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Première application de l’article 1112 du Code civil : une rupture abusive des pourparlers contractuels sanctionnée

Julia Pinier-Rafer


1Le contentieux de la période précontractuelle est relativement peu discuté par la cour d’appel de Lyon comme en témoigne, sur ces cinq dernières années, une seule décision en date du 9 avril 2019 (v. CA Lyon, 1re ch. civ. B, 9 avr. 2019, n° RG 17/06751 obs. C. Leduque, « Précisions quant à la liberté de rupture de pourparlers à un stade avancé », Bacaly, juillet 2019 – février 2020 : rupture pour motif légitime). Il demeure, par conséquent, globalement très casuistique et, également, très anecdotique devant la juridiction lyonnaise. Pourtant c’est au travers d’une décision concernant une rupture brutale et abusive des pourparlers contractuels sur le fondement de l’article 1112 du Code civil que la cour d’appel de Lyon a eu l’occasion de faire une application du nouveau droit des contrats, ce qui, aujourd'hui encore est relativement rare pour être souligné.

2En l’espèce, les faits de l’affaire sont classiques. Mme L intéressée par un appartement mis en vente, contacte les propriétaires M. et Mme D fin octobre 2016. Le 5 novembre, après deux visites du bien, en présence exclusive du mari vendeur, Mme L convient de l’achat de l’appartement pour un prix de 149 000 euros avec celui-ci, qui informe son notaire le soir-même pour qu’il rédige un compromis. La signature est fixée à l’étude, le 24 novembre à 17 heures. Le jour même de celle-ci, à 11 heures et 34 minutes précisément, Mme L reçoit un SMS de la part du mari vendeur ; son épouse ne veut « plus vendre le bien ». Évincée de l’acquisition, celle-ci demande alors 12 000 euros en première instance au titre du préjudice subi suite à la rupture des négociations. En mai 2019, le TGI de Lyon reconnait l’application de l’article 1112 du Code civil, invoquée par le conseil de Mme L et admet que le refus des vendeurs, Mme et M. D, de régulariser le compromis de vente constitue « une rupture fautive des négociations précontractuelles » réfutant leur argumentation sur le terrain de l’article 1583 du Code civil. Il condamne in solidum les époux vendeurs à verser à Mme L., la somme de 8 000 euros au titre de titre de dommages et intérêts. Les époux interjettent appel. Ils arguent que l’épouse de M. D n’a jamais donné son consentement à la vente, et qu’en l’absence d’accord de toutes les parties sur la chose et le prix, le compromis n’a jamais été constitué. L’argumentation n’est pas admise par la cour d’appel de Lyon qui confirme le premier jugement sur le fondement de l’article 1112 du Code civil (en écartant une nouvelle fois l’application de l’article 1583 du même Code). « En rompant les négociations quelques heures seulement avant le rendez-vous fixé chez le notaire pour la signature du compromis de vente de leur appartement, M. et Mme D. ont commis une faute dans la rupture de ces négociations ». Cet arrêt témoigne une nouvelle fois de l’importance de l’appréciation au cas par cas de l’abus dans la rupture des négociations précontractuelles et applique le nouvel article 1112 du Code civil.

3La Cour de cassation n’a de cesse de rappeler que la période précontractuelle est irriguée par le principe de la bonne foi. La rupture demeure libre, sauf à démontrer un abus dans son exercice (Cass. com., 16 février 2016, n° 13-28.448). Et pour déterminer l’abus, l’étude des circonstances factuelles est nécessaire. C’est pourquoi logiquement l’appréciation in concreto de celui-ci est donc laissée aux juges du fond, principalement au travers de la technique du faisceau d’indices. En l’espèce, l’abus dans la rupture est ici caractérisé grâce à une énumération très précise des faits, réalisée une première fois par le tribunal de grande instance, et confirmée par la cour d’appel de Lyon. Les motifs de l’arrêt d’appel témoignent de l’importance de la preuve des circonstances de la rupture. La décision est largement motivée par la cour d’appel qui reprend les éléments de faits versés au dossier par les parties pour qualifier une rupture fautive des négociations. Elle rappelle que les deux époux ont participé aux discussions relatives à la vente. Certains éléments du dossier démontrent que « Mme D. était au courant des négociations et y a participé ». Le refus de signature constitue donc une rupture fautive et sans motif légitime. En effet, la Cour relève que le couple de vendeur n’apporte aucun élément de fait démontrant une situation dans laquelle la qualification des pourparlers contractuels aurait pu être écartée afin d’éviter une condamnation sur le fondement de l’article 1112. Selon elle, le notaire n’aurait jamais pu fixer un rendez-vous pour la signature du compromis si les deux époux n’avaient pas tous les deux participé aux négociations. L’argumentation détaillée de la cour d’appel montre alors explicitement à quel point l’appréciation factuelle est à prendre en compte dans ce type de litige. La Cour rappelle également que la temporalité des faits a joué un rôle déterminant dans l’affaire. Le jugement d’appel insiste sur le peu de temps écoulé entre le rendez-vous pour la signature du compromis et la rétractation du couple vendeur, « quelques heures seulement ». L’appréciation au cas par cas des ruptures abusives des négociations précontractuelles demeure donc la règle, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui accorde une importance primordiale au degré d’avancement des négociations et à la temporalité de la rupture des négociations pour déterminer ou non le caractère fautif de celles-ci (v. notamment en ce sens, Cass. civ. 1re, 20 déc. 2012, n° 11-27.340 ; Cass. civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 10-67.764). C’est pourquoi, en l’espèce, le caractère fautif de la rupture des négociations entre les époux D et Mme L ne pouvait donc qu’être confirmé en appel. Cette solution est alors une illustration supplémentaire de l’impérative casuistique dans ce type de contentieux.

4Enfin, la nouveauté de cette solution réside dans le fondement employé. Le contentieux entre Mme L et les époux D a débuté en novembre 2016 lors des négociations sur le prix de l’appartement en vente. Conformément à l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, tous les contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016 sont soumis au droit de l’ordonnance. Les discussions précontractuelles ont démarré en novembre 2016. Par conséquent, et comme l’a justement envisagé le conseil de Mme L, le litige est régi par le nouvel article 1112 du Code civil. Par une codification à droit constant, l’article rappelle, en son premier alinéa, que « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de bonne foi ». En rompant les négociations de la vente future 5 heures et 26 minutes avant la signature du compromis de vente, M. et Mme D ont commis une faute. À ce titre, ils doivent indemniser Mme L. L’innovation n’est pas majeure mais doit être soulignée car il s’agit de la première fois que la cour d’appel de Lyon règle un litige relatif aux pourparlers sur le fondement du nouvel article 1112.

5Avec cette décision, la fin de l’année 2020 marque peut-être une rupture. Les premiers contentieux contractuels régis par les nouveaux textes post réforme commencent à surgir et il nous tarde de voir comment la juridiction lyonnaise les mettra en application. Le nouveau droit des contrats commence enfin à vivre (v. N. Molfessis, « Droit des contrats : Que vive la réforme », JCP G 2016 n° 7, Libre propos, p. 321 s.).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. Civ. B, 10 novembre 2020, n° RG 19/03862



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Julia Pinier-Rafer, «Première application de l’article 1112 du Code civil : une rupture abusive des pourparlers contractuels sanctionnée», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2744.

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À propos de l'auteur Julia Pinier-Rafer

Doctorante en droit de la responsabilité et des assurances, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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