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La mésentente entre associés n’est pas un juste motif de dissolution anticipée

Yasmina Foudil


1La mésentente entre associés entraînant par suite la disparition de l’affectio societatis ne peut constituer un juste motif de dissolution de la société qu’à condition d’en paralyser son fonctionnement. Il appartient à celui qui réclame la dissolution d’apporter la preuve d’une telle paralysie. L’appréciation de la paralysie s’opère par rapport à son fonctionnement normal.

2En l’espèce, en 2001, deux frères, Serge et Pascal, constituent à parts égales une société civile immobilière (SCI). Serge est alors nommé gérant de la SCI. En 2004, la SCI conclut deux baux avec des sociétés au sein desquelles les frères sont personnellement engagés, notamment dans la société EIL dont Pascal est gérant. Cependant, en 2010, par décisions des associés de la société EIL, Pascal est révoqué de ses fonctions et remplacé par Serge. Cet évènement sonne le glas de la collaboration entre les frères.

3C’est après avoir vainement tenté d’obtenir la dissolution anticipée de la SCI et la désignation d’un administrateur provisoire par devant le juge des référés en 2010 et le TGI de Lyon en 2014 que Pascal a porté l’affaire devant la cour d’appel de Lyon en janvier 2018.

4Sur le fondement des articles 1832 et 1844-7 et suivants du Code civil, le demandeur a notamment avancé que les conflits entre associés au sein de la SCI et par sociétés interposées ont entrainé la disparition de l’affectio societatis emportant la paralysie dans le fonctionnement normal de la société matérialisée par le défaut d’approbation et de dépôt des comptes des exercices 2009 à 2015, justifiant ainsi la dissolution anticipée de la société. En effet, l’article 1844-7, 5° du Code civil dispose que « la société prend fin par la dissolution anticipée de la société prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas de […] mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».

5La cour d’appel de Lyon a rejeté l’ensemble de ses demandes. Bien que constatant un conflit grave et persistant entre les associés entraînant la disparition de l’affectio societatis, celle-ci ne conduit pas à la paralysie dans le fonctionnement de la société. La cour retient que le gérant continue d’assurer l’administration de la société conformément aux dispositions statutaires et législatives. La SCI remplit en outre ses obligations sociales en ce que les comptes sociaux sont établis, les assemblées générales sont régulièrement tenues, peu important l’opposition systématique d’un associé et le refus de donner quitus à la gérance. La SCI dispose d’ailleurs d’un résultat comptable et d’un niveau de trésorerie positifs.

6L’affectio societatis se définit comme la volonté, au moins implicite, de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune (Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12.118). Notion tirée en filigrane de l’article 1832 du Code civil, sa définition aujourd’hui poussiéreuse ne reflète pas la réalité des rapports entre associés au regard des différents outils permettant de régir les relations entre ces derniers et d’aménager les prérogatives de chacun.

7Il n’en reste pas moins que l’affectio societatis est un élément constitutif de la société érigé en condition de validité du contrat de société à l’occasion de sa conclusion. Son absence constatée au jour de la signature des statuts entraîne donc la nullité de la société (Cass. civ. 1re, 24 oct. 1978, n° 77-13.884). Cependant, tel n’est pas le cas lors de sa disparition en cours de vie sociale. Cette perte de l’affectio societatis ne constitue pas un motif autonome de dissolution de la société. Encore faut-il prouver que la disparition crée une mésentente qui entraîne une paralysie du fonctionnement de la société (Cass. civ. 3e, 2 juin 2016, n° 15-14.707).

8En effet, bien que l'article 1844-7, 5° du Code civil laisse aux juges le pouvoir souverain d’apprécier la légitimité et la gravité du motif invoqué par le demandeur pour qu'il soit mis fin à la société, la dissolution ne peut être prononcée que s'ils constatent une paralysie dans son fonctionnement normal. En l'absence de paralysie, la dissolution ne peut pas être prononcée, même en cas de mésentente grave entre les associés (Cass. com., 19 mars 2013 n° 12-15.283). La mésentente doit par ailleurs être générale, c’est-à-dire ne pas se limiter à la simple opposition d’un associé (Cass. civ. 3e, 5 mai 2015, n° 14-13.060). En revanche, il n’appartient pas aux juges d'ordonner l'exclusion de l'associé demandeur. Ils ne peuvent sanctionner la mésentente entre associés que par la dissolution de la société, aucune disposition légale ne leur en donnant le pouvoir (Cass. com., 12 mars 1996, n° 93-17813). En outre, la dissolution suppose une paralysie actuelle de la société et non future qui n’est, par définition, qu’hypothétique (Cass. com., 13 juill. 2010, n° 09-16.103).

9En présence d’une répartition égalitaire du capital entre associés, le risque de blocage d’une société s’en trouve accru. Il convient de l’anticiper en introduisant dans les statuts ou dans un acte extrastatutaire des mécanismes de sortie tels qu’une clause de retrait ou de shotgun.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3ch. A, 16 août 2019, n° 18/00534



Citer ce document


Yasmina Foudil, «La mésentente entre associés n’est pas un juste motif de dissolution anticipée», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2246.

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