes sociales des associés de société civile, il est aisé de constater des similarités avec celui d’une caution. Toutefois, en dépit de celles-ci, persistent d’irréductibles différences. L’arrêt rapporté en rappelle les plus importantes.

2En l’espèce, une banque avait consenti un prêt immobilier à une SCI qui par la suite avait cessé d’en honorer le paiement. Compte tenu de la défaillance de cette dernière, la banque sollicita et obtint la vente aux enchères publiques du bien immobilier acquis avec ce prêt, qui ne lui permit pas toutefois de recouvrer entièrement sa créance. Peu après, la SCI est placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de grande instance de Saint-Etienne du 17 mai 2016. Après avoir dument déclaré sa créance à la procédure de liquidation judiciaire, la banque assigne les associés de la SCI en paiement de sa créance. Ces derniers ont interjeté appel du jugement faisant droit à la demande de la banque.

3Devant la cour d’appel de Lyon, les intéressés se sont prévalus de leur qualité de garants personnels des dettes de la SCI pour invoquer le bénéfice du régime du cautionnement. Ceci commandait tout d’abord de souligner leur caractère profane pour prétendre à la qualification de consommateur, puis de relever la prescription de l’action de la banque en vertu de l’article L. 218-2 du code de la consommation. Certainement conscients de la fragilité de ce moyen, les associés en ont développé un second reprochant à la banque le défaut de poursuite préalable de la SCI en paiement de sa créance.

4Dans l’arrêt analysé, la cour d’appel de Lyon s’oppose logiquement à l’assimilation de l’obligation aux dettes sociales des deux associés à l’engagement d’une caution. Elle en déduit alors l’impossibilité pour les associés de revendiquer la qualité de consommateur, et souligne l’inapplicabilité de l’article L. 218-2 du code de la consommation à ce litige. De même, l’arrêt confirme le jugement de première instance quant à la défaillance de la SCI du fait de son placement en liquidation judiciaire provoqué par la vente de son principal actif.

5Par cette décision, la cour d’appel de Lyon met en lumière la frontière parfois subtile entre l’engagement des associés d’une société civile et celui d’une caution (I), que la désignation doctrinale des premiers comme garants de la société constituée rend parfois poreuse. De même, cette décision renseigne quant aux conditions de poursuite des associés par un créancier social (II).

I/ Différence de nature entre les deux engagements

6Dans cette espèce, les deux associés revendiquaient la qualité de caution non professionnelle, dans le très infime espoir d’obtenir la forclusion du recours de la banque, avec l’application de la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation. Ce faisant, ils mettaient en avant les points de convergence entre l’engagement aux dettes sociales d’un associé d’une société civile et l’engagement d’une caution. Les deux partagent un caractère accessoire et subsidiaire. Accessoire car les deux engagements ont partie liée avec l’obligation d’un débiteur principal (art. 2289, 2290 C. civ ; art. 1857 C. civ). Subsidiaire en ce que les deux supposent la défaillance d’un débiteur principal (Cass. civ. 3e., 31 mai 1995, n° 93-11.442). Ces deux caractères justifient amplement la possibilité pour le garant solvens d’intenter un recours contre le débiteur (art. 2035, 2036 C. civ) ou d’opposer au créancier poursuivant les exceptions inhérentes à la dette (Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, n° 92-20.048, Bull. civ. III, n° 84, p. 56). En dépit de ces similarités, les deux engagements s’opposent fortement.

7Alors que la caution s’oblige pour une dette du débiteur principal, la loi oblige impérativement l’associé aux dettes sociales. Autrement dit, la garantie d’une dette non personnelle est l’objet principal du cautionnement alors qu’elle n’est que l’un des effets se rattachant à l’acquisition de la qualité d’associé d’une société civile (Cass. civ. 1re,17 janvier 2006, n°02-16.595). Cette garantie subsidiaire est une condition de formation du cautionnement alors qu’elle est un effet légal du contrat de société civile.

8La cour d’appel de Lyon en déduit alors l’impossibilité pour les deux associés de prétendre à la qualité de consommateur, qui supposait donc la reconnaissance préalable des associés comme cautions, également éconduite. Les dispositions du code de la consommation écartées, la recevabilité de l’action de la banque s’analysait suivant les dispositions relatives aux sociétés civiles (art. 1857 à 1860 C. civ).

II/ Application du seul régime des sociétés civiles à l’action du créancier social

9L’action de la banque est soumise à la prescription quinquennale de l’article 1859 du Code civil, conséquence directe des constatations précédentes.

10Cependant, la recevabilité de l’action de la banque supposait également le respect des conditions fixées à l’article 1858 du Code civil. Ceci impliquait pour la banque d’établir la preuve d’une infructueuse poursuite de la SCI qui laisse sa créance non recouvrée (Cass. civ. 3e, 7 févr. 2001, n° 99-14.432). Cette dernière a rapporté alors avoir procédé à une saisie immobilière dont la réalisation n’a pas permis de la désintéresser intégralement. À la suite du placement de la SCI en liquidation judiciaire, elle a également déclaré sa créance, qui a été admise au passif de la liquidation judiciaire.

11De manière générale, l’interprétation de la notion de vaines poursuites fait valoir l’exigence d’une mesure d’exécution sollicitée par le créancier. La seule mise en demeure de la société, notamment sous la forme d’un commandement de payer n’est pas suffisante (Cass. civ. 3e, 23 avr. 1992, n° 90-17.529). L’exigence d’une mesure d’exécution met ainsi le créancier à rude épreuve lorsque la SCI est placée en procédure collective (art. L. 622-21 C. com.), puisque le jugement d’ouverture met fin aux poursuites individuelles intentées par les créanciers sociaux (A. Cerati-Gauthier, « Poursuites d’un associé par un créancier social », JCP E 2007. 2157). Dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire de la SCI, la jurisprudence considère néanmoins que la déclaration de sa créance à la procédure suffit à établir l’impossibilité pour le créancier d’être désintéressé par la société (Ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Bullciv., no 4). La déclaration de créance fait alors preuve du caractère vain des poursuites.

12Deux actes du créancier concourraient ainsi à la démonstration de la preuve du respect des conditions de poursuite contre les associés de la SCI : le paiement partiel de la banque par la vente aux enchères publiques de l’immeuble principal de la SCI et la déclaration de sa créance à la procédure de liquidation visant ladite société. Cette observation mène à s’interroger sur l’influence de la déclaration de créance sur la recevabilité du recours de la banque contre les associés de la SCI. La cour d’appel de Lyon n’y apporte pas une réponse directe. L’arrêt concerné prend simplement en compte les deux actes, les deux événements dans leur ordre chronologique, comme établissant la défaillance de la SCI. Pourtant, le montant de la créance due à la banque a été repris des documents relatifs à la liquidation judiciaire (à savoir le tableau d'amortissement, la synthèse des règlements et l'ordonnance du juge-commissaire), ce qui laisse supposer que la déclaration de créance a une valeur probatoire.

13Dans cette énième illustration de l’application du régime des sociétés civiles à l’action en garantie des associés, la cour d’appel de Lyon s’oppose à une condamnation solidaire des appelants. Ces derniers sont obligés aux dettes sociales à hauteur de leur participation au capital social.

14En définitive, si l’arrêt analysé rappelle opportunément les distinctions de nature et de régime entre deux engagements aux caractères proches, il n’indique pas en revanche l’utilité de la déclaration de créance pour le créancier bénéficiaire partiel d’une mesure d’exécution précédant l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société civile.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. 17 décembre 2020, n° 18/04202



Citer ce document


Jordi Mvitu Muaka, «L’inopportune assimilation de l’obligation aux dettes sociales des associés de société civile à l’engagement d’une caution», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2704.

Auteur


À propos de l'auteur Jordi Mvitu Muaka

Doctorant en droit de l’entreprise, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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