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Annulation d’une mesure de sonorisation pour détournement de procédure

Angéline Coste


1Sonorisation mal acquise ne profite jamais. Tel est le principal enseignement de l’arrêt rendu le 18 décembre 2018 par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon. À l’occasion d’une enquête préliminaire ouverte du chef de trafic de fausse monnaie et d’association de malfaiteurs, deux individus font l’objet de mesures d’interceptions téléphoniques, de géolocalisation et de sonorisation. Leur mise en œuvre s’inscrit dans le cadre du régime dérogatoire prévu en matière de criminalité organisée. Ainsi, aux termes des articles 706-96 et 706-96-1 du Code de procédure pénale, ce régime est applicable si les nécessités de l’enquête relative à une des infractions prévues aux articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent et hors le cas d’un détournement de procédure. Or, la sonorisation de l’appartement de l’un d’eux a révélé l’implication des deux individus dans un trafic de stupéfiants. Ils ont donc été mis en examen mais ont contesté l’application du régime dérogatoire précité, application qui serait constitutive d’un détournement de procédure puisqu’ils n’avaient à aucun moment été mis en cause pour les faits de trafic de fausse monnaie, faits qui ont motivé la mise en place des mesures contestées.

2La cour d’appel fait partiellement droit à leur demande. Elle distingue les interceptions téléphoniques et les géolocalisations de la sonorisation. Les interceptions téléphoniques et les géolocalisations sont justifiées par la nature de l’infraction initialement visée, le trafic de fausse monnaie, nécessairement commise en bande organisée. En revanche, parce que ces deux mesures n’ont pas établi l’implication effective des protagonistes, la poursuite des investigations ne trouvait plus de justification. En effet, les enquêteurs ont constaté la rareté de leurs échanges téléphoniques et l’absence de résultat des surveillances physiques. De plus, selon la cour, la discrétion dont ils ont fait preuve ainsi que leurs antécédents judiciaires ne suffisent pas à caractériser leur implication effective dans un trafic de fausse monnaie. Or, la sonorisation intervenant après ce constat et le trafic de stupéfiants n’ayant été envisagé que grâce à cette mesure, il y a bien eu détournement de procédure. Sans qu’il n’y soit explicitement fait référence, cet arrêt questionne le principe de loyauté. À la faveur d’une délimitation large des frontières du détournement de procédure, la chambre de l’instruction semble considérer que les enquêteurs ont malmené la loyauté procédurale.

3Cette conception du détournement de procédure est pour le moins surprenante. Aussi, elle se situe à contre-courant de la jurisprudence, qui ne l’admet que très rarement. Mais surtout, l’implication effective n’est pas exigée par le Code de procédure pénale pour que soit justifiée une mesure de sonorisation. De même, il n’est pas rare que des individus soient mis en examen pour des faits distincts de ceux initialement visés par cette mesure (J-Y. Maréchal, « Le détournement de la procédure de criminalité organisée », Dossier d’actualité, 3 sept. 2019). Cet arrêt fit l’objet d’un pourvoi en cassation, qui définit tout autrement le détournement de procédure. Il s’agit du fait, pour des agents publics, de se placer faussement et à dessein dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 du Code de procédure pénale, à seule fin de mettre en œuvre les pouvoirs conférés par les articles 706-96 et 706-96-1, dont ils n’auraient pu disposer autrement (Cass. crim. 18 juin 2019, n° 19-80.015, P+B+I). La Cour de cassation précise que l’absence d’implication effective des individus objets de la mesure de sonorisation et leur mise en examen pour des faits distincts de ceux initialement visés par cette mesure ne suffisent pas à caractériser un détournement de procédure. Il aurait fallu établir que les enquêteurs se sont artificiellement placés dans le cadre procédural dérogatoire et qu’ils ont eu l’intention de détourner la procédure tout en ayant conscience que les faits révélés ne relevaient pas du régime dérogatoire (E. Clément, « Définition du détournement de procédure » : AJ Pénal 2019, p. 450). Cette définition restreint considérablement les hypothèses dans lesquelles le détournement de procédure pourrait être retenu en matière de criminalité organisée. Il appartiendra à la jurisprudence de l’étendre, ou non, à la criminalité de droit commun.

Arrêt commenté :
CA Lyon, Chambre de l’instruction, 18 décembre 2018



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Angéline Coste, «Annulation d’une mesure de sonorisation pour détournement de procédure», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2176.

Auteur


À propos de l'auteur Angéline Coste

Doctorante en droit pénal, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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