BACALy

Du renouvellement automatique de la détention provisoire criminelle en temps de Covid-19

Angéline Coste


1À situation sanitaire particulière, décision judiciaire singulière. Tel est le principal enseignement de l’arrêt rendu le 9 avril 2020 par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon.

2Sur fond de représailles pour vol de véhicule, le 17 octobre 2017, le passager d’un premier véhicule tirait sur le conducteur d’un second. Les investigations mettaient rapidement au jour l’implication d’un individu comme étant le tireur. Une information judiciaire était donc ouverte contre lui pour tentative de meurtre en récidive et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime en récidive. Il était placé en détention provisoire le 6 avril 2018. Alors que le juge d’instruction demandait la prolongation de sa détention provisoire, le juge des libertés et de la détention refusait cette prolongation, plaçant le mis en examen sous contrôle judiciaire par une ordonnance en date du 27 mars 2020. Le ministère public interjetait appel de cette ordonnance au motif qu’en application de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale, les détentions provisoires criminelles étaient automatiquement prolongées de six mois. Il appartenait donc à la cour d’appel de déterminer s’il fallait faire primer les dispositions habituellement applicables en la matière ou les dispositions dérogatoires créées dans l’urgence sanitaire. En infirmant l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, la chambre de l’instruction admet la primauté des dispositions nouvelles. Toutefois, elle confirme la remise en liberté du mis en examen ainsi que son placement sous contrôle judiciaire. Bien qu’une telle position puisse sembler contradictoire, elle semble à la vérité protectrice du droit à la sûreté (J.-B. Perrier, « La prorogation de la détention provisoire, de plein droit et hors du droit », D. actu., 9 avr. 2020).

3Il faut en premier lieu préciser la nouveauté introduite par l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 précitée. Cette dernière a en effet prévu qu’à compter de la date de sa publication, soit le 26 mars, toute détention provisoire en cours durant une information judiciaire est de plein droit prolongée de six mois. Or, dans les faits, la détention provisoire du mis en examen devait expirer le 5 avril 2020 à minuit. La date du 26 mars étant antérieure au 5 avril, la chambre de l’instruction a estimé à bon droit que la détention provisoire examinée emportait application de la disposition spécialement créée. Le juge des libertés et de la détention devait simplement « constater que la date d’échéance du titre de détention en cours avait été légalement reportée au 5 octobre 2020 ». Interrogé sur le caractère proportionné d’une telle mesure, le Conseil d’État avait d’ailleurs dénié toute atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales, en se fondant notamment sur la gravité de l’évolution et des conséquences de la crise sanitaire (CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894). Un mois plus tard, la Cour de cassation a précisé les conditions d’application de cet article 16 en signifiant que « l’article 16 s’interprète comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les durées qu’il prévoit, tout titre de détention venant à expiration, mais à une seule reprise au cours de chaque procédure » (Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.910 ; Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.971). L’ordonnance du 25 mars posait ainsi deux critères, qui étaient réunis en l’espèce, pour proroger de plein droit la détention provisoire : une détention en cours au moment de la publication de l’ordonnance ainsi qu’une information judiciaire en cours au moment de la détention provisoire.

4Cependant, la chambre de l’instruction a choisi d’ordonner la remise en liberté du mis en examen et son placement sous contrôle judiciaire. Les garanties présentées par le conseil de celui-ci, tenant au fait qu’il disposait d’un hébergement et d’une proposition d’emploi, ont été prises en compte. Les juges d’appel ont considéré que les obligations d’une mesure de contrôle judiciaire étaient suffisantes pour répondre aux objectifs de l’article 44 du Code de procédure pénale. En d’autres termes, la chambre de l’instruction se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention. Au fond, s’il lui était juridiquement impossible d’exclure l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 et d’approuver la saisine du juge des libertés et de la détention en l’espèce, elle réaffirme le rôle de gardien des libertés individuelles joué par le juge judiciaire. Cet arrêt était donc annonciateur de la position de la Cour de cassation qui a postérieurement validé la prolongation de plein droit tout en exigeant un contrôle judiciaire de la nécessité de la mesure de détention provisoire (Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.910 ; Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.971). Dans ces conditions, il fallait douter de la pérennité du régime dérogatoire institué par l’ordonnance du 25 mars 2020. La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a d’ailleurs supprimé la très contestée possibilité de prolonger les délais de détention provisoire sans intervention judiciaire.

Arrêt commenté :
CA Lyon, ch. de l’instruction, 9 avril 2020



Citer ce document


Angéline Coste, «Du renouvellement automatique de la détention provisoire criminelle en temps de Covid-19», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2752.

Auteur


À propos de l'auteur Angéline Coste

Doctorante en droit pénal, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


BACALy