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Proxénétisme aggravé et association de malfaiteurs, un cumul judicieux ?

Mathilde Hirsinger


1Le proxénétisme, par la cupidité sur laquelle il repose et le « mépris de toute valeur humaine » – tels sont les termes de notre arrêt – qu’il induit, nécessite une répression effective. Telle est la leçon dispensée le 16 juin dernier par la cour d’appel de Lyon dans le cadre d’une affaire complexe, mêlant multiplicité d’acteurs et usage minutieux des technologies numériques. En effet, les « gérants » de l’organisation recherchaient des appartements à louer et recrutaient les prostitué(e)s. Des annonces pour des « massages » étaient ensuite publiées en ligne, avec un numéro de téléphone portable géré par des « standardistes » dont la tâche était de mettre en relation le client avec la prostituée. À la fin de la journée, les prostitué(e)s indiquaient leur bilan dans un groupe de discussion éphémère et crypté. Un collecteur de fonds venait enfin récupérer les bénéfices ensuite répartis entre les différents intervenants.

2Le tribunal correctionnel a déclaré coupable de proxénétisme aggravé les divers prévenus, mais les a relaxés du chef d’association de malfaiteurs. Le ministère public interjette appel du jugement rendu à l’encontre de l’un des deux gérants de la structure. La cour d’appel de Lyon aggravera finalement la peine prononcée en première instance, manifestant son attache au droit à la dignité (I) et retiendra au surplus l’association de malfaiteurs, sans envisager la bande organisée (II).

I/ La condamnation pour proxénétisme, affirmation tacite du droit à la dignité

3En ayant facilité – notamment par la location d’appartements et la publication d’annonces – mais également tiré profit de – en s’octroyant une part des gains – la prostitution d’autrui, le prévenu s’est rendu coupable de proxénétisme. De surcroît, la répression ne pouvait qu’être alourdie par les multiples circonstances aggravantes retenues : pluralité de victimes, pluralité d’auteurs et utilisation d’un réseau de communication électronique. La cour d’appel appuie également sur le caractère fructueux d’une telle structure : les gains réels seraient bien plus conséquents que les sommes alléguées par le prévenu. Il semblerait que ce mobile lucratif puisse expliquer l’augmentation du montant de l’amende, mais l’aggravation de la peine d’emprisonnement paraît davantage fondée sur un droit aussi contesté que constaté : le droit à la dignité.

4Si, en raison de son contenu aux contours nébuleux, certains en contestent l’existence (v. par ex. Cayla O. « Dignité humaine : le plus flou des concepts », Le Monde, 30 janv. 2003), les Sages ont pourtant consacré sa valeur constitutionnelle il y a longtemps déjà (Cons. const., n° 94-343/344 DC du 27 juill. 1994), en déclarant que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». La cour d’appel de Lyon, quant à elle, justifie l’aggravation de la peine par l’existence d’un « schéma où l’intégrité de la personne est niée ». Elle appuie sur « le désarroi de jeunes femmes d’origine asiatique, démunies, sans ressources et très souvent en situation irrégulière » et en déduit une situation de détresse sciemment exploitée afin de « satisfaire les besoins financiers des chefs de réseau ». Sans faire référence au terme de dignité, la cour d’appel invoque implicitement ses contours, démontrant l’instrumentalisation des prostituées par autrui, dans un objectif d’asservissement incompatible avec les droits et libertés garantis à chaque être humain.

II/ Le choix de l’association de malfaiteurs au détriment de la circonstance aggravante de bande organisée

5Si le tribunal correctionnel a écarté l’association de malfaiteurs pour absence d’actes préparatoires, la cour d’appel de Lyon en décide autrement. Afin de caractériser l’infraction (dont l’élément matériel se rapporte à la participation à un groupement ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement), elle relève l’existence d’agissements en amont, opérés de façon organisée et dans le but de permettre la réalisation du délit de proxénétisme. Si de nombreuses manœuvres, éléments constitutifs du proxénétisme, ne peuvent donc être qualifiées d’actes préparatoires, il semble que d’autres puissent se situer plus en amont sur l’iter criminis. Il en va ainsi de la recherche d’appartements, de la création de groupes de discussions cryptés ou encore du recrutement des standardistes et collecteurs de fonds. Néanmoins, l’association de malfaiteurs constitue une infraction obstacle, dont l’objectif – bien qu’elle existe indépendamment de la consommation de l’infraction projetée – est d’empêcher la réalisation de cette dernière. Autrement dit, si elle peut être retenue cumulativement avec l’infraction qu’elle avait pour ambition de consommer, la ratio legis recommanderait d’appréhender la préparation organisée de l’infraction non sous l’angle d’une incrimination autonome, mais sous celui d’une circonstance aggravante : la bande organisée.

6En plus des éléments constitutifs de l’association de malfaiteurs, la circonstance aggravante de bande organisée, prévue pour le proxénétisme, requière la préméditation de l’infraction et l’existence d’une organisation structurée entre ses membres (Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-88.3 29). Or, les faits d’espèce semblent permettre de retenir tant l’une (la création de groupes de discussion, l’utilisation de différents pseudonymes, l’achat et l’usage de différents téléphones et cartes Sim) que l’autre (la pluralité d’intervenants et la définition précise du rôle de chacun, le tout inséré dans une structure hiérarchique). Malgré tout, la cour d’appel de Lyon n’envisage pas la bande organisée, alors même qu’elle aurait pu être caractérisée et que, portant sur les mêmes faits que ceux caractérisant l’association de malfaiteurs, elle aurait dû l’emporter sur cette dernière en application de l’adage specialia generalibus derogant.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 4e ch., 6 juin 2020, n° 20/291



Citer ce document


Mathilde Hirsinger, «Proxénétisme aggravé et association de malfaiteurs, un cumul judicieux ?», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2758.

Auteur


À propos de l'auteur Mathilde Hirsinger

Doctorante en droit pénal, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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