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Un rappel des effets de la transmission universelle de patrimoine suite à la dissolution d’une société unipersonnelle

Chloé Leduque


1La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) fait, en cas de dissolution, l’objet d’un régime spécifique instauré par la loi du 5 janvier 1988, régime que l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 14 novembre 2019 eut l’occasion d’appliquer avec la plus grande rigueur. Les faits ayant donné naissance au litige sont les suivants : à la suite de la réalisation d’une transmission universelle de patrimoine au bénéfice de son associé unique (la SARL Y), la SAS X fut dissoute le 19 octobre 2015 et radiée du registre du commerce et des sociétés le 24 novembre. Mais le 10 novembre 2015, cette même SAS X régularisa un ordre de publicité avec la société Z pour des spots diffusés sur différents médias au cours du mois d’octobre 2015, pour une facture d’un montant de 13 322 euros. Or, n’ayant reçu aucun paiement malgré une mise en demeure au mois de février 2016, la société Z assigna la SARL Y afin d’obtenir le règlement de la facture née du contrat passé avec la SAS X. Toutefois, dans un jugement du 4 septembre 2017, le tribunal de commerce de Lyon rejeta ces demandes en déclarant l’assignation à l’encontre de la SARL Y irrecevable. La société Z releva alors appel de cette décision et la cour d’appel de Lyon fut amenée à se prononcer sur la recevabilité de l’assignation de la SARL Y et sa possible condamnation au paiement de la facture de 13 322 euros issue de la relation contractuelle entre la SAS X et la société Z. Or, le 14 novembre 2019, les magistrats du second degré infirmèrent la décision du tribunal de commerce et condamnèrent la SARL Y au paiement de la facture (notamment augmentée du montant de la clause pénale).

2A priori, une telle solution aurait de quoi surprendre puisque la dissolution d’une société entraîne l’ouverture d’une liquidation et, partant, la réalisation de l’actif ainsi que le désintéressement des créanciers. Lorsqu’il est question d’une société à responsabilité limitée, comme c’est le cas de la SAS, le gage de ces derniers se limite au patrimoine social. Ainsi, les dettes sociales ne peuvent être recouvrées sur les biens propres des associés. Il s’agit là du principal intérêt lié à la création d’une société à responsabilité limitée et notamment unipersonnelle, le patrimoine de la société ne pouvant être confondu avec celui de l’entrepreneur. Dès lors, en cas de dissolution, les dettes de la société sont soldées lorsque l’actif social le permet, ou que des garanties complémentaires, à l’image d’un cautionnement ont été prises par les créanciers. Si elles ne peuvent être réglées dans le cadre de la liquidation, ces dettes disparaissent alors sans être transmises à une nouvelle personne juridique. Néanmoins, c’est à une toute autre solution que le législateur a soumis la dissolution des sociétés unipersonnelles, tenant ici compte de leur particularisme certain. En effet, une telle dissolution entraînera automatiquement, non pas la liquidation, mais la transmission universelle du patrimoine de la société dissoute à l’associé unique. À cet égard l’article 1844-5 alinéa 3 du Code civil a vocation à s’appliquer de manière impérative, les opérations de liquidation accomplies au mépris de la transmission universelle de patrimoine étant « sans emport » (Cass. com. 7 déc. 2010, n° 09-17.169 ; Cass. soc. 12 janv. 2016, n° 14-21.533).

3Si cette solution spécifique aux sociétés unipersonnelles a le mérite de la simplicité, elle emporte avec elle un inconvénient majeur : l’associé unique se voit transmettre l’ensemble du patrimoine de la société dissoute. Il recueille donc aussi bien l’actif que le passif, ce que la Cour de cassation rappelle régulièrement (V° Cass. civ. 3e, 9 avril 2014, n° 13-11.640 s’agissant d’un bail ; Cass. com. 19 nov. 2002, n° 00-13.662 à propos d’un engagement de caution, etc.). La totalité du passif est ainsi transmise à l’associé unique, peu important d’ailleurs qu’il ait eu connaissance des dettes (CA Riom, 5 mai 1980). Pour ces raisons, le législateur a limité la transmission universelle de patrimoine aux hypothèses dans lesquelles l’associé unique est une personne morale. Elle sera donc exclue pour les personnes physiques (art. 1844-5 al. 4 C. civ. issu de la loi NRE du 15 mai 2001), mais également lorsque ladite société sera soumise à une procédure collective (Cass. com. 12 juil. 2005, n° 02-19.860, Bull. civ. IV, n° 169, p. 183).

4Rien d’étonnant alors à ce que la cour d’appel de Lyon ait infirmé le jugement de première instance et condamné la SARL Y à payer, à la société Z, le montant de la facture non acquittée par la SAS X. En effet, la SARL, en tant qu’associée unique de la SAS, a recueilli, après sa dissolution, l’intégralité de son patrimoine, conformément aux dispositions de l’article 1844-5 alinéa 3. Les dettes sociales lui ont alors été transmises au même titre que l’actif, sans qu’il ne soit nécessaire de recueillir l’accord des créanciers sociaux. Il y a ainsi, comme le souligne le Professeur Jeantin, « une véritable cession de dettes » (M. Jeantin, « La transmission universelle du patrimoine d’une société », Les activités et les biens de l’entreprise : mélanges offerts à Jean Derrupé, Joly–Litec, 1991, p. 287 et s., spéc. n° 26) qui intervient de manière automatique. Dès lors, et par le seul effet de la transmission universelle de patrimoine, la SARL Y se trouvait tenue de la facture de 13 322 euros représentant une dette non acquittée par la SAS X avant sa dissolution.

5L’on comprend mal les raisons qui ont pu pousser le tribunal de commerce à déclarer irrecevable l’action contre la SARL. La transmission universelle de patrimoine fait disparaître la société, la personnalité morale prenant fin à l’issue du délai d’opposition de 30 jours accordé aux créanciers (art. 1844-5 al. 3 C. civ.). Partant, elle fait cesser l’ensemble des actions en justice dirigées à son encontre (P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 7éd., LGDJ – Lextenso éd., 2018, n° 604) : l’absence de personnalité juridique empêche, de fait, les créanciers de se tourner vers la société dissoute. L’enjeu est donc de taille et il faut veiller à identifier correctement la société à l’encontre de laquelle l’action en paiement sera dirigée. Aussi, lorsque la personne morale a disparu, la société bénéficiaire de la transmission universelle du patrimoine prend-elle la suite de la société initiale dans l’action en justice en cours au moment de la dissolution. Elle doit être appelée à l’instance (Cass. com. 7 avril 2010, n° 09-11.002).

6La solution n’aurait pu être différente et l’on ne peut que saluer la rigueur dont a fait preuve la cour d’appel de Lyon quant à l’application des dispositions spécifiques de l’article 1844-5 du Code civil. L’associé unique ayant ici reçu le patrimoine social étant une personne morale, l’exclusion de l’alinéa 4 ne pouvait trouver vocation à s’appliquer. En outre, aucune procédure collective n’étant ouverte à l’encontre de la SAS, là encore, il n’existait aucun autre moyen de contourner les effets de la transmission universelle de patrimoine. Enfin, la SARL ayant bénéficié de la transmission universelle du patrimoine de la SAS, disparue au jour de l’action, c’est elle qui avait désormais, comme le souligne la cour d’appel, « qualité à défendre ». L’infirmation de la décision du tribunal de commerce ainsi que la condamnation de la SARL au paiement de la somme réclamée par la société Z ne sont, dès lors, que la conclusion logique d’un raisonnement parfaitement orthodoxe.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 14 novembre 2019, n° 17/06445



Citer ce document


Chloé Leduque, «Un rappel des effets de la transmission universelle de patrimoine suite à la dissolution d’une société unipersonnelle», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2250.

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À propos de l'auteur Chloé Leduque

Doctorante à l’équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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