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1Si le mandat fut historiquement conçu comme un « service d’ami », ce contrat n’a toutefois pas vocation à recueillir l’ensemble des services rendus au sein d’une relation amicale. En ce sens, et bien que l’on puisse regretter que la décision d’espèce ne conclue pas explicitement à l’absence de contrat de mandat, l’appelante se révélant in fine incapable de fournir les éléments de preuve nécessaire à une telle démonstration, l’arrêt sous commentaire rappelle à juste titre que les conseils donnés dans un cadre amical ne constituent pas, par nature, des contrats de mandat.

2En l’espèce, Mme R, titulaire d’une créance à l’encontre de M. P, en sollicita le paiement auprès de la succession de ce dernier le 14 février 2013. Cependant, l’intéressée n’ayant entrepris aucune démarche susceptible d’interrompre la prescription, la Direction Générale des Finances publiques confirma, en septembre 2014, que la créance était prescrite depuis le mois de juin 2013, Mme R n’étant alors plus en mesure de s’en prévaloir. Après mise en demeure, elle assigna donc maître Y, un notaire et ami de celle-ci, et la SCP dont il est associé, devant le tribunal de grande instance de Lyon. Elle enjoignit les magistrats de prononcer la condamnation de maître Y pour manquement à son devoir d’information et de conseil, tout en sollicitant la condamnation solidaire de la SCP. Plus précisément, elle estimait que le notaire n'avait pas exécuté correctement les obligations dont il était débiteur à son égard sur le fondement d’un supposé contrat de mandat. Elle lui reprochait, entre autres, de lui avoir donné l’assurance que sa créance pourrait être réglée en lui procurant notamment un conseil erroné sur la manière d’interrompre la prescription, de l’avoir régulièrement incité à la patience, ou encore de ne pas avoir attiré son attention sur les démarches à accomplir et le temps restreint pour les effectuer eu égard à la proche échéance du délai de prescription. Le tribunal de grande instance rejeta néanmoins sa demande dans un jugement en date du 6 février 2019. Relevant appel de cette décision, Mme R porta le différend devant les juges du second degré en sollicitant à nouveau la condamnation de maître Y et de la SCP. Elle fit alors valoir que son ami aurait accepté de la conseiller et de l’assister dans le recouvrement de sa créance à l’égard de la succession et que son rôle de conseil résultait clairement d’un échange de mails et de courriers dépassant le strict cadre amical. La cour d’appel de Lyon fut ainsi appelée à se prononcer en amont sur l’existence d’un contrat de mandat entre l’appelante et l’intimé afin de savoir si une faute découlant d’une inexécution contractuelle pouvait être reprochée à l’officier assermenté. Partant, plus que la question de l’existence d’une faute, c’est celle de la preuve du mandat qui retint l’attention de la juridiction.

I/ La charge de la preuve de l’existence du mandat

3Conformément au droit commun de la preuve, c’est à celui qui se prévaut d’une obligation d’en prouver l’existence (art. 1353 nouv. C. civ. ; art. 1315 anc. C. civ.). En l’espèce, pour justifier sa demande à l’encontre du notaire, Mme R faisait valoir que ce dernier aurait failli à ses obligations contractuelles et, plus particulièrement, à son devoir d’information et de conseil. Ces obligations résulteraient d’un contrat de mandat conclu avec l’intimé lorsqu’au moment du mariage de sa fille, Mme R l’a sollicité afin de la conseiller et de l’assister dans le recouvrement de sa créance à l’encontre de la succession de feu son débiteur. Si elle considère que maître Y avait accepté cette mission, celui-ci estime, en revanche, qu’il n’a jamais eu vocation à être son conseiller juridique et que les différentes réponses qu’il lui a apportées quant aux difficultés juridiques du dossier n’ont été formulées qu’à titre amical. L’existence du contrat n’étant donc pas unanimement admise, encore fallait-il en rapporter la preuve. Or, puisque l’appelante souhaite engager la responsabilité contractuelle du notaire, c’est sur elle et elle seule que repose la charge de la preuve de l’existence du mandat. La solution de la cour d’appel ne peut donc qu’être approuvée en ce qu’elle a fait une stricte application des règles de preuve. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle ait rappelé, dès le premier attendu de sa décision, qu’il « appartient au demandeur à l’action en responsabilité de rapporter la preuve de l’existence et de l’étendue du mandat prétendument confié au professionnel » et que la charge de cette preuve ait alors incombé à la demanderesse.

II/ Le mode de preuve de l’existence du mandat

4Conformément aux prescriptions de l’article 1985 du Code civil, la preuve du mandat est également soumise aux règles de droit commun. En ce sens, la jurisprudence n’a pas manqué d’occasions pour souligner que « la preuve du mandat, même verbal, ne peut être reçue que conformément aux règles générales sur la preuve des conventions » (Civ. 1re, 19 déc. 1995, n° 94-12.596, Bull. civ. I, n° 473 ; Civ. 3e, 29 avr. 1971, Bull. civ. III, n° 276). Partant, lorsque le mandat porte sur un bien ou une prestation dont la valeur est supérieure à 1 500 euros, il est nécessaire de rapporter une preuve littérale telle que la définit l’article 1359 du Code civil. Néanmoins, dans la mesure où ce contrat peut, sauf disposition législative contraire, être conclu verbalement (v. par ex. Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 03-14.388, Cont. conc. cons. 2005, comm. 125, obs. L. Leveneur), il est possible d’établir un simple commencement de preuve par écrit, si tant est qu’il soit complété par des éléments extrinsèques (Civ. 1re, 20 avr. 1983, Bull. civ. I, n° 126). Or, en l’espèce, aucun contrat n’avait été formellement matérialisé entre le notaire et l’appelante et il appartenait donc à celle-ci d’établir, a minima, un tel commencement de preuve. Pour ce faire, Mme R invoquait le contenu des mails et courriers échangés qui établissait clairement, selon elle, le rôle de conseil de l’officier ministériel. Elle en déduisait alors l’existence d’une faute de maître Y, notamment en ce qu’il lui avait procuré des conseils erronés et avait négligé d’entreprendre des démarches personnelles en se rangeant simplement à l’avis de la fille de l’appelante.

5Cependant, ce qui caractérise pour celle-ci une faute contractuelle n’est en réalité rien de plus que le résultat de l’absence de contrat. Rappelons que si seul le consentement du mandant doit être prouvé par écrit, puisque celui du mandataire peut être tacite (art. 1985 al. 2 C. civ.), encore faut-il que les actes de ce dernier soient suffisamment explicites pour pouvoir révéler l’acceptation de la mission confiée par le mandant. Or, les faits d’espèce invitent effectivement à considérer que maître Y ne s’est jamais comporté avec Mme R comme envers une cliente, entretenant de fait une simple relation amicale. Ainsi, le fait de conseiller à l’appelante d’interroger d’autres professionnels du droit, la question posée concernant la prescription dépassant selon lui le domaine de ses compétences, ou encore de se « ranger à la position de Caro », sans entreprendre plus avant de quelconques recherches personnelles, ne s’explique pas en l’espèce par un manquement aux obligations du mandataire, mais par le fait que le notaire n’a en réalité jamais accepté la mission prétendument confiée. L’échange de quelques mails et courriers ne saurait suffire, à lui seul, à établir la preuve de l’acceptation même tacite du mandataire.

6En ce sens, et conformément à son devoir d’appréciation des éléments de fait et de droit permettant de conclure à l’existence d’un mandat (Civ. 3e, 5 déc. 1973, Bull. civ. III, n° 616), la cour d’appel de Lyon a estimé, grâce à un faisceau d’indices, que la correspondance entre les parties ne dépassait pas le cadre amical et était insusceptible de caractériser la présence d’un tel contrat. C’est notamment l’usage du tutoiement, des prénoms respectifs de chacun et de la formule « Je t’embrasse » à la fin de chaque message qui furent relevés par les magistrats pour conclure que Mme R n’avait jamais été la cliente de maître Y. A priori, la solution pourrait surprendre lorsqu’on se rappelle que le mandat fut initialement conçu comme un « service d’ami » et demeure aujourd’hui un contrat marqué par un fort intuitu personae. Pourtant, ce serait oublier trop rapidement le mouvement de professionnalisation qui a marqué ce contrat et faire peu de cas de l’inversion de la charge de la preuve lorsque celui-ci est conclu dans le cadre d’une activité habituelle.

III/ Le caractère onéreux du mandat conclu par un professionnel

7Bien qu’initialement conçu comme un service d’ami, le mandat est désormais couramment conclu à titre onéreux. Tel sera le cas, en principe, des contrats passés dans le cadre d’une activité professionnelle exercée à titre habituelle puisqu’alors, le caractère onéreux du mandat sera présumé (V. not. Civ. 1ère, 11 févr. 1981, Bull. civ. I, n° 50 s’agissant des « personnes qui font profession de s’occuper des affaires d’autrui »). En l’espèce, bien qu’ami de Mme R, maître Y est avant tout notaire et c’est dans le cadre de cette profession qu’il aurait, selon l’appelante, accepté d’être son mandataire. Dès lors, le supposé mandat aurait dû donner lieu à une rémunération, sauf à rapporter la preuve de l’intention libérale du notaire qui aurait consenti à la mission de représentation en l’absence d’une quelconque rémunération. Mais en la matière, Mme R ne justifie ni du versement effectif d’un salaire, ni de la volonté du notaire d’agir gratuitement en son nom et pour son compte. Par conséquent, en l’état de ces constatations et, donc, du contexte amical et gratuit de l’intervention, la cour d’appel estime qu’aucune faute ne pouvait être reprochée au notaire. Cette conclusion ne peut alors qu’emporter l’adhésion.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ B, 12 janvier 2021, n° 19/01388



Citer ce document


Chloé Leduque, «La preuve du contrat de mandat», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 16/04/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2729.

Auteur


À propos de l'auteur Chloé Leduque

Docteure en droit privé, ATER équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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