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Bénéficiaire effectif d’une société : l’indication obligatoire du pourcentage de capital social ou des droits de vote détenus

Quentin Némoz-Rajot


1Les décisions judiciaires propres au registre des bénéficiaires effectifs sont très rares et par conséquent instructives. Une ordonnance du tribunal de commerce de Bobigny avait déjà été remarquée (ord. Trib. com. Bobigny, 18 mai 2018, n° 2018S07031, BJS, 2018, n° 7, note D. Rua ; D. Da, A. Tournier, D. Brunier, JSS, 4 juillet 2018 ; BRDA, 18-18 du 15 septembre 2018 p. 3) et la solution retenue par la cour d’appel de Lyon dans son arrêt en date du 12 septembre 2019 s’inscrit dans cette même lignée. Elle permet de préciser l’ampleur des indications à communiquer concernant le bénéficiaire effectif d’une société non cotée.

2En l’espèce, une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) avait procédé à la déclaration de son bénéficiaire effectif en précisant que la personne physique en question détenait indirectement plus de 25 % du capital social. Cette déclaration fut rejetée et le juge commis à la surveillance du RCS de Saint-Étienne confirma ce rejet par deux ordonnances successives. La SASU saisit alors la cour d’appel de Lyon qui, elle aussi, confirma la position retenue par le juge commis. Cette solution apparaît d’importance puisqu’elle interprète les dispositions du Code monétaire et financier (CMF) tout en précisant l’étendue des informations à déclarer au registre des bénéficiaires effectifs.

3Pour rappel, au nom de la transparence et en vue de perfectionner la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la quatrième directive anti-blanchiment n° 2015/849 du 20 mai 2015, élaborée sur la base des recommandations révisées de 2012 du Groupe d’Action Financière (GAFI), a prévu la création d’un registre des bénéficiaires effectifs dans chaque État membre de l’Union européenne. La directive fut transposée en droit français de manière ubuesque deux fois, elle est désormais codifiée au sein du CMF aux articles L. 561-46 et suivants. Aussi, les sociétés non cotées doivent elles déposer au greffe du tribunal de commerce un document déclarant leurs bénéficiaires effectifs. Au sens de l'article L. 561-2-2 du CMF, le bénéficiaire effectif est : « la ou les personnes physiques : 1° Soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; 2° Soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ». Cette définition est précisée, pour les sociétés, par l’article R. 561-1 du CMF. Est un bénéficiaire effectif d’une société, la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital social ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société au sens des 3° et 4° de l'article L. 233-3 du Code de commerce. Dans notre affaire, la SASU avait donc déclaré la personne physique détenant indirectement plus de 25 % du capital social, sans toutefois préciser le pourcentage exact du capital social détenu. L’article R. 561-56 du CMF énonce quant à lui les informations que doit contenir la déclaration du bénéficiaire effectif, à savoir, s’agissant de ce dernier : les noms, nom d'usage, pseudonyme, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité, adresse personnelle de la ou des personnes physiques, les modalités du contrôle exercé sur la société et la date à laquelle la ou les personnes physiques sont devenues le bénéficiaire effectif de la société. C’est finalement l’interprétation prétorienne de cette disposition qui justifie l’importance de la solution retenue par la Cour d’appel de Lyon. Quelles sont les informations à transmettre quant aux modalités du contrôle exercé sur la société par le bénéficiaire effectif ?

4Deux interprétations étaient possibles :

  • Celle de l’appelant estimant que la loi impose seulement de déclarer un bénéficiaire effectif en précisant l’hypothèse légale à laquelle la situation se rattache, sans préciser exactement quel est le pourcentage de droit de vote ou de capital détenu (mais en précisant si la détention est directe ou indirecte).

  • Celle du juge commis qui impose de déclarer le pourcentage précis des droits de vote ou de capital détenus afin de déterminer avec exactitude la modalité de contrôle impliquant la qualité de bénéficiaire effectif.

5La cour d’appel de Lyon retient l’interprétation du juge commis. Elle estime que ses deux ordonnances se conforment aux exigences de police économique poursuivies par les législations nationales et européennes dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En ce sens, il serait donc nécessaire de bien préciser les conditions qui entrainent la qualité de bénéficiaire effectif afin de pouvoir mesurer le degré d’implication ou de bénéfice de la personne concernée. Les magistrats lyonnais citent alors le juge commis stéphanois qui avait estimé que « la précision du pourcentage de détention en capital et/ou droits de vote au-delà du seuil de 25 % est indispensable à l'explication concrète des modalités de contrôle ou de l'avantage retiré par le bénéficiaire effectif et, de manière incidente, à l'effectivité du contrôle et de la vérification par les autorités compétentes des informations portée sur les déclarations ; que ne saurait en effet être confondue la situation d'un associé ne détenant qu'une minorité de blocage avec la situation d'un associé majoritaire au regard du contrôle d'une société ».

6En outre, l’arrêt rappelle qu’il n’existe pas d’avis rendu par le comité de coordination du RCS sur cette question et que l’avis du comité juridique de l’ANSA du 7 novembre 2018 (n° 18-054) « n’a pas la valeur d’une norme contraire ». À travers cette formule mystérieuse, on comprend que l’avis rendu par le comité juridique de l’ANSA ne lie aucunement les greffes et les juridictions. Pourtant, la position retenue dans cet avis nous semblait pertinente et convaincante. En effet, il ressort des textes du CMF qu’il n’existe expressément aucune obligation de mentionner le montant précis de chaque participation supérieure au seuil de 25 %. Aussi, la seule identification du bénéficiaire effectif devrait suffire si cette qualité est rattachée à l’une des situations prévues par la loi. Comme le souligne opportunément le comité juridique de l’ANSA, la déclaration des bénéficiaires effectifs est « une mesure de prévention, destinée à faciliter la mise en œuvre de leur obligation de vigilance par les établissements du secteur financier et qui consiste en amont à identifier certaines personnes pouvant être qualifiées de BE et non à déterminer précisément leurs poids respectifs dans la société ». Aussi, il nous semble que le montant précis de chaque participation supérieure au seuil de 25 % ne devrait pas être exigé.

7C’est pourtant une solution inverse qui est retenue par la cour d’appel de Lyon qui avance ne pas réaliser une interprétation extensive des textes mais plutôt en respecter tant leur lettre que leur esprit. Or, selon nous, aucun texte propre au bénéficiaire effectif n’impose une telle précision dans la déclaration. De même, l’esprit des textes nous semble être la détermination du ou des bénéficiaires effectifs. Dès lors, si la déclaration est réalisée en précisant à quelle situation légale la qualité de bénéficiaire effectif se rattache, cela nous semble suffisant et conforme aux exigences législatives.

8En outre, en imposant de mentionner le montant précis de chaque participation excédant 25 % du capital ou des droits de vote, la position prétorienne implique de procéder à une nouvelle déclaration dès lors que ce montant change alors que la personne physique demeure bien bénéficiaire effectif. La cour d’appel de Lyon le relève d’ailleurs tout en rappelant que cela constitue « un coût réel pour les entreprises, tenant aux frais des greffes des tribunaux de commerce. La nécessité de telles démarches au coût d'ailleurs relatif (entre 23,71 € et 54,51 € l'acte tels que justifiés par la requérante) ne peut jamais exclure l'application d'une exigence légale ». Certes, cependant la loi n’impose pas expressément de mentionner le pourcentage de détention. De surcroît, cette indication ne nous paraît pas être indispensable au regard des objectifs des textes du CMF et de la directive qui visent à identifier les bénéficiaires effectifs au nom de la transparence et afin de renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. N’est-ce alors pas superflu de savoir si le bénéficiaire effectif détient 33 % ou 45 % du capital social ?

9Enfin, alors que la loi PACTE (Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) a une nouvelle fois mis en avant la nécessité d’alléger les formalités pesant sur les entreprises, tout comme leurs coûts, il paraît peu judicieux d’ajouter des contraintes et de nouvelles charges financières en imposant une telle précision. Aussi, une intervention législative ou un avis public rendu par le comité de coordination du RCS sur cette délicate question apparaît nécessaire. En attendant, il est toutefois recommandé de bien indiquer le montant précis de chaque participation excédant 25 % du capital ou des droits de vote, ce qui figure d’ailleurs sur le modèle de déclaration du bénéficiaire effectif d’une société mis à disposition par les greffes (http://www.greffe-tc-lyon.fr/myfiles/files/rbe/RBE_soci%C3%A9t%C3%A9.pdf).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3chambre A, 12 Septembre 2019, n° 19/02040



Citer ce document


Quentin Némoz-Rajot, «Bénéficiaire effectif d’une société : l’indication obligatoire du pourcentage de capital social ou des droits de vote détenus», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2255.

Auteur


À propos de l'auteur Quentin Némoz-Rajot

Maître de conférences à l’équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3
Counsel Akilys avocats


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