La modification d’un testament par une personne âgée esseulée n’est pas une hypothèse nouvelle en matière d’abus de faiblesse. L’affaire Bettencourt avait déjà accaparé l’actualité judiciaire.
En l’espèce, Mme Z est une personne âgée et esseulée entretenant des relations privilégiées avec Mme X. Elle témoigne ainsi à plusieurs reprises de la volonté d’instituer cette dernière sa légataire universelle. Si plusieurs témoignages du personnel soignant en attestent, d’autres rapportent cependant l’existence de troubles cognitifs dont souffraient Mme Z. Toutefois, ce n’est que postérieurement à l’acte notarié instituant Mme X comme légataire universelle qu’un rapport d’expertise établit la nécessité que Mme Z soit notamment « représentée d’une manière continue de façon urgente et définitive dans les actes patrimoniaux ».
C’est ainsi que l’association Y procède au signalement de la situation au procureur de la République, en ce que l’établissement de ce testament annulant toute disposition testamentaire antérieure pourrait correspondre à un abus de faiblesse. Mme X, prévenue devant le tribunal correctionnel pour avoir abusé de l’état de faiblesse d’une personne particulièrement vulnérable est relaxée. Le ministère public interjette appel.
La cour d’appel de Lyon, pour confirmer la relaxe de première instance, se prononce d’abord sur l’existence d’une personne protégée qu’elle vérifie sur le fondement de l’expertise diligentée. En effet, le grand âge n’institue aucune présomption de vulnérabilité (Cass. crim., 23 juin 1999, n° 98-84.158). L’arrêt constate donc l’état de faiblesse avec prudence, qui n’est strictement révélé qu’à compter du rapport d’expertise en date du 24 août 2016. L’état de vulnérabilité doit donc être apprécié au moment de la réalisation de l’acte préjudiciable. Par ailleurs, les troubles constatés antérieurement étaient d’une part récents et d’autre part inconstants. Mme Z, qui avait déjà manifesté la volonté d’instituer Mme X comme légataire universelle, a pu la réitérer en dehors de tout trouble psychique.
C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon, sans écarter l’état de faiblesse de Mme Z, lorsqu’elle revient sur de précédentes dispositions testamentaires, vérifie l’existence d’un abus de cet état au préjudice de l’éventuelle victime. Cette incrimination prévue à l’article 223-15-2 du Code pénal, issue de la Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 est plus sévère que l’ancienne (article 313-4 ancien du Code pénal), en ce qu’il n’est plus exigé que l’abus ait pour effet d’obliger la victime. Désormais, « l’intervention doit seulement « conduire » cette personne à accomplir l’acte qui lui est préjudiciable, formule qui n’implique plus le recours à une certaine violence et étend considérablement le champ de l’infraction » (M. Véron, Droit pénal spécial, SIREY, 17e éd., 2019, p. 153). Sur ce point, la cour d’appel de Lyon relève que l’intention libérale de Mme Z a été vérifiée par un notaire, ayant pris le soin de l’interroger à plusieurs reprises quant à sa volonté d’instituer Mme X légataire universelle, et cela hors la présence de cette dernière. Mme Z a pu librement répondre à l’officier ministériel, sans y être conduite. Le notaire a donc un rôle prépondérant dans l’observation de la matérialité des faits. Le fait que ce dernier ait strictement vérifié l’intention libérale du testateur, en dehors de toute présence pouvant l’y conduire, permet d’écarter l’abus.
Quant à la notion de préjudice, elle ne fait l’objet d’aucune discussion. Il a en effet déjà été précisé par la jurisprudence que « pour une personne vulnérable, l’acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l’a obligée à cette disposition, constitue un acte gravement préjudiciable au sens de l’article 223-15-2 » (Cass. crim., 15 novembre 2005, n° 04-86.051). Encore faut-il prouver que cette personne vulnérable ait été obligée à cet acte, du moins l’ait été conduite.
Enfin et surtout, concernant l’élément moral de l’abus de faiblesse, cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’auteur doit être conscient au moment des faits de l’état de la victime (Cass. crim., 27 mai 2004, n° 03-82.738). En effet, l’intention de Mme X d’abuser de la faiblesse de Mme Z est écartée, en ce qu’au jour de son institution comme légataire universelle, elle méconnaissait l’état psychique de cette dernière, le rapport d’expertise n’intervenant que postérieurement. La cour d’appel de Lyon, avec prudence, rappelle l’exigence de constater systématiquement la connaissance par l’auteur de l’état de faiblesse, sans quoi, aucun abus ne pourrait être caractérisé.
Donc, l’intention libérale ayant été vérifiée par un notaire, hors la présence de son bénéficiaire, qui de plus ignorait l’état de faiblesse du testateur, le délit d’abus de faiblesse est écarté. L’état de faiblesse étant méconnu, aucun abus ne saurait être caractérisé.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 7e ch., 26 septembre 2019, n° 19/169