Quiconque s’attèle à la rédaction des clauses d’un contrat doit s’armer de prudence et de minutie. Le spectre de la requalification n’est jamais bien loin. S’il est d’usage que cette opération dépouille une clause de son fard pour lui attribuer une qualification nouvelle, elle peut également lui attribuer une qualification identique à une clause déjà prévue par les parties, et partant, donner lieu à une duplication de l’obligation objet de la clause. La décision commentée en donne une lumineuse illustration.
En raison de sa nonchalance dans l’exécution des missions à sa charge, un salarié avait été remercié par son employeur pour faute professionnelle. Contestant les motifs de son licenciement, celui-ci saisit le conseil de prud’hommes de Lyon dont le jugement fera l’objet d’un appel formé par l’employeur. Le contrat de travail liant les parties contenait une clause de non-concurrence, ainsi qu’une clause de loyauté qui obligeait le salarié tant pendant l’exécution du contrat de travail qu’au terme de celui. Outre la contestation des motifs de son licenciement, le salarié demandait alors la requalification de la clause de loyauté en une clause de non-concurrence, dont le sens aurait été édulcoré par son rédacteur, et aurait eu pour effet immédiat à son encontre de lui interdire toute embauche à l’issue de son licenciement. L’arrêt analysé ne le signale pas, mais selon toute vraisemblance, l’employeur avait dispensé le salarié de l’exécution de son obligation initiale de non-concurrence.
La cour d’appel de Lyon fait droit à sa demande, et requalifie la clause de loyauté litigieuse en clause de non-concurrence en ce sens qu’elle avait incontestablement vocation à s'appliquer après la rupture du contrat de travail, et eut pour effet de limiter la liberté professionnelle du salarié. L’existence d’une clause de non-concurrence concomitante stipulée par les parties ne faisait donc pas obstacle à la requalification de la clause de loyauté litigieuse, de même qu’elle ne pouvait justifier la confusion des deux engagements. Toutefois, la clause litigieuse aussitôt requalifiée est déclarée nulle en raison du défaut de deux de ses conditions de validité, à savoir la détermination d’une contrepartie financière et d’une délimitation spatiale de l’engagement de non-concurrence. Toujours est-il qu’en dépit de la nullité prononcée, la cour d’appel Lyon reconnaît au salarié la possibilité d’obtenir réparation du préjudice résultant des restrictions à sa recherche d’emploi après son licenciement.
Il apparaît ainsi que la requalification peut aboutir à l’existence concomitante de deux engagements de non-concurrence entre les mêmes parties (I), ce qui commande de les envisager isolément quant à l’analyse tant de leurs conditions de validité que de leurs effets (II).
I/ Identification de deux engagements de non-concurrence concomitants
Le contrat de travail signé par les parties comportait une clause de non-concurrence valablement convenue. Cette clause était pourtant mitoyenne d’une clause de loyauté qui produisait ses effets même après la fin du contrat de travail. Or, à l’égard du salarié, la clause de non-concurrence ne constitue qu’une prolongation de son obligation légale de loyauté à la fin de son contrat de travail (Y. Picod, L'obligation de non-concurrence de plein droit et les contrats n'emportant pas transfert de clientèle : JCP E 1994. I. 349). L’identification de ce périmètre temporel constitue le critère distinctif le plus déterminant entre les deux engagements, la véritable ligne de crète (Cass. soc., 5 mai 1971, Bull. civ. V, n° 327), si bien que la prolongation de l’obligation de loyauté donne irrémédiablement naissance à deux engagements de non-concurrence concomitants.
Selon l’employeur, l’inscription dans le contrat de travail de la clause de loyauté avait pour but de rappeler au salarié tout à la fois ses obligations de loyauté ainsi que l’interdiction de concurrence déloyale. De plus, l’interdiction de concurrence déloyale s’applique toujours aux actes du salarié à la fois pendant la durée du contrat de travail et au terme de celui-ci, ce qui expliquait amplement l’extension de la clause litigieuse aux agissement postérieurs du salarié concerné.
Cependant, la structuration de la clause suggérait une autre conclusion. Dans la description des actes proscrits, l’énumération comportait l’interdiction pour le salarié de faire emploi de « toute information obtenue ou de tout contacts établis dans le cadre de ses fonctions ». Cette interdiction s’analysait à son égard comme une barrière à la mise à disposition de deux ans d’acquis professionnels et d’expérience à son propre profit ou au profit d’un futur employeur, concurrent ou non de son précédent employeur, ce qui a limité nécessairement sa recherche d’emploi après le licenciement. De même, l’interdiction opposée au salarié « de solliciter un client au cours des missions qui lui sont confiées en vue de négocier une éventuelle embauche » aboutissait également à lui interdire d'anticiper une reconversion professionnelle.
S’attachant à tirer les conséquences de l’effet de la clause litigieuse sur les marges de manœuvres professionnelles du salarié, la cour d’appel de Lyon soutint que la clause de loyauté litigieuse constituait une clause de non-concurrence déguisée, pour la qualification de laquelle la présence d’une clause de non-concurrence dans le même contrat ne faisait obstacle. La première ne fait pas doublon avec la seconde, ce qui permet de les envisager séparément en dépit de l’identité de dénomination.
Cette distinction a entraîné l’examen de la validité de la clause de loyauté requalifiée. Il est alors apparu qu’en l’absence d’une limitation temporelle et d’une contrepartie financière, la nullité de la clause requalifiée devait être prononcée (Cass. soc.,10 juill. 2002, n° 99-43.334). Néanmoins, la nullité de la clause n’a pas compromis la possibilité pour le salarié de faire valoir un préjudice réparable du fait de l’exécution de la clause requalifiée, à ceci près que son montant n’a pu se calquer sur la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence initiale.
II/ Distinction des deux engagements de non-concurrence
L’un des enjeux du litige pour le salarié était l’obtention d’une indemnité proche du montant de la contrepartie financière prévue dans la clause de non-concurrence stipulée dans son contrat de travail. A son égard, la clause de loyauté requalifiée avait produit des effets en tout point identiques à ceux attribués à l’obligation de non-concurrence expressément prévue dans le contrat de travail, à ceci près que l’employeur l’en avait dispensée. L’indemnité devrait alors se rapporter au montant de ladite contrepartie financière, soit 45 % du dernier salaire fixe mensuel brut hors primes et intéressement.
L’application de la contrepartie financière à la clause de loyauté requalifiée suscitait deux difficultés. Tout d’abord, les deux clauses étaient envisagées de manière distincte, tant dans leurs conditions de validité que dans leurs effets. Ensuite, l’attribution à une clause frappée de nullité d’effets proches d’une clause valablement constituée revient à neutraliser ses conséquences légales.
La cour d’appel de Lyon identifie un préjudice subi par le salarié licencié résultant des difficultés rencontrées dans la recherche d’un nouvel emploi, sans reprendre le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence initiale dans la fixation de dommages et intérêts dus au salarié. La solution se base assurément sur le renvoi à la responsabilité délictuelle (art. 1178 al. 4 C. civ.) pour la réparation d’un dommage subi par une partie à un contrat nul, dont le montant ne peut correspondre pas au gain attendu du contrat annulé.
La décision commentée rappelle ainsi que la requalification peut aboutir à l’existence concomitante et indépendante de deux clauses aux objets identiques, pour peu que des différences apparaissent dans leur application. Pour le cas d’une clause de non-concurrence entachée de nullité mais exécutée par le salarié obligé, une indemnité peut être accordée à ce dernier, sous réserve de ne pas correspondre au montant de la contrepartie financière de l’obligation contractuelle de non-concurrence prévue par les parties. Cette solution s’explique par le refus d’un effet doublon entre les deux clauses.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 16 octobre 2020, RG n° 17/09180