Par un arrêt en date du 7 juillet 2020, la cour d’appel de Lyon vient s’interroger sur la responsabilité civile extracontractuelle d’une société éditrice.
En l’espèce, et lors d’une précédente procédure, un footballeur s’était vu débouter de ses demandes (CA Lyon, 6e ch., 26 févr. 2015, n° 12/08876) tendant à ce que ses préjudices, prétendument causés par un tacle irrégulier, soient indemnisés. Les péripéties juridiques du footballeur ne s’arrêtèrent pas là. En effet, il trouva en 2016, sur le site internet d’une société éditrice, un lien annexé à un commentaire d’arrêt permettant d’accéder à la décision susmentionnée non-anonymisée. Si les liens sont finalement supprimés, il n’en est pas pleinement satisfaisant et assigne la société devant le tribunal d’instance de Lyon pour la voir condamner, sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle, à indemniser ses préjudices, estimant que la publication avait pour seul objectif de le discréditer dès lors qu’étaient mentionnés son identité et les préjudices allégués dans la première procédure, parmi lesquels un préjudice sexuel. La société défenderesse estime, quant à elle, que la seule finalité de la publication était informative. Le 25 octobre 2018, le tribunal de première instance déboute le demandeur en affirmant que l’action n’était pas fondée dès lors que l’intention de nuire n’était pas caractérisée. Il décide alors d’interjeter appel. Finalement, la cour d’appel de Lyon condamne le défendeur à indemniser le préjudice moral du footballeur.
L’intérêt de cet arrêt réside dans ce qu’il ne se borne pas à énoncer, comme la Cour de cassation l’a fait (Cass. civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798 ; Cass. civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-17.521) et le fait toujours (Cass. soc, 12 nov. 2020, n° 19-20.583), que « la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation » (ibid., spéc. § 7). En effet, les juges d’appel tentent de procéder à la caractérisation du fait générateur de responsabilité (I) et à celle des préjudices eu égard au lien de causalité (II).
I/ La faute délictuelle du défendeur
Au regard de la finalité informative de la publication et du comportement de la société, la cour d’appel, suivant le défendeur, ne pouvait qu’exclure l’intention de nuire. Elle mobilise alors la notion de « légèreté blâmable » (voir pour un autre ex. : Cass. soc, 8 juill. 2014, n° 13.15.573). Définie comme l’« excès manifeste de désinvolture ou d’irréflexion dans une décision entraînant, pour autrui, des graves conséquences » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. PUF, 2013, 9e éd., p. 597), elle doit être appréciée in abstracto. Cependant, et à juste titre, les juges d’appel rehaussent le standard d’appréciation dès lors que le défendeur est un professionnel du monde du droit et qu’« il appartient à l'homme raisonnable de mettre à profit les aptitudes et connaissances particulières qu'il possède » (P. Brun, « Responsabilité du fait personnel », Rép. civ. Dalloz, mai 2015, actualisation oct. 2020, spéc. § 68).
En l’espèce, le défendeur a publié deux articles avec des liens renvoyant vers une décision de justice contenant l’identité du demandeur ainsi que des informations liées, notamment, à sa vie sexuelle et à son état de santé. En outre, comme le relèvent les juges d’appel, le défendeur est « une société travaillant dans le domaine du droit », et, s’il n’avait pas à recueillir a priori l’autorisation du demandeur pour publier une décision de justice rendue à son initiative, il ne pouvait pas ignorer que l’anonymisation de la décision préalablement à la mise en service du lien d’accès, était nécessaire pour qu’il ne soit pas porté atteinte à la vie privée du demandeur eu égard aux informations précédemment évoquées. En effet, il est de jurisprudence constante que l’état de santé et la vie sexuelle d’un individu relèvent du domaine protégé du droit au respect de la vie privée (pour l’état de santé, v. Cass. Civ 1re, 6 juin 1987, n° 86-16.185 ; pour la vie sexuelle et/ou sentimentale, v. Cass. Civ 2e, 24 avr. 2003, n° 01-01.186). En outre, de telles informations n’avaient, pour le commentaire publié, aucun intérêt juridique dès lors que la suppression de l’identité du demandeur dans la première procédure n’aurait pas empêché la compréhension de l’arrêt.
Ainsi, la publicité des décisions de justice n’empêche par la prise en compte du droit au respect de la vie privée à l’aune de l’objectif poursuivi dans le cadre de la publication, dès lors qu’il s’agit d’un droit fondamental protégé par des nombreux textes (C. civ., art. 9 notamment ; voir l’art. L. 111-13 du COJ qui prévoit, aujourd’hui, explicitement cette prise en considération). Comme cette prise en compte n’était pas suffisante en l’espèce, une faute d’imprudence a été commise au regard du comportement de la société constitutif d’une légèreté blâmable dès lors qu’il a été porté atteinte à ce droit au respect de la vie privée.
Il est appréciable que la cour d’appel procède à une réelle caractérisation de la faute en tentant de la distinguer du préjudice (II).
II/ Les préjudices moraux du demandeur
Dans un premier temps, les juges lyonnais excluent, à juste titre, le préjudice professionnel allégué par le demandeur dès lors qu’aucun élément du dossier ne permet de démontrer que ce préjudice est causé par la faute caractérisée ici. Le lien de causalité faisant évidemment défaut, le préjudice ne peut pas être indemnisé.
Dans un deuxième temps, les juges tentent de caractériser le préjudice moral du demandeur. S’ils débutent leur raisonnement en évoquant le « préjudice moral lié à l'atteinte à sa vie privée et sexuelle », nous pourrions croire à un retour à la solution de la Cour de cassation qui présume l’existence du préjudice à partir de l’atteinte au droit au respect de la vie privée. Cependant, les juges tentent de s’en détacher pour caractériser le préjudice. Tentent, car nous pouvons voir que l’atteinte au droit au respect de la vie privée, et le préjudice qui en découle, sont si liés que leur distinction s’avère complexe (v. P. Jourdain, « La seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation », D. 1997. 289). Par conséquent, il est relevé que les lecteurs ont pu accéder, pendant moins d’un an, à l’information selon laquelle le demandeur avait une « baisse de libido » et au fait qu’il avait des séquelles des suites du tacle. La révélation de ces informations au public l’a nécessairement affecté dès lors qu’il n’avait pas autorisé la publication et que de telles informations touchent des éléments sensibles d’un individu, oserait-on dire son honneur. Réapparaît donc le fait, qu’in fine, le préjudice et l’atteinte sont quasiment indissociables.
Dans un troisième temps, la cour d’appel évalue le préjudice en tenant compte du fait que s’il a existé pendant moins d’une année, il n’existe plus. Logiquement donc, et comme le fait classiquement la jurisprudence, le montant des dommages et intérêts alloués est modulé au regard de l’étendue réelle du préjudice (pour plus de détails jurisprudentiels sur la modulation du montant, v. A. Lepage, « Droit de la personnalité – Protection judiciaire des droits de la personnalité », Rép. civ. Dalloz, sept. 2009, actualisation sept. 2020, spéc. § 255 à 264). En l’espèce, c’est principalement au regard de la durée de la diffusion que les dommages et intérêts versés le sont. Il aurait peut-être été souhaitable que la cour d’appel se penche sur le nombre de lecteurs du site du défendeur, voire du commentaire, pour moduler au mieux le montant des dommages et intérêts.
Si le footballeur n’a pas pu obtenir ce qu’il souhaitait lors de la première procédure, il a cependant eu, en partie, gain de cause lors de la seconde.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 7 juillet 2020, n° 19/00356, n° Juris-Data 2020-009704